Birth of a Nation ou la naissance du langage cinématographique] Quelle flamboya
Birth of a Nation ou la naissance du langage cinématographique] Quelle flamboyante ingéniosité que l’invention du cinéma, cet ensemble d’images mouvantes sur une surface plane, cette parfaite illusion qu’un fragment de réalité a été pris au piège dans un écran ! Rapidement exploité par les grandes firmes, il n’en demeure pas moins que, dans les années 1900, le cinéma essaie de se défaire de sa réputation de « divertissement vulgaire », afin d’étendre son marché au public des classes moyennes. Ce sera chose faite en 1915 où le succès retentissant de « Birth of a nation » du réalisateur David Wark Griffith érige le cinéma au rang d’industrie potentiellement viable. Le cinéma détient son propre langage visuel et est désormais reconnu comme un art. La question est de savoir pourquoi Griffith est-il reconnu comme l’instigateur du langage cinématographique ? Certes, le film rend davantage lisible un épisode de l’Histoire américaine resté dans l’ombre, mais ce sont surtout les techniques de narration visuelle qui participent au processus d’une identification parfaite entre le spectateur et le récit filmique qui instaure une véritable rupture avec le cinéma dit « primitif ». La dernière séquence du film rend d’ailleurs admirablement compte des prouesses du cinéaste. [Le contexte historique et l’arrivée de Griffith] Il ne fait guère de doute que, baignées dans l’euphorie d’une découverte d’un haut degré de technicité tel que le cinéma dans les années 1900, moult sociétés telles que Gaumont, Pathé ou Eclair en France, sont soucieuses de rentabiliser au maximum, tout en répondant à une demande qui part en flèche, des courts métrages diffusés de manière intensive dans les nikelodéons. Ces cinémas publics, pourtant fleurissants ne jouissent plus d’une grande reconnaissance. Les couches sociales les plus favorisées, justement susceptibles d’influencer l’opinion souvent habituée à fréquenter les grands théâtres, n’y voient là que des « daguerréotypes galopants », une vulgaire appellation pour désigner ces images en mouvements agencées par le principe du cinématographe des frères Lumière. Pourquoi une telle aversion pour un divertissement jugé manifestement beaucoup trop futile ? Simplement, à l’époque, le cinéma peine à se frayer un chemin, à se construire une place d’honneur en étant constamment endigué par un art reconnu, le théâtre. A l’époque, celui que l’on nomme aujourd’hui le septième art, n’est qu’un piètre artisanat, « un montage photographique de vaudeville » comme nous le confie Lillian Gish, l’actrice fétichisée par Griffith, qui s’appuie largement sur le théâtre pour façonner des courts métrages insipides, où la gestuelle exagérée et les mimiques emphatiques des acteurs afin de pallier le manque de son, rendent peu crédibles à l’image une histoire d’une puissante vacuité intellectuelle, en témoignent les nombreux courts métrages des grands sociétaires tels que Gaumont ou Pathé. La composition frontale de l’image, l’absence de changement de plan, de point de vue (les acteurs sont souvent filmés en plan d’ensemble ou plan moyen, instaurant une certaine distance avec le spectateur comme au théâtre), l’unicité spatio-temporelle et narrative contenue dans un seul plan, un seul « tableau » (le nom est plus approprié pour caractériser le décors des images à l’époque), sont autant d’éléments qui ne diffèrent guère d’une représentation théâtrale. Le cinéma s’enlise ainsi dans ses propres limites. À force de lustrer les esprits naïfs de l’époque, comme un vieux chiffon décousu, il finit par s’user. La composition trop « brouillon » et « confuse » lasse, et le public s’en désintéresse. Cependant, des cinéastes tels que, Porter ou Griffith, mais bien d’autres également comme les réalisateurs de l’école anglaise de Brighton, conscients des potentialités artistiques du cinéma vont peu à peu monter toute une série d’expériences annonçant déjà les prémisses d’un renouveau du cinéma sans pour autant se détacher complètement du cinéma dit « primitif » de l’époque. Par exemple, « L’assassinat du Duc de Guise » en 1907 est plus raffiné dans le jeu de ces acteurs, plus sobre et épuré que la gestuelle grandiloquente habituelle, de même, les décors sont véritablement construits et non peints, mais la grande tradition théâtrale de la Comédie Française étouffe indubitablement l’image et rapproche davantage l’œuvre d’une pièce de théâtre filmée. Peut-être Porter et son « Great Train Robbery » se sera le plus rapproché d’un langage propre au cinéma avec ses travellings, panoramiques d’accompagnement, montage parallèle et le sublime plan rapproché, assez déroutant, du chef des gangsters ressuscité interpellant le public. Seulement, à bien des égards, ce film ne constitue pas comme « Naissance d’une nation », la confirmation que le cinéma a bien son langage singulier. En effet, la fragmentation de plans discontinus pour donner l’illusion d’une continuité spatiotemporelle semble manquer de fluidité et rend l’histoire ambiguë si bien que le spectateur peine à crédibiliser ce qu’il voit. À défaut de m’imbriquer dans des détails fastidieux, j’entreprendrai une comparaison plus poussée avec « Birth of nation » par la suite pour bien comprendre l’innovation radicale du film de David Wark Griffith, ce comédien passionné de théâtre, scénariste et réalisateur atypique qui déjà avant « Birth of nation » avait entrepris quelques intéressantes expérimentations. Il travaille pour la société de Porter, la Biograph, en tant qu’acteur et script. À l’heure où les ventes s’essoufflent, à cause notamment d’une concurrence exacerbée entre les firmes peu scrupuleuses d’avoir recours au piratage de courts métrages, Griffith se fait remarquer pour ses qualités de scénariste et se voit offrir un poste de metteur en scène. À partir de là, il peut, à loisir, s’exercer sur l’outil cinématographique et en exploiter toutes ses potentialités. C’est le cas par exemple avec son premier succès, « Aventures of Dolly » où il s’essaie au gros plan. Ensuite, dans « After many years », il fait fi des règles d’unité de temps et de lieu, dans « Ramona », il utilise le panoramique. Appliqué, perfectionniste et novateur, il dira : « J’ai commencé à cette époque à rechercher une atmosphère, à relier la cause à l’effet, à mettre en évidence les indices. » Cette volonté de s’extirper du joug théâtral se retrouvera dans les flamboyants « Julie de Bethuly » et « La conscience vengeresse ». Les cinéphiles ne furent pas longs à reconnaître la supériorité de Griffith, mais c’est en 1915, avec « Birth of nation » qu’il défraiera la chronique sur tous les plans (sans mauvais jeu de mots). Immense succès commercial, le film révèle le cinéma au rang d’œuvre artistique et pose désormais les jalons d’un langage unique, visuel, le langage cinématographique. Premier film aussi à être projeté dans une salle de théâtre, à un prix équivalent aux places de théâtre, ce long métrage de douze bobines n’en finira pas de faire parler de lui en influençant dès lors par la suite de très grands cinéastes tels que Eisenstein ou Renoir. Les théoriciens ont eu grand soin de lui accorder les honneurs pour entretenir le mythe, pourtant comme on l’a vu précédemment, dans sa manière d’agencer les plan dans « Birth of nation », Griffith n’est pas un innovateur dans le sens où ces découvertes visuelles existaient avant (gros plan, champ contre-champ, montage alterné…). Seulement, comme le souligne Jean Mottet dans son livre « David Wark Griffith », « Griffith contribua à leur mise au point, leur réglage et surtout leur systématisation », ce qui suggère d’autant plus un éloignement radical, une rupture avec le cinéma artisanal de l’époque et les expérimentations hétéroclites, dispersées avec l’outil cinématographique. On peut donc voir une volonté chez Griffith d’affirmer ses découvertes, de les améliorer pour les rendre solides et pérennes. Ainsi, en entrant dans une étude plus détaillée du film de Griffith, tout en présentant une séquence clé justifiant tous les arguments évoqués, on peut dès lors justifier cette idée de rupture évidente soulignée plus haut. [« The Birth of a nation », une rupture radicale : De la genèse du film au triomphe d’une fidèle reconstitution historique] En cette année 1914, alors que Griffith a quitté la Biograph pour monter sa propre entreprise, la Mutual, il décide un soir, après un tournage, de réunir plusieurs de ses comédiens dont son actrice fétiche Lilian Gish, pour leur annoncer ceci : « J’ai acheté un ouvrage de Thomas Dixon, « The Clansman », je vais en faire un film qui dira toute la vérité sur la guerre de Sécession. » Ce sujet lui tient particulièrement à cœur, puisque dans son esprit résonne encore, comme de lointains coups de fusils de la délégation sudiste, les multiples récits héroïques narrés par un grand-père qui avait combattu du côté des confédérés. Un projet déjà novateur à l’époque puisque faramineux, il nécessite en effet l’utilisation de douze bobines ce qui ne manque pas d’attirer les foudres d’apporteurs de capitaux. Lillian Gish nous dira d’ailleurs : « The Birth of a nation a marqué un tournant dans la vie de Monsieur Griffith. Alors qu’il plaisantait souvent en parlant de ses nouveaux films, ici il semblait nous dire : « Vous allez voir ce que vous allez voir » », comme si finalement, en parfait visionnaire, il avait pressenti l’ampleur d’un tel projet et le uploads/Histoire/ birth-of-a-nation-ou-la-naissance-du-langage-cinematographique.pdf
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- Publié le Jul 19, 2021
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