COLLÈGE DE FRANCE _____ CHAIRE D’HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE E

COLLÈGE DE FRANCE _____ CHAIRE D’HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE ET DE L’EMPIRE D’ALEXANDRE _____ LEÇON INAUGURALE faite le Vendredi 10 mars 2000 PAR M. PIERRE BRIANT Professeur _____ 152 © Pierre Briant / Histoire et civilisation du monde achéménide et de l’empire d’Alexandre. Leçon inaugurale, Collège de France, 2000. URL : http://www.college-de-france.fr Leçon Inaugurale de Pierre Briant — 1 — Monsieur l’Administrateur, Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, Les avis dispensés par certains, les conseils prodigués par d’autres, la lecture des textes de mes aînés et de mes devanciers, mes propres doutes enfin et surtout, m’ont très vite convaincu que, moment flatteur d’une trajectoire personnelle, la « Leçon inaugurale » représentait une épreuve si redoutable qu’il convenait de l’aborder avec simplicité. N’ayant fréquenté ni les écoles ni les cénacles où l’on apprend à parler légèrement de choses sérieuses, et inversement, je me suis résolu à un parti qui toutefois ne manque pas d’attraits : parler sérieusement de choses sérieuses, et introduire mon propos comme l’on ouvre un cours ou commence un ouvrage, c’est-à-dire expliquer aux auditeurs ou aux lecteurs les contours de l’objet dont on s’apprête à les entretenir, mais aussi en justifier le choix et en éclairer les perspectives, car l’accession à une chaire du Collège de France ne reconnaît ni ne confère à l’heureux élu aucune espèce d’infaillibilité, quelle qu’elle soit : bien au contraire, elle appelle de sa part une rigueur et une exigence encore accrues. La chaire que j’ai l’honneur d’inaugurer aujourd’hui s’organise autour de deux domaines étroitement liés l’un à l’autre, le monde perse achéménide et l’empire d’Alexandre. Homologues, ou presque, d’un point de vue géopolitique – l’un et l’autre se sont étendus de l’Indus aux Balkans et de l’Asie Centrale à Assouan –, les deux empires ont eu des destins historiographiques pour le moins contrastés. Ramassée dans le temps, l’histoire d’Alexandre a exercé depuis l’Antiquité une fascination profonde et elle a nourri un courant bouillonnant de livres et d’études. Bien que beaucoup plus solidement ancrée dans la durée, l’histoire de l’empire perse achéménide n’a pas suscité le même intérêt passionné – et l’on verra bientôt combien la litote est violente ! Il m’a donc paru indispensable, ici et maintenant, d’analyser les relations à la fois intimes et conflictuelles que l’historiographie achéménide a entretenues et avec les recherches consacrées au Proche-Orient ancien en général et avec l’historiographie du monde grec et de la conquête d’Alexandre. On comprendra mieux ainsi pourquoi je tiens à affirmer d’entrée que la fierté personnelle que je ressens s’accompagne, plus intense encore, d’une satisfaction scientifique que je veux exprimer au nom des ‘achéménédisants’, et que je tiens à partager avec elles et avec eux, tant la distinction qui est mienne aujourd’hui est aussi le fruit de nos échanges et de nos réflexions menés en toute liberté et en toute confiance. Sous cette appellation barbare d’« achéménédisants » – « barbare » s’impose, s’agissant de choses perses ! – je désigne un groupe de chercheurs qui, dispersés entre de nombreux pays, représentent une communauté scientifique réduite en nombre mais très active de par le monde, quand bien même elle ne relève pas d’une discipline universitaire autonome (il s’en faut même de beaucoup), et qu’elle ne constitue pas une équipe de recherches individualisée (il n’en existe nulle part à l’heure actuelle). Cette Chaire est en effet la première du genre à être créée dans quelque province que ce soit du monde académique. Votre décision, mes chers Collègues, vaut ainsi reconnaissance pour un champ de recherches qui fut longtemps tenu aux lisières des mondes connus et reconnus, marqué du sceau d’un exotique certes fascinant mais également considéré comme rebelle à l’analyse. Elle vient, en quelque sorte, réduire définitivement à néant le singulier paradoxe historiographique, au terme duquel le premier empire-monde de l’Antiquité, l’empire achéménide, fut longtemps relégué à un rôle de faire-valoir, dans l’ombre étouffante de l’‘Orient millénaire’ et de la ‘Grèce éternelle’, jusqu’au moment où la fulgurante aventure d’un jeune prince macédonien vint le frapper d’une lumière si crue qu’elle contribua plus encore à l’aveuglement durable de nombre d’observateurs parmi les plus distingués. Leçon Inaugurale de Pierre Briant — 2 — Non que l’histoire des anciens Perses ait été ignorée. Et comment l’eût-elle été, elle qui est constamment présente, à l’arrière-plan ou en contrepoint, chez les grands auteurs de la Grèce classique, et ses peintres, depuis le moment où, en 546, les armées de Cyrus et de ses généraux s’emparent de Sardes et intègrent l’Asie Mineure occidentale dans l’empire en formation ? Et c’est évidemment grâce à la redécouverte des textes anciens que les hommes de la Renaissance réinventèrent également les Perses de l’Antiquité. En témoigne éloquemment la parution à Paris, en 1590, d’un ouvrage intitulé De regio Persarum principatu libri tres, sous la plume du Président Barnabé Brisson, éminent juriste très apprécié du roi Henri III. Les trois livres en question sont consacrés exclusivement à ce que nous pourrions appeler droit public et droit privé : le roi et la vie du palais, les cultes et la religion, les institutions militaires. L’ouvrage fut considéré jusqu’au début du XIXe siècle comme l’autorité de référence sur l’institution monarchique perse : lorsque, par exemple, en 1823, Letronne établit une comparaison entre une institution ptolémaïque et ce qu’il considère comme un précédent achéménide, c’est à Brisson que la note infrapaginale renvoie son lecteur. Ce succès témoigne, à la fois, de l’influence durable de la tradition antiquaire, et de la place hégémonique que les sources classiques ont tenue dès les premiers pas des recherches consacrées à la Perse ancienne. Mais il convient de préciser que les Perses bénéficiaient également de l’autre tradition qui donnait alors un accès écrit aux civilisations du Proche- Orient, à savoir certains livres de la tradition biblique, cités eux aussi par Brisson, plus particulièrement Esdras, Néhémie, et Esther. Grâce à cette heureuse conjonction, l’histoire des anciens Perses, au cours des XVIe-XVIIIe siècles, avait pris une avance et un ascendant certains sur l’histoire alors pratiquement impénétrable des Assyriens et des Babyloniens. Une autre source vint apporter des éléments d’information entièrement neufs, ce sont les récits et rapports publiés par les voyageurs européens qui, entre le XVIe et le XIXe siècles, se rendirent en grand nombre en Perse. Eux-mêmes dessinateurs ou accompagnés d’artistes, ils sont les premiers à rapporter descriptions et dessins, parfois fantaisistes, y compris des reproductions de curieuses inscriptions, qu’ils avaient relevées à Pasargades et à Persépolis en une écriture que l’on baptisa alors ‘persépolitaine’. Thomas Hyde, qui publie en 1700 à Oxford un essai sur la religion des anciens Perses, fut le premier à proposer le terme ‘cunéiforme’. Parmi les savants, aux efforts conjugués desquels on peut aujourd’hui attribuer le déchiffrement, on doit distinguer le Major Rawlinson qui, entre 1835 et 1846, s’attaqua aux inscriptions gravées en trois langues sur le rocher de Behistoun, en vieux-perse, en élamite (on disait alors ‘scythique’) et en babylonien, et qui publia en 1846 une traduction du texte vieux-perse. Du point de vue de l’histoire achéménide, il s’agit d’une date fondatrice, puisque, pour la première fois, un grand roi parlait en son nom propre et avec ses mots : en l’occurrence Darius Ier, par l’écrit et par l’image (un relief monumental accompagne les inscriptions), y narrait à sa manière les combats qu’il eut à mener au début de son règne, en 522. L’on pouvait enfin croiser les sources et soumettre les textes classiques à l’épreuve de la comparaison synoptique. L’une des conséquences de sa découverte n’échappa pas à Rawlinson : c’est tout simplement que le récit donné par Hérodote de l’avènement de Darius devait être reçu avec la plus extrême cautèle, moins d’ailleurs pour ce qu’il disait que pour ce qu’il taisait. Une autre, plus inattendue, fut que la parole de Darius servit surtout à développer l’étude de l’Assyrie et de la Babylonie, où l’on découvrait les textes cunéiformes par milliers. En un ironique retournement, le déchiffrement de la plus longue et de la plus explicite des inscriptions achéménides fit perdre à la Perse ancienne l’avance historiographique qu’elle avait accumulée durant les siècles précédents. Une forme d’illustration paradigmatique, si l’on veut, de la déclaration de Victor Hugo dans Les Orientales : « Au siècle de Louis XIV, on était helléniste, maintenant on est orientaliste » ! Leçon Inaugurale de Pierre Briant — 3 — S’ouvrit bientôt l’ère des archéologues. En 1852, William Loftus et ses collaborateurs mirent au jour à Suse une grande salle hypostyle, ainsi qu’une inscription au nom d’Artaxerxès II, qui donnait à la fois le nom de la salle, apadana, traduit ‘salle d’audiences’, et le nom du roi qui en avait autrefois décidé la construction, Darius le Grand. Puis ce furent, dans les années 1885-1887, les fouilles fameuses de Dieulafoy, qui ouvrirent la longue série des fouilles françaises. Les découvertes documentaires datées de la période achéménide n’étaient pas limitées à la Perse, à la Médie et à la Susiane. La liste exhaustive en serait fort longue. Citons simplement, parmi les plus emblématiques, en Phénicie, le sarcophage inscrit d’Ešmunazzar de Sidon, en Asie uploads/Histoire/ briant-pierre-pdf.pdf

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  • Publié le Mai 21, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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