42 La scénographie comme outil de propagande coloniale EXEMPLE DU MUSEE DE TIPA

42 La scénographie comme outil de propagande coloniale EXEMPLE DU MUSEE DE TIPASA Dalila BELKACEMI ZEBDA- Centre universitaire de Tipasa Des questions ont fusé lors de mon bref passage en tant que responsable au musée de Tipasa. Parmi mes prérogatives, j’avais la charge d’accueillir les délégations, et de leur présenter un aperçu de l’histoire de la ville de Tipasa à travers le mobilier archéologique exposé. Je me rendis compte au cours de mes discours, de l’existence de lacunes dans l’organisation des collections muséales. Des témoins et des artefacts archéologiques d’une civilisation donnée, ont été privilégiés, résultant une interprétation historique limitée. La thématique, mise en avant, est axée principalement autour de la propagande du colonialisme, d’où découle une scénographie, incompatible, avec la situation actuelle de l’Algérie souveraine.Dans quel contexte a été construit le musée de Tipasa ? En quoi se résume sa scénographie ? Quelle lecture peut-on faire ? Et enfin quel sont les motifs de sa mise en place par ses concepteurs? I/Création du musée de Tipasa Le musée de Tipasa est situé au cœur du chef lieu de la wilaya, à une centaine de mètres de l’entrée du site archéologique, sur une voie secondaire ombragée. En 1950, l’espace situé sur un des angles formé par les voies principales et longeant le port, a été attribué par la municipalité, au service des antiquités en charge des monuments antiques de l’Algérie, qui y fait construire le musée actuel, érigé en 1955. Le musée a été dessiné par l’architecte des monuments historique Marcel Christofle sur la base d’un plan rappelant un domus greco-romain. L’ensemble est composé d’un patio et de deux salles d’exposition, l’une permanente et l’autre recevant les expositions temporaires transformée récemment en centre de documentation par l’office de gestion et d’exploitation des biens culturels en charge de la gestion du complexe muséal. L’inauguration de ce musée nommé « antiquarium » destiné à n’accueillir que le mobilier archéologique, fruit des différentes fouilles, et qui a coïncidé avec le centenaire de l’établissement du village de Tipasa en 18541,en application de la circulaire de 1830-60 proposé par l’archéologue Cagnat, stipulant que chaque localité se devait de prendre en charge les artefacts résultants des découvertes archéologique opérées dans son territoire, afin que cesse les opérations de leur transfert et ainsi assurer une meilleur prise en charge de leur protection et leur conservation2. Pour sa création, Melle Colozier membre de l’école Française a été désignée par Leschi pour dresser l’inventaire des collections archéologiques issues des fouilles afin de porter le choix - après inspection préalable de Mr Leschi - des collections susceptibles de répondre aux critères sélectifs d’exposition muséale . Melle Doisy, également membre de cette école, a été désignée pour procéder à l’inventaire des inscriptions3. 1 Shaw et Bruce : « Le tombeau de la chrétienne « Revue africaine 1866-7 pp 343. 2 (.De menerville m.p : « lois ,ordonnance ,décrets, décisions et arrêtés ». Dictionnaire de la législation algérienne 1830-1860 Alger-Paris pp460 . 3 Grenier Albert « Nouvelles d’Algérie » Compte rendu des inscriptions et belles lettres 1950 no 4 p347 43 Apres l’étude des collections et pour les besoins de la mise en place de la scénographie, Leschi a procédé, en 1954, au rapatriement d’une inscription dédiée à la victoire. Elle a été découverte dans le site archéologique de Tipasa en 1853 et entreposée par Berbrugger au musée des antiquités d’Alger4 . II/ Le contexte politiquo - archéologique à Tipasa durant la période coloniale Il était convenu la création de nouveaux villages dans les régions fertiles de la Mitidja. Le rôle de l’administration coloniale était semblable à la politique des romains en Afrique du nord : priver les autochtones des terres fertiles et les confiner dans les parties stériles et montagneuses. Tel était le cas dans toutes l’Algérie. Les environs de Tipasa n’échappent pas à la règle .Ainsi, l’ordre a été donné en 1872 par la commission du gouvernement général portant construction de nouveaux villages dans la plaine de la Mitidja au profit des colons européens ou «sera le commencement d'un réseau de colonisation destiné à enserrer les tribus de la montagne, tribus toujours disposées comme par le passé à porter le meurtre et le pillage chez leurs voisins des villes de la plaine»5 . L’ idée étant déjà soutenue et en cours d’ analyse par des chercheurs en archéologie qui ont développé le concept ,s’appuyant sur des traces matérielles et de témoins archéologiques ,qui affirmaient à tort ,(Ph. Leveau l’ayant démontré dans sa thèse sur l’occupation antique , que la région rurale de Cherchell était fortement urbanisée durant la période romaine) selon laquelle la classe des autochtones se développait à l’écart de la civilisation romaine dans les endroits montagneux et déshérités 6 Au même moment, la politique coloniale a adopté, pour assoir son pouvoir et son autorité, une idéologie basée sur le concept du patrimoine antique, comme trace d’un héritage ancestral pour plébisciter une présence peu désirée et assurer à long terme, une pérennité territoriale dans cette vieille province romaine d’Afrique, reconquise au 18 siècle par les français. La construction réelle de cette idéologie et son application, nécessitaient l’implication de la classe des chercheurs en archéologie. Leur tache consistait à découvrir et faire revivre ces contrées conquises grâce aux procédés mis en place par les romains dont les colons européens seraient les descendants. A titre d’exemple, les traces des monuments de cultes chrétiens et les inscriptions latines (rapport sur deux missions archéologiques en Afrique du nord 7 ; l’idée selon laquelle la phase de colonisation française n’est qu’un long processus de réappropriation du Maghreb suite à leur origines romaines et de là, a créer et revendiquer une identité franco –algérienne. La classe scientifique y adhère et se félicite des aides et des facilités accordées par le gouvernement général de l’Algérie pour l’avancement de leurs recherches archéologiques durant la période de l’Afrique romaine8 . Ainsi commence à germer la renaissance d’une nation latine, à travers des illustrations destinées à la propagande politique plus que scientifique, tels que les guides archéologiques et touristiques et les ouvrages traitant de toutes les importantes villes romaines qui ont parsemé 4 Baradez(j) « Nouvelles fouilles à Tipasa » Lybica 1954 p 122 5 Archives du Gouvernement général de l'Algérie, L 23,7 (Procès- verbal, avril 1872) 6 Gsell (s) « Histoire ancienne de l'Afrique du Nord », t. 1, Paris, 1913, p. 29. 7 Dhiel : « Nouvelles archives des missions de recherches » t 4 1893 p 285 8 de Laet Sigfried J « L'antiquité classique Année 1953 Volume 22 p 560 44 jadis la terre d’Algérie, comme cité dans par Louis Leschi « Algerie Antique » paru en 1952, et autres guides de Cherchell et Tipasa …ect . III/Le musée de Tipasa et l’application d’une scénographie comme outil de propagande du colonialisme Les années 50 annoncent les prémisses de la guerre d’Algérie et la fin du règne du colonialisme français. Elles coïncidaient avec la construction du musée de Tipasa. Dans ce contexte de guerre, quelle était la plus significative des scénographies à mettre en place ? Afin de renforcer l’idéologie colonialiste des chercheurs et archéologues de l’empire français, de nouvelles pratiques de l’intelligencia coloniale sont mises en place par des guides et autres ouvrages illustrés racontant la gloire romaine, ancêtres des colons européens d’Algérie. Le concept est palpable au sein même des institutions de l’état a travers Le musée de Tipasa qui est la représentation personnifiée de cette idéologie coloniale. En effet, d’aucun musée d’Algérie - espace incontournable de culture et d’éducation - n’apparait aussi flagrant et criard, tant dans sa mise en scène scénographique que thématique, une propagande politico- coloniale, axée sur la revendication d’une identité originelle : « romano-franco-algéro- chrétienne » .Cette identité, fruit de déductions, née et traduite, suite aux vastes recherches archéologiques entreprises dans le site antique de Tipasa durant plus d’un siècle .Ce musée, fleuron d’une ville , située à proximité de la capitale ,est privilégié par un réseau routier facile d’accès .C’est un haut lieu de fréquentation touristique enregistrant le taux de visite le plus élevé d’Algérie. Il comptabilise avec les vestiges de l’antique cité, plus d’un million de visiteurs par an (statistiques de l’OGEBC).La masse touristique est composée de différentes catégories de visiteurs, allant de simples profanes aux plus érudits. Apres un sondage, il ressort que la quasi-totalité des visiteurs est dans l’incapacité de porter une analyse cohérente sur la scénographie ou d’interpréter la relation organisationnelle tripartite existante, entre le groupe des œuvres archéologiques exposées, leur ordonnance spatiale et le scenario politico- colonial sous jacent mis en place.Par ailleurs, aucune trace dans les archives de la création de ce petit musée ne vient rappeler sur quelle base a été fondée la réflexologie de sa scénographie. La problématique de l’agencement de cette scénographie n’a jamais soulevé de questions dans l’Algérie actuelle.Comment le patrimoine culturel mobilier, fruit des entrailles arraché à la terre de Tipasa, devait venir en aide à cette politique d’enracinement et contribuer à prouver et à rappeler à la mémoire des français d’Algérie leurs origines européennes lointaines ancrées uploads/Histoire/ 486f042b960ae6a2f7f379e9ddaeb844.pdf

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  • Publié le Jui 28, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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