La formation continue des enseignants : phénomène naturel ? Eric Barbazo APMEP-

La formation continue des enseignants : phénomène naturel ? Eric Barbazo APMEP-IREM d’Aquitaine Introduction La formation continue des enseignants nous apparaît en ce début du 21ème siècle, comme allant de soi et indispensable à l’adaptation des pratiques et des contenus d’enseignement qui n’ont de cesse d’évoluer. Pourtant, si on considère la période de l’enseignement secondaire depuis la création des lycées sous l’Empire de Napoléon, la formation continue constitue un phénomène très récent qui débute seulement à la fin des années 1960. Ainsi, la question qui va nous intéresser devient alors : la formation continue est elle un phénomène si naturel que cela, au sens où, pendant près de cent cinquante ans, les professeurs titulaires, et notamment ceux qui sont recrutés par le concours de l’agrégation, ont une carrière basée sur leur seule formation disciplinaire initiale et ne manifestent pas le besoin de réactualiser leur connaissances. Il s’agit donc ici, de montrer les étapes du processus qui a conduit à l’émergence d’un besoin de formation pendant la carrière. Nous nous appuierons en particulier sur trois facteurs dont la concordance paraît nécessaire à cette émergence, à savoir :  Les réformes structurelles de l’enseignement secondaire, c’est à dire d’une part, les réformes des différents cycles, des séries et niveaux d’enseignement qui décident de la place et donc de l’importance de telle ou telle discipline dans le cursus de l’élève, phénomène particulièrement vrai en mathématiques et d’autre part, des différents ordres d’enseignement qui déterminent les statuts des professeurs ;  Les réformes des contenus disciplinaires ;  la prise de conscience de la nécessité d’introduire une dimension pédagogique au métier de professeur qui doit en particulier s’apprendre en même temps que la discipline ; Ces trois facteurs sont déterminants car nous allons voir que si, dans toute la première moitié du 20ème siècle, on peut distinguer, à l’état embryonnaire, ce que l’on aimerait appeler formation continue, visible notamment dans les activités des associations de spécialistes, c’est bien la conjonction de ces trois facteurs qui conduit, à partir des années 1950, à faire apparaître tout d’abord la nécessité d’une information des enseignants, traduite ensuite en terme de formation continue. Nous allons ainsi traiter cette problématique en trois parties, considérant d’abord la période embryonnaire entre 1902 et 1945. En second lieu, nous verrons quelle forme prend l’information des enseignants au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Nous terminerons enfin par les étapes qui ont conduit à la création des I.R.E.M., véritables outils et symboles d’une formation continue en marche. I. L’état embryonnaire Il est nécessaire de faire un parcours depuis 1902 pour montrer pourquoi la formation continue n’apparaît pas si facilement. La réforme de 1902 est une réforme structurelle très importante pour tout l’enseignement secondaire et pour l’enseignement des sciences et des mathématiques en particulier. Rappelons rapidement sa principale innovation: il s’agit de la création de séries à partir de la classe de sixième : Deux séries de la sixième à la troisième, A et B, qui diffèrent par le latin et le grec et les horaires en sciences (2 heures en 6e A et trois heures en B mais la série A est plus théorique et moins appliquée). Quatre séries à partir de la seconde : A, B, C et D. Deux séries terminales, Philo et Mathématiques avec options également A et B. C’est donc une nouveauté très importante par rapport à l’enseignement secondaire du 19ème siècle car les séries et notamment la série C à partir de la seconde (mathématiques latin) attire très rapidement les meilleurs élèves. Nous n’allons pas revenir sur les raisons de cette réforme, cela a déjà été fait en détail par Hélène Gispert1 et Nicole Hulin2. Rappelons seulement quelques grandes lignes : son origine est universitaire, elle hisse l’enseignement de la science au niveau de l’enseignement classique latin grec, elle instaure une réelle formation scientifique. Sur le plan des contenus, peu de modifications sont à relever, si ce n’est l’introduction du calcul différentiel en seconde et intégral en terminale. En revanche, l’histoire de l’APMEP nous apprend que cette réforme a profondément modifié les pratiques des professeurs de mathématiques. En effet, l’enseignement des mathématiques devient pyramidal, c’est à dire qu’une notion apprise au niveau n est utilisée au niveau n+1. C’est la première fois, car jusqu’à la fin du 19ème siècle, la formation en mathématiques ne se faisait réellement qu’en classe de mathématiques, c’est à dire dans l’année de préparation du baccalauréat sciences, et ce qui avait été vu auparavant ne relevait que de culture scientifique. On peut également ajouter qu’au 19ème siècle, le baccalauréat sciences ne se passait qu’après obtention du baccalauréat philo. Cette caractéristique pyramidale et ses conséquences sont clairement décrites dans les bulletins de l’APMEP3. Avec la réforme de 1902, les connaissances des élèves se suivent depuis la 6ème et surtout, entre la seconde C et la classe de mathématiques. Les professeurs se confrontent donc à ce qu’ont fait leurs collègues les années précédentes, comme le montre le rapport de M. Huard pour l’assemblée générale de 1913 : Il ne faut pas oublier, en effet, que, depuis la réforme de 1902, les conditions d’enseignement ont changé. Auparavant, la formation mathématique des élèves se faisait surtout en classe d’Elémentaires. Devant des élèves ayant plus ou moins de connaissances mathématiques antérieures, mais d’un âge déjà avancé et par suite d’une certaine maturité, le professeur reprenait tout le cours depuis le commencement : ce professeur unique pouvait employer les notations et les définitions qui lui semblaient les meilleures ; lui seul formait les élèves et son enseignement constituait un tout cohérent et homogène. Peu importait que ce qu’il faisait différât dans la forme de ce qui se faisait à côté. Ceci est très nouveau pour un grand nombre de professeurs et pose un problème qu’il est nécessaire de résoudre : celui de l’harmonisation des notations mathématiques et des définitions employées puisque dans cet enseignement pyramidal, un suivi pédagogique s’impose dorénavant. C’est à partir du rapport de M. Huard que l’association pose la question de cette unification. L’idée est de faire des propositions de termes ou de notations, soit pour palier à un manque, soit pour pouvoir parler de la même manière de la même chose. Ces 1 Voir notamment GISPERT Hélène, HULIN Nicole, ROBIC Marie-Claire, Science et enseignement, l’exemple de la grande réforme des programmes du lycée au début du XXième siècle, INRP Vuibert, 2006 2 Voir aussi HULIN Nicole, L’Enseignement et les sciences. L’exemple français au début du XX e siècle, Paris, Vuibert, 2005 3 Dans le Bulletin de l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement secondaire public, n° 10, Imprimerie Coueslant, Cahors et Alençon, avril 1913. propositions sont relayées par le bulletin de l’association jusqu’à ce qu’un consensus se fasse. Puis, s’il y a consensus, il est décidé de faire voter en assemblée générale un accord autour de ces définitions et notations et une recommandation à les utiliser. Durant l’entre deux guerres, les notations et définitions suivantes sont adoptées : Quotient entier, quotient exact, valeur absolue, centre d’homothétie (assemblée générale de 1922) ; Date, segment, direction, orientation, droite orientée ou axe, vecteur (comme segment orienté), origine, extrémité d’un vecteur, support d’un vecteur, notation AB   (assemblée générale de 1923) Nombre algébrique : nombre positif, nul ou négatif (assemblée générale de 1924) ; Angle(ox,oy)4, médiatrice d’une segment, médiatrice d’un triangle, plan médiateur d’un segment, plan frontal de projection (assemblée générale de 1925) ; Produit scalaire par la notation AB CD    , produit vectoriel noté AB CD      (assemblée générale de 1929) Moment d’un couple au lieu d’axe d’un couple ; homothétie positive, homothétie négative (ne pas employer le terme antihomologue) (assemblée générale de 1933) Bande (portion de plan entre deux droites parallèles), radicande, inéquation à la place de « inégalité conditionnelle, (assemblée générale de 1939) Perpendiculaires (droites coplanaires dont l’angle est droit), droites orthogonales (droites quelconques dont l’angle est droit) (assemblée générale de 19475) Cette unification n’est pas toujours bien vue. Il y a les contres, c’est à dire ceux qui défendent la liberté pédagogique du professeur avant tout et ne veulent donc rien sembler imposer, les radicaux qui veulent construire un vocabulaire complètement nouveau et adapter même l’existant, comme par exemple remplacer triangle par trigone, au même titre que tétragone, polygones. Puis il y a les modérés qui ne veulent pas chambouler toutes les notations et seulement en créer là où il y a un manque, comme par exemple la médiatrice ou le symbole Δ pour noter le discriminant. Ce travail est prolongé jusque bien après la seconde guerre mondiale. Il est donc question de donner certaines habitudes aux professeurs en poste, la plupart agrégés, qui ne considèrent pas nécessairement qu’ils aient besoin de formation après le concours durant leur carrière. D’ailleurs, si la réforme de 1902 est structurellement importante, elle reste cantonnée à l’ordre secondaire, c’est à dire à l’enseignement dispensé dans les lycées, enseignement payant et réservé à une élite sociale, qui regroupe une très faible minorité d’élèves. La grande majorité des élèves suit plutôt sa scolarité dans uploads/Histoire/ barbazo0609-2.pdf

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  • Publié le Dec 18, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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