François Bédarida L'histoire de la résistance. Lectures d'hier, chantiers de de

François Bédarida L'histoire de la résistance. Lectures d'hier, chantiers de demain In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°11, juillet-septembre1986. pp. 75-90. Abstract The history of the Resistance, François Bédarida. In spite of ample historiography, the history of European resistance to fascism remains an open field. Historians are still discussing the definition of the phenomenon. Neither the question of the unity or the diversity of the movement throughout Europe, nor the problem of the extent of the population's participation, nor the reality of the link between the clandestine oppositions and the political-strategic context of the global conduct of the war are settled. The study of the various ways of resisting, of the shared characteristics and the national specificities should make it possible to correct many preconceptions. Citer ce document / Cite this document : Bédarida François. L'histoire de la résistance. Lectures d'hier, chantiers de demain. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°11, juillet-septembre1986. pp. 75-90. doi : 10.3406/xxs.1986.1486 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1986_num_11_1_1486 L'HISTOIRE DE LA RESISTANCE LECTURES D'HIER, CHANTIERS DE DEMAIN François Bédarida Des matériaux surabondants, un bel acharnement - scientifique, bien sûr, mais aussi civique -, des mémorialistes et des historiens, des milliers d'études indivi duelles et collectives, très savantes ou bien pieuses : la masse des travaux sur la Résistance accumulée depuis quarante ans est tout à fait impressionnante. Avons- nous pour autant une très nette vision globale de ce phénomène multiforme, parfois déroutant, toujours aussi disputé qu'exemplaire ? C'est selon, nous dit François Bédarida. Les jeux de mémoire et de pouvoir autour du « legs impéris sable » de la résistance au fascisme en Europe sont devenus eux-mêmes objets d'histoire. Il faut donc apprendre à relire, à classer et à interpréter, en cernant les zones d'ombre et les plages sûres. On doit, on peut renouveler les approches. Un bon « challenge » pour l'histoire d'au jourd'hui. Voulant commémorer à sa manière le 40e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale et de la défaite du nazisme, le 16e Congrès inter national des sciences historiques, réuni en Allemagne, à Stuttgart, du 25 août au 1er septembre 1985, a inscrit parmi ses trois thèmes majeurs « la résistance contre le fascisme, le nazisme et le militarisme japo nais » K Excellente occasion pour dresser un bilan des travaux menés depuis quarante ans et pour procéder à une évaluation des acquis. Mais une telle confrontation inter nationale conduit aussi à s'interroger. Sur ce sujet tout n'a-t-il pas été dit ? Reste-t- il du neuf à découvrir ? Par quelles voies le savoir historique peut-il encore pro gresser ? Et déjà dans quelle mesure la moisson engrangée résiste-t-elle à l'épreuve du temps, de l'ouverture de nouvelles sources, des lectures historiques pratiquées par des générations plus jeunes, maintenant que la distance s'accroît par rapport à l'événement ? D'autant que l'événement tout imprégné de drame et de passion, d'héroïsme et de fureur, de sang et de mort, a laissé le souvenir d'une lutte terrible et inégale dans laquelle à travers la myriade des itinéraires individuels les peuples jouaient leur âme en même temps que leur destin collectif. Pourtant, sans méconnaître l'importance et la valeur des acquis, les arguments ne 1. Cet article reprend, sous une forme abrégée et quelque peu remaniée, le rapport que j'avais présenté sur ce thème au congrès de Stuttgart : cf. Comité international des sciences historiques, 16' Congrès international, Rapports, tome 1, Grands thèmes, méthodologie, sections chronologiques, Stutt gart, 1985, p. 107-127. Je remercie le CISH de m'avoir autorisé à reproduire de larges extraits de ce rapport. 75 ARTICLES manquent pas pour soutenir que la Résis tance demeure un chantier ouvert, à l'ac tivité duquel il faut le concours de beaucoup de vaillants ouvriers. Tout d'abord, dans ce passé de feu, tout est loin d'être clair et assuré. De multiples zones d'ombre subsistent. Sur le plan empirique - celui de la connaissance des faits — comme sur le plan de la conceptualisation - à propos de la définition, des composantes, des modalités d'action de la lutte clandestine. De toute part, le mythe envahit l'histoire. Entre la glorification et l'occultation, se sont glissées maintes déformations plus ou moins intéressées, maintes interprétations commodes et abusives. D'où la nécessité de restituer et de re-situer la Résistance dans son intégrité aussi bien que dans son intégralité. Reconnaissons, en effet, avec Malraux qu'elle reste insuffisamment connue : « A cause de son caractère secret. A cause de trop d'efforts pour l'annexer, depuis qu'elle a disparu » K De surcroît, par la force des choses, la plupart des études ont été conduites dans un cadre national et plus encore dans une optique nationale. Aussi, seule une approche rés olument comparative permettrait-elle de remédier à ces limitations en élargissant la problématique 2. 1. A. Malraux, Oraisons funèbres, Paris, Gallimard, 1971, p. 17-18. 2. Il convient toutefois de rendre hommage au labeur accumulé au cours d'une impressionnante série de congrès et colloques qui se sont succédé et qui ont été consacrés à étudier les composantes, les formes d'action, les résultats de la Résistance à travers l'Europe. Après le premier congrès tenu à Liège en 1958, s'est constitué un Comité de liaison pour l'organisation de conférences internationales sur l'histoire de la Résistance en Europe, présidé par Ferruccio Parri. Alors que le congrès de Liège avait traité de la Résistance européenne en général, chacun des congrès suivants a été organisé autour d'un thème : à Milan, en 1961, « Les Alliés et la Résistance en Europe » ; à Varsovie, en 1962, « Le caractère national et international de la Résistance pendant la seconde guerre mondiale » ; à Oxford, la même année, « La Grande-Bretagne et la Résistance en Europe » ; à Karlovy- Vary, en 1963, « L'occupation de l'Europe » ; à Vienne, en 1965 (à l'occasion du 12e Congrès international des sciences historiques), « L'histoire de Ta Résistance en Europe : problèmes de documentation et de méthode ». Quant au colloque tenu en 1983 à la Vrije Universiteit d'Amsterdam, il a réuni historiens et témoins pour traiter de la Résistance européenne comparée. Seuls les congrès de Liège et de Milan ont abouti à une publication imprimée : European Resistance movements 1939-1945 : First International Conference on the D'autre part, l'historiographie évolue sans cesse. Non seulement parce que, avec la progression des années, de nouvelles sources apparaissent, des documents sur gissent, des archives - privées ou publiques - s'ouvrent, dont l'exploitation jette des lueurs inattendues et contribue à remodeler nos connaissances ; mais surtout parce que le territoire de l'historien est en perpétuel renouvellement. Qui serait assez candide pour croire au « définitif » en histoire ?, demandait Lucien Febvre, précisément à propos de la Résistance. Et il ajoutait : « Cette histoire, science des changements, est elle-même en perpétuel changement » 3. Mais l'histoire ne se contente pas de changer motu proprio. Elle reflète aussi le mouvement de son temps. A la lumière des questions que pose la conscience col lective, elle nous propose des lectures successives. De là des lignes d'interprétation qui, au lieu de rester figées, se modifient en fonction de la relation mouvante entre le passé et le présent. Tout particulièrement pour les événements chargés d'une forte signification. Car plus l'événement est riche de sens et d'humanité, plus les lectures historiques se multiplient, tantôt se complét ant, tantôt s'affrontant. Ce fut au 19e siècle le cas pour la Révolution française ou pour les mouvements d'unité nationale. C'est aujourd'hui le cas pour la Résistance. Qui nierait en effet le double caractère d'enjeu et d'exemple de la Résistance, de par ses dimensions éthiques autant qu'his toriques ? N'est-ce point dans chaque pays un topique du discours depuis 1945 que de se référer à elle comme à un moment sacré, un symbole de la défense des Droits de l'homme ? En ce sens, les enjeux d'hier History of the Resistance movements held at Liège, 14-17 September 1958, Oxford, Pergamon, 1960, et European Resistance movements 1939-1945 : proceedings of the Second International Conference on the History of the Resistance movements held at Milan, 26-29 March 1961, Oxford, Pergamon, 1964. En revanche, les congrès de Varsovie, Oxford, Karlovy- Vary, Vienne et Amsterdam ont donné lieu seulement à des textes multigraphiés. 3. Cahiers d'histoire de la guerre, 3, février 1950, p. 1. 76 HISTOIRE DE LA RESISTANCE se conjuguent avec les enjeux d'aujourd'hui, et c'est pourquoi le sujet demeure brûlant, s'inscrivant parmi les thèmes majeurs de l'histoire et de l'humanité. « Pour nous, écrit un résistant français, le mot Résistance aura signifié à un moment donné de notre destin : volontariat engagé dans l'affirmation de valeurs que nous jugeons essentielles. * » Défense de l'homme, esprit de sacrifice, espérance en un monde meilleur : autant d'éléments enchevêtrés dans les gestes les plus humbles comme dans les actes les plus héroïques qui composent l'histoire de la Résistance2. De là le sentiment d'un héritage exceptionnel que les historiens ont à défendre contre l'amnésie, à enrichir et à approfondir. Enfin — et c'est là un troisième argument — nous nous trouvons à un moment excep uploads/Histoire/ bedarida-francois-l-x27-histoire-de-la-resistance-lecutres-d-x27-hier-chantier-de-demain.pdf

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  • Publié le Sep 22, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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