Bernard Guenee Histoire et Culture historique dans l'Occident médiéval I Aubier
Bernard Guenee Histoire et Culture historique dans l'Occident médiéval I Aubier collection historique ISBN 2-7007-0212-3 Si vous souhaitez être tenu au courant de nos publications, il vous suffit d'envoyer vos nom et adresse aux Editions Aubier-Montaigne 13, quai de Conti 75006 PARIS. €> Editions AUBIER-MONTAIGNE PARIS 1980 BERNARD GUENÊE HISTOIRE ET CULTURE HISTORIQUE DANS L'OCCIDENT MÉDIÉVAL Collection historique dirigée par Maurice Agulhon et Paul Lemerle AUBIER MONTAIGNE 13, quai de Conti, Paris "•• ••. B3 601 5 .<*; rjri* Remerciements J'ai commencé ce livre en 1970. Presque quotidiennement, j'ai profité de la bibliothèque de la Sorbonne et j'ai eu le privilège de pouvoir utiliser l'irremplaçable bibliothèque de l'Ecole des Chartes. En 1974, j'ai passé quelques mois à AU Soûls Collège, Oxford. En 1976, j'ai passé quelques mois à VInstitute for Advanced Study, Princeton. Ces deux séjours ont été, dans l'élaboration de mon travail, deux moments décisifs. En 1980 enfin, l'Ecole pratique des Hautes Etudes (IVe Section) a créé pour moi une direction d'études d'Historio- graphie médiévale. Je tiens à reconnaître ici les dettes que j'ai contractées envers toutes ces institutions qui m'ont aidé et m'ont fait confiance. Je ne prétends pas que ce livre puisse les payer. Ces dettes ne sont pourtant rien à côté de ce que je dois à la quinzaine d'auditeurs fidèles qui, dans mon séminaire, à l'Université de Paris I, ont vu les premiers pas de ma recherche et l'ont, pendant dix ans, soutenue plus qu'eux- mêmes n'en ont conscience. C'est à eux, s'ils le veulent bien, que je dédie ce livre. AVERTISSEMENT Ce livre n'a qu'une ambition. Trop de gens croient encore que le Moyen Age n'a pas eu d'historiens. Trop de gens osent encore dire que personne, au Moyen Age, n'a même eu le sens du passé. Je voudrais simplement convaincre qu'il y a eu, au Moyen Age, des historiens, et qu'ils ont eu des lecteurs. Il y a même eu tant d'historiens, ils ont eu tant de lecteurs et d'auditeurs ; le champ de la littérature et de la culture historiques, dans tout l'Occident, pendant dix siè- cles, est si vaste que je vois trop combien de mes propres lecteurs, voyant mon titre et espérant plus, seront déçus. Je ne prétends nullement offrir un panorama complet et détaillé de la littérature historique médiévale. Beaucoup de noms manquent et, même, beaucoup de noms importants. Faute de place. Mais aussi, tout simplement, faute de con- naissances. Car si l'historiographie française m'est un peu plus familière, mes lacunes, ailleurs, ne sont que trop évi- dentes. Je n'ai pas non plus entendu traiter des idées des histo- riens. Ils en avaient, certes. Mais ils les partageaient avec leur temps. Et, à vouloir en parler, j'aurais fatalement été amené à étudier toute la pensée du Moyen Age à travers les œuvres des historiens. J'aurais dû écrire quelques gros volu- mes, où mon propos précis se serait dilué. Mon propos précis était de poser quelques questions. Quelle a été, au Moyen Age, la place de l'histoire ? Qui a été historien ? Comment ces historiens ont-ils travaillé ? Par quel effort ont-ils reconstruit leur passé proche et lointain ? Qui les a lus ? Qui les a entendus ? Quelle somme de con- naissances, quelle image du passé ont-ils pu léguer à leurs contemporains et à leurs successeurs ? Et de quel poids ces connaissances et cette image ont-ils pu peser sur les mentalités et les comportements ? A ces questions posées, nul n'imagine, je pense, que je pouvais répondre autrement que par des hypothèses. Qu'on ne s'y trompe pas. Mes phrases apparemment les plus assurées ne sont en fait, le plus souvent, que des idées proposées. 8 Avertissement Mon livre n'est qu'un essai dont la seule ambition a été de poser quelques questions et de donner quelques incertitudes. Et je reprendrai volontiers pour moi-même la devise d'un de mes lointains prédécesseurs, Jean Lemaire de Belges, dont on ne saura jamais, d'ailleurs, si la modestie n'était pas un peu feinte : De peu assez I N T R O D U C T I O N Le Moyen Age est né du mépris. Au xvie siècle encore, les historiens s'en tenaient aux périodisations traditionnelles. Dans l'histoire du monde se succédaient six âges ou quatre empires ; dans l'histoire de France, trois dynasties. Et ces traditionnelles périodisations avaient en commun de marquer une continuité. Le sixième âge avait commencé à la naissance du Christ et durait toujours. Le quatrième empire était l'em- pire romain ; il existait encore. Et, depuis le Xe siècle, les descendants d'Hugues Capet continuaient à régner. Mais dès le XIVe siècle Pétrarque avait eu l'idée que si, après une période de splendeur, les lettres romaines avaient sombré, un temps de renouveau était maintenant venu. Au xvc siècle, Ghiberti vit aux arts une évolution analogue et situa précisément à Giotto le début de cette renaissance. Après eux, ce devint un lieu commun, en France comme en Italie, de distinguer dans l'histoire des lettres et des arts, entre le temps de la splendeur romaine et le temps de la renaissance, un temps de barbarie, d'ignorance et d'obscurité, qui n'était rien d'autre qu'une parenthèse, un entre-deux. Ainsi vinrent tout naturellement sous la plume des histo- riens des lettres et des arts des expressions comme média (empestas (depuis 1469), média antiquitas (depuis 1494), médium tempus (depuis 1531), saeculum médium (en 1596). l'.t média aetas apparaît en 1551, médium aevum en 1596. l'ithou parle de « moyen aage » en 1572 et Camden de « middle âge » en 1605. Par la suite, média aetas, médium iievum, « moyen âge » furent en France d'un usage cou- rant, mais ils restèrent longtemps confinés dans les domaines de l'érudition, des lettres et des arts, au point que le dic- tionnaire de Furetière en 1690 et celui de l'Académie en 1694 reconnaissent bien l'expression de « moyen âge », mais par- lent exclusivement des « auteurs du moyen âge ». Et pour- tant) juste au même moment, le « moyen âge » s'imposait en Allemagne comme une des grandes périodes de l'histoire uni- verselle. Christophe Keller, dit Cellarius, était en train d'écrire K M ) histoire universelle dont le second volume, paru en 1688, étflil l'histoire du moyen âge, Historia medii aevi. C'est que, en Allemagne, l'Empire était trop affaibli pour que le sen- 10 Introduction timent de la continuité politique s'imposât encore, et les protestants étaient trop heureux de fouler aux pieds tous les siècles qui séparaient la réforme de l'église primitive. En France au contraire les théologiens pouvaient ne pas appré- cier la scolastique, les jésuites pouvaient mépriser les « ténè- bres gothiques », les gallicans pouvaient se méfier d'un temps où avait triomphé la papauté, tous ces catholiques pouvaient avoir, pour le moyen âge, peu de sympathie ; ils devaient pourtant, face aux protestants, s'en proclamer soli- daires. Et surtout, comment ces fidèles sujets du roi de France auraient-ils pu rejeter en bloc les temps de Clovis, de Charlemagne et de saint Louis ? Jusque dans la seconde moitié du xvine siècle, pas un livre d'histoire français ne fit du moyen âge une période historique. Mais bientôt les philosophes criblaient de leurs traits ces siècles d'ignorance, de tyrannie cléricale et de gouvernement « féodal ». Sous ces mépris accumulés, le Moyen Age grandit et s'imposa. Dans son édition de 1798, le dictionnaire de l'Académie sait qu' « On appelle Moyen Age le temps qui s'est écoulé depuis Constantin jusqu'à la renaissance des lettres au quinzième siècle ». Et nombreux sont désormais les livres où le Moyen Age est une période essentielle, comme évidente, de l'his- toire. Le Moyen Age était né du mépris. Et pourtant, dès le xvnie siècle, leur patriotisme en empêchait beaucoup de condamner les vieux auteurs. De plus en plus nombreux furent ceux qui apprécièrent leur « naïveté » et leur « sim- plicité ». L'idée qu'ils avaient du progrès continu de l'esprit humain imposait même aux philosophes qu'ils trouvassent au Moyen Age quelques vertus. Les nobles s'intéressèrent aux « siècles de la chevalerie ». Plus tard, au début du XIXe siècle, les libéraux scrutèrent les temps où, dans les com- munes, la liberté avait fait ses premiers pas. Les catholiques, devenus ultra-montains, en retinrent la grandeur romaine. Et surtout le romantisme triomphant imposa la totale réhabili- tation du Moyen Age. Puisque le mépris seul avait créé l'idée du Moyen Age, les défenseurs des siècles calomniés auraient pu se donner pour tâche de la faire disparaître. Il n'en fut rien. Toute leur ambition fut de mieux comprendre un Moyen Age dont ils ne contestaient pas l'existence. Réha- bilité, le Moyen Age restait une personne. Il devenait même une institution. En 1838, les programmes de l'enseignement secondaire prévoyaient l'étude du Moyen Age. En 1856, Henri Martin publiait la première histoire de France arti- culée en trois périodes, dont le Moyen Age. En 1863, les historiens qui se consacraient à l'étude du Moyen Age com- mencèrent à se dire « médiévistes ». En 1874 enfin, alors Introduction 11 que uploads/Histoire/ bernard-guenee-histoire-et-culture-historique-dans-l-x27-occident-medieval.pdf
Documents similaires
-
15
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 26, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
- Taille du fichier 30.6495MB