1 L’ANCIENNE ASTROLOGIE IRLANDAISE : UN ARGUMENT HISTORIQUE par Peter Berresfor

1 L’ANCIENNE ASTROLOGIE IRLANDAISE : UN ARGUMENT HISTORIQUE par Peter Berresford Ellis Traduction par Philippe Camby On rencontre, dans toutes les histoires de l’astrologie occidentale, une omission curieuse. Il n’y est jamais fait référence aux anciennes pratiques astrologiques irlandaises, ou celtiques. En fait, la seule étude sérieuse sur l’astrologie celtique a été publiée dans une revue savante française en 1902 1. A la lumière des recherches modernes, les conclusions de cette dissertation sont ouvertes à la discussion. La raison principale de ce désintérêt pour le sujet, au moins pendant les cinquante dernières années, a assurément été l’influence insidieuse de The White Goddess de Robert Graves (1949). Ce livre a rendu un singulier mauvais service à ceux qui cherchent à étudier les réalités de la cosmologie celtique et, particulièrement, la pratique de l’astrologie. Graves n’était pas celtisant. Son invention d’un supposé « calendrier des arbres » et d’un « zodiaque des arbres » a inspiré une profusion de livres prétendant traiter d’astrologie celtique. Graves et ses disciples ont malheureusement frappé l’imagination populaire, mais leur zodiaque des arbres n’a rien à voir avec les réalités du monde celtique antique. Ce n’est pas le lieu de disséquer les inventions de Graves. Ceci nécessiterait un long article 2. Dans cette polémique, j’ai l’intention de me limiter à un aperçu de la réalité historique de l’astrologie dans la société irlandaise. L’Irlande était, et demeure, une partie du monde celtique. Autour du IIIe siècle av. J.-C., les Celtes atteignirent leur plus grande expansion en Europe. Ils occupaient l’Europe de l’Irlande, à l’ouest, jusqu’à la plaine centrale de la Turquie (Galatie), à l’est (et même jusqu’à la mer d’Azov), du nord de la Belgique jusqu’à Ancône, en l’Italie, et Cadix dans la péninsule ibérique. Ils furent l’une des grandes civilisations fondatrices de l’Europe ; la première civilisation du nord de l’Europe dont l’histoire rend compte. Bien que nous ayons des centaines de textes et d’inscriptions dans les langues celtiques continentales depuis le IVe siècle av. J.-C., les informations les plus anciennes dont nous disposons sur les littératures considérables des Celtes insulaires, Irlandais et Gallois, ne remontent pas beaucoup plus haut que le VIe siècle. Les auteurs grecs et latins témoignent clairement que les Celtes ont été non seulement éminents en astronomie, mais qu’ils ont été estimés, particulièrement par les Grecs, pour leurs spéculations sur les étoiles. Même les Romains, de César à Pline, ont rendu hommage à leur astronomie. Martial (c. 40-103/4), qui se proclamait lui-même d’ascendance celtique, nota le premier que les Celtes antiques croyaient que le monde était rond (et non plat). L’origine du célèbre calendrier de Coligny, du Ier siècle av. J.-C., et qui fut le document 1 L’Astrologie chez les Gallo-Romains, H. de la Ville Mirmont, Revue des Études anciennes, Vol.4, 1902. NDA. Réédition en ligne : Henri de la Ville de Mirmont, L’astrologie chez les Gallo-romains, arbredor.com. NDT. 2 Cf. The Fabrication of Celtic Astrology, par Peter Berresford Ellis, et sa traduction : L’imposture de « l’astrologie celtique » sur CURA.free. NDT. 2 le plus étendu dans une langue celtique, mais qui se trouve maintenant surpassé par d’autres découvertes fascinantes, a pu être daté, grâce à sa computation originale, à ses calculs et à ses observations astronomiques. Cet outil de prédiction lunaire et solaire très sophistiqué a été mis au point, d’après le Dr Garrett Olmsted, la principale autorité sur le sujet, vers l’an 1100 av. J.-C 3. Il est important de noter que les concepts de ce calendrier rencontrent des parallèles dans la cosmologie védique. Nous y reviendrons plus tard. Le Grec Hippolyte (170-236), utilisant une source antique, a déclaré que les Celtes anciens prévoyaient le futur à partir des étoiles, avec des chiffres et des nombres à la façon des pythagoriciens. On ne discutera pas ici de cette controverse qui prit forme chez les auteurs grecs de l’école d’Alexandrie et dont l’objet était de savoir si les Celtes avaient emprunté leurs idées à Pythagore ou si Pythagore avait emprunté ses idées aux Celtes. Cette passionnante controverse, commencée au IIe siècle av. J.-C., chez les philosophes grecs, a duré quelques siècles. L’idée que les Grecs ont empruntée aux Celtes, a trouvé un avocat éminent dans l’érudit Clément d’Alexandrie (né à Athènes, vers 150, mort à Alexandrie entre 211 et 216). Pour en revenir à l’Irlande, l’évidence prouve que les Irlandais, comme le reste du monde celtique, étaient également fortement avancés dans l’observation astronomique, en particulier pour la construction des calendriers. Un des premiers Irlandais que nous pouvons nommer comme un expert reconnu dans ce domaine fut Mo-Sinu maccu Min 4 (mort en 610), abbé de Bangor (Comté de Down). Son élève, Mo Chuaróc macc Neth Sémon, est connu pour avoir rédigé un travail important sur les calculs astronomiques. Hélas, aucune copie de cette œuvre ne semble avoir survécu, mais nous avons conservé un travail semblable dû à Cummian 5 (mort en 633), professeur à Clonfert (Galway). Ensuite nous trouvons un texte astronomique de la moitié du VIIe siècle, signé d’Aibhistin (plus souvent appelé Augustin, et parfois confondu avec Augustin d’Hippone). Aibhistin fut le premier auteur médiéval à discuter la question des marées dans leurs rapports avec les phases de la lune 6. Le calendrier Julien, bouleversant les calendriers locaux, semble avoir été introduit en Irlande avec le christianisme, vers la fin du Ve siècle après J.-C. Mais la plus passionnante des découvertes récentes a été la trouvaille, dans les années 80, à la Biblioteca Antoniana de Padoue de l’Irish 84-year Easter Table (la « Table irlandaise de Pâques pour 84 ans ») qui couvre les années 438-521 7. C’est le calendrier, ou comput, auquel Colomban se réfère, 3 The Gaulish Calendar: A Reconstruction from the Bronze Fragments from Coligny with an analysis of its function as a highly accurate lunar/solar predictor as well as an explanation of its terminology and development, Dr Garrett Olmsted, Dr Rudolf Habelt GmBh, Bonn, 1992. NDA. 4 Mo-Sinu maccu Min and the computus at Bangor, par le Dr Dáibhi Ó Cróinin, Peritia, 1982. NDA. 5 A Seventh Century Computus from the Circle of Cummianus, par le Dr Dáibhi Ó Cróinin, Proceedings of the Royal Irish Academy, vol. lxxxii (1982). NDA. 6 Sur Augustin, auteur irlandais du VIe siècle, par le Dr William Reeves, Proceedings of the Royal Irish Academy, Vol ii, 1861. Cf. également : On the pseudo Augustinian treatise De Mirabilius, etc., par Mario Esposito, Proceedings of the Royal Irish Academy, Vol. xxxv, 1918-20. NDA. 7 The ‘Lost’ Irish 84 year Easter Table rediscovered, by Drs D. McCarthy and Dáibhi Ó Cróinin, Peritia, 6-7, 1987/8. NDA. 3 dans sa célèbre lettre au pape Grégoire, pour justifier la datation celtique de Pâques 8. L’étude des calendriers et des traités astronomiques a démontré que les formes de l’astrologie pratiquée en Irlande, à partir de l’introduction du christianisme, étaient sensiblement les mêmes que celles des Grecs et des Romains, à la même époque. Les formes gréco-latines semblent avoir supplanté l’ancien système irlandais quand le christianisme et les Études latines sont arrivées en Irlande. Ce système était assez bien établi, vers le VIIe siècle après J.-C., époque dont datent les plus anciens textes astronomiques et astrologiques que nous avons conservés. Au XIIe siècle, la culture arabe se répand en Irlande, apportée par les religieux et les érudits irlandais qui reviennent des grandes universités européennes telles que Bologne, Padoue et Montpellier, où ils ont enseigné. A ce moment-là, les médecins praticiens irlandais, écrit le père Francis Shaw S.J., qui étaient renommés dans l’ensemble de l’Europe, adoptent les idées médicales arabes. Il a écrit : « La médecine arabe avait pour sœurs la philosophie arabe et l’astrologie arabe 9 ». Du XIIe au XVIIe siècle, beaucoup de travaux sur l’astronomie et l’astrologie arabe sont traduits en irlandais 10 ; et les pratiques astrologiques irlandaises prennent les mêmes formes arabes que celles qui sont adoptées par le reste de l’Europe occidentale. Un des domaines dans lequel les chercheurs ont le plus de travaux à effectuer, c’est celui des innombrables traités médicaux irlandais (toujours inédits et non encore traduits), parce que c’est un art dans lequel l’astrologie était utilisée. Davantage que n’importe quelle autre langue, l’irlandais possède la plus grande collection de manuscrits de littérature médicale (antérieure à 1800). Avec les invasions anglaises du XVIIe siècle, les traditions locales de l’astrologie ont été rapidement détruites et l’astrologie est devenue le domaine des colons et de leur culture. Un des derniers travaux locaux a été rédigé, au milieu du XVIIe siècle, par un prêtre jésuite du comté de Down, le père Manus O’Donnell [Maghnus O’Domhnaill] S.J., qui s’est basé sur le Lunario de Geronymo Cortès 11, traduit, introduit et édité ultérieurement avec des notes et un glossaire par F. W. O’Connell et R. M. Henry sous le titre : An Irish Corpus Astronomiae 12. Nous pouvons suivre linguistiquement le cours de ce changement historique des 8 Cette épître de Colomban à Grégoire II (dit Grégoire le Grand) a été datée par les Bénédictins de 598 ou 599. Elle a été publiée par Patrick Fleming uploads/Histoire/ berresford-ellis-peter-l-x27-ancienne-astrologie-irlandaise.pdf

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  • Publié le Apv 05, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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