Médiévales Langues, Textes, Histoire 56 | printemps 2009 Pratiques de l'écrit À

Médiévales Langues, Textes, Histoire 56 | printemps 2009 Pratiques de l'écrit À propos de la révolution de l’écrit (Xe-XIIIe siècle). Considérations inactuelles About the Writing Revolution (tenth-thirteenth century). Untimely Meditations. Paul Bertrand Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/medievales/5551 DOI : 10.4000/medievales.5551 ISSN : 1777-5892 Éditeur Presses universitaires de Vincennes Édition imprimée Date de publication : 30 juin 2009 Pagination : 75-92 ISBN : 978-2-84292-232-0 ISSN : 0751-2708 Référence électronique Paul Bertrand, « À propos de la révolution de l’écrit (Xe-XIIIe siècle). Considérations inactuelles », Médiévales [En ligne], 56 | printemps 2009, mis en ligne le 21 septembre 2011, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/medievales/5551 ; DOI : 10.4000/medievales.5551 Ce document a été généré automatiquement le 30 avril 2019. Tous droits réservés À propos de la révolution de l’écrit ( Xe-XIIIe siècle). Considérations inactuelles About the Writing Revolution (tenth-thirteenth century). Untimely Meditations. Paul Bertrand 1 Cinq mille originaux conservés pour la France d’avant 1121, 2000 chartes et writs anglo- saxons pour l’Angleterre d’avant 10661 ; puis des dizaines et des dizaines de milliers d’originaux à partir du XIIIe siècle. En un long siècle, de la fin du XIIe à la fin du XIIIe siècle, l’Europe médiévale connaît sa première grande révolution de l’écrit. Cette révolution est une découverte récente pour beaucoup d’historiens : les grandes lignes en ont pourtant été tracées par Michael Clanchy dans un livre devenu célèbre : From memory to written record, édité en 1979 et réédité avec de grands remaniements en 1993. Un ouvrage essentiel, largement cité, mais malgré tout peu connu car peu lu dans le monde francophone (il n’y a d’ailleurs pas été traduit) : en conséquence, bien des chercheurs « font et refont du Clanchy » sans le savoir dans leurs publications sur les pratiques de l’écrit. 2 En rester à la provocation n’est guère intéressant, pas plus que « refaire du Clanchy », même revu et corrigé par ses successeurs. Présenter un nouveau status quaestionis serait superfétatoire : quelques-uns ont déjà été publiés voici peu de temps2. Je voudrais ouvrir le questionnaire de Michael Clanchy, poser des questions qu’il n’a pas entrevues alors, probablement parce que ce n’était pas le moment. Ces questions déboucheront sur des esquisses de réponse, des propositions multiples : je tenterai de faire le point sur celles- ci ; ces esquisses, je compte les reprendre et les affiner dans un mémoire d’habilitation en cours sur les écrits ordinaires et sur les pratiques diplomatiques dans la seconde moitié du XIIIe siècle et au cours du XIVe siècle. Ceci constitue donc une partie de mon questionnaire. 3 Il conviendrait d’élargir l’aire de recherche en considérant l’étude des pratiques de l’écrit comme étude de la culture graphique, au sens défini par Armando Petrucci (repris par À propos de la révolution de l’écrit (xe-xiiie siècle). Considérations inactu... Médiévales, 56 | printemps 2009 1 Roger Chartier) : étudier, « pour un temps et un lieu donnés, l’ensemble des objets écrits et des pratiques dont ils sont issus »3. Michael Clanchy a tenté de procéder à une analyse de la sorte, mais il faut convenir qu’une telle enquête est bien difficile à mener intégralement sur des dossiers amples et pour la fin du Moyen Âge, puisqu’elle nécessiterait d’appréhender les liens entre les différentes formes d’écritures (manuscrites, épigraphiques…) mais aussi d’étudier la pluralité des usages de l’écrit (politiques, administratifs, religieux, littéraires, « privés »…). De plus, il faudrait conjoindre plusieurs approches différentes de l’écrit : d’abord l’approche de la forme matérielle ou intellectuelle, étudiée en profondeur, qui s’apparenterait à une analyse morphologique. Mais aussi la mise en parallèle typologique des écrits, que l’on tente d’organiser et de classer. Une analyse micro-historique des écrits devrait aussi être entreprise, ponctuellement du moins, document par document : entreprendre la remise en contexte historique d’un obituaire, d’un manuscrit d’une Somme théologique, d’un cartulaire, d’un chartrier est un passage obligé4, consacrer une monographie à une chancellerie, un secrétaire, un scribe l’est tout autant5. La révolution de l’écrit a-t-elle eu lieu ? 4 Au-delà de ces précautions méthodologiques, se pose la question fondamentale : y a-t-il eu réellement une révolution de l’écrit aux XIIe et XIIIe siècles ? Qu’est-ce que cette révolution de l’écrit ? Comment peut-on la définir ? Sous quelle forme nous apparaît- elle ? Ce qui paraît une évidence pour la communauté scientifique n’a jamais été défini avec clarté. On a caractérisé, à la suite de M. Clanchy, cette explosion de l’écrit comme une expansion, comme une explosion numérique des documents conservés : chartes et cartulaires et en parallèle manuscrits « littéraires » et liturgiques pour la seconde moitié du XIIe siècle. Mais il faut nuancer cependant : est-ce bien là une croissance et une diversification de la production documentaire ou sommes-nous face à un renforcement du souci de la conservation ? En d’autres termes, ne sommes-nous pas aveuglés par les chiffres ? La réalité documentaire est la suivante : d’après les spécialistes de la documentation princière du premier millénaire – qui est nécessairement la mieux organisée et la plus massive dans le monde laïque – les taux de destruction pour ces périodes sont énormes. Seulement 0,001 % des diplômes royaux mérovingiens auraient été conservés6 ; pour les périodes suivantes, avant l’an mil, la conservation n’est guère meilleure – que les documents n’aient guère été conservés alors ou aient été détruits au second millénaire, dans un contexte où leur utilité et leur lisibilité n’avaient plus cours. Conserver l’écrit n’intéresse pas ; celui-ci a une durée de vie limitée. N’y aurait-il pas là une première raison : la révolution de l’écrit à la fin du XIIe siècle n’est-elle pas davantage une révolution de la conservation plus qu’une révolution de la production, du moins au XIIe et au début du XIIIe siècle ? 5 Autre raison de nuancer : le fameux trou des Xe et XIe siècle, que d’aucuns avaient lié aux troubles de l’anarchie féodale. Une décroissance réelle de l’écrit due à cette anarchie politique ? Ou une transformation de l’écrit moins considéré ? Cet écroulement du Xe et en partie du XIe siècle, constaté par bon nombre de chercheurs, met en évidence de manière forte, voire exagérée, l’apparent boom documentaire du XIIe siècle, de la même façon l’explosion documentaire du XIIe siècle pour l’Angleterre normande n’apparaît que plus importante face à la pauvreté de l’Angleterre anglo-saxonne. On n’a pas encore expliqué cet apparent écroulement du X-XIe siècle dans l’Europe du nord. Mais ne faudrait-il pas d’abord se demander s’il y a eu réellement écroulement ? À propos de la révolution de l’écrit (xe-xiiie siècle). Considérations inactu... Médiévales, 56 | printemps 2009 2 6 En effet, certains ensembles documentaires de ces époques, miraculeusement conservés, montrent que l’écrit peut être largement pratiqué au niveau le plus local. Le cas de la Rhétie est, de ce point de vue, éclairant. On a défini là un Urkundenlandschaft, un espace déterminé et déterminant du point de vue documentaire, définissant sa propre identité documentaire, comme le préconisait depuis des années Heinrich Fichtenau, à propos de l’espace autrichien7. Plusieurs dizaines de documents constituent donc un paysage documentaire propre à la Rhétie, autour de l’abbaye de Saint-Gall, pour la fin du premier millénaire. Des notices de tous types, très particulières, conçues et écrites par des spécialistes locaux de l’écrit, pour des disposants et destinataires aussi bien ecclésiastiques que laïques8. Or, si l’on peut définir ces aires d’écriture, c’est que les écrits de ces régions ont été conservés dans des chartriers ecclésiastiques de manière tout à fait inattendue, dans des nids documentaires impressionnants, comme le fonds de l’abbaye de Saint-Gall, justement. Ailleurs, les nids apparaissent de manière moins évidente, mais on les distingue bel et bien. Prenons l’exemple de la France avant 1121. Les chercheurs de l’ARTEM de Nancy constatent une hausse de production de diplômes constante aux Xe et XIe siècles, et ce jusqu’au début du XIIe siècle, terminus ante quem du corpus étudié : certes une hausse minime, de 96 actes pour 1001-1010 à 334 pour la période 1081-1090. Considérons ces chiffres en les ventilant selon les chartriers de conservation. On y distingue aussi des nids : Marmoutier, Cluny, Saint-Victor de Marseille, Saint-Denis, Saint- Hilaire de Poitiers, Saint-Maixent…9 Tout comme pour les fonds autrichiens ou suisses, les nids documentaires français sont des communautés monastiques de taille importante qui ont conservé davantage des fonds anciens. On doit donc prendre en considération l’intérêt croissant porté à la conservation en cette fin de Moyen Âge, pour évaluer cette révolution de l’écrit. 7 On aurait tort cependant de verser dans un révisionnisme provocateur et excessif : l’emprise de l’écrit se fait de plus en plus importante au fil du XIIe et surtout du XIIIe siècle s’ajoutant au souci de la conservation. U. Neddermeyer a entrepris et publié une analyse quantitative méconnue en France, sur la base d’un inventaire de manuscrits existants, au travers de catalogues de bibliothèques. Il décèle plusieurs pics de croissance. Le premier entre 1100 et 1349, le deuxième jusqu’en 1469, le troisième jusqu’en 1520. La première époque, de 1100 à 1249, U. Neddermeyer envisage de la uploads/Histoire/ bertrand-paul-a-propos-de-la-revolution-de-l-x27-ecrit-xe-xiiie-siecles-considerations-inactuelles.pdf

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  • Publié le Nov 26, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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