20 Genèse de l’islam La situation religieuse dans la péninsule Arabique 5 était

20 Genèse de l’islam La situation religieuse dans la péninsule Arabique 5 était, elle aussi, étroi­ tement liée au mode de vie au moins partiellement nomade de ses habitants. Pour comprendre la situation religieuse dans laquelle Muhammad s’est mis à prêcher la foi au dieu unique, Allah, au début du viie siècle et quels points de doctrine ultérieurement déclarés islamiques étaient déjà pratiqués dans la presqu’île avant la venue de Muhammad, il est nécessaire de faire briè­ vement connaissance avec les croyances en Arabie au viie siècle après J.-C. Colonies juives dans la péninsule Arabique En dépit du relatif isolement de la péninsule Arabique on peut admettre que dans les premiers siècles de l’ère chrétienne des croyances juives et chrétiennes en provenance des pays voisins de Syrie, d’Irak ou de Palestine n’étaient pas inconnues dans la région. Depuis le ier siècle après J.-C., des juifs étaient établis dans la péninsule Arabique 6. On suppose que, surtout après la conquête de Jérusalem sous Titus en 70 après J.-C. puis l’écrasement de la révolte juive de Bar Kochba en 135, des juifs ont fui en Arabie ou y ont été amenés en captivité et se sont progressivement établis dans plusieurs oasis d’Arabie du Nord-Ouest 7. On ne trouve des renseignements plus précis sur ces implantations juives qu’au début du viie siècle, à une époque où Muhammad a eu des contacts avec des juifs. À cette époque il y avait dans la péninsule Arabique des peuplements juifs à Teima, Khaybar, Fadak, Wâdi l-Qurâ et à Yathrib (le nom de la ville de Médine à ce moment-là). Les juifs y étaient déjà présents de longue date et constituaient un groupement particulièrement nombreux jusqu’au moment des démêlés guerriers avec les adeptes de Muhammad. À Médine même, la ville où Muhammad émigra en 622, habitaient les membres de plusieurs petites tribus, ainsi que trois grandes tribus, à savoir les Banû Qai­ nuqâ‘, les Banû Naḍîr et les Banû Qurayza. En revanche à La Mecque, la ville natale de Muhammad, il n’y avait sans doute que quelques familles juives isolées et aucune tribu juive homogène 8. Il y a des raisons d’admettre que la population juive de Médine ne comportait peut-être pas seulement d’authentiques juifs, mais aussi de nombreux Arabes passés au judaïsme 9. 5. Tisdall est à l’origine d’une étude déjà ancienne sur les croyances de l’Arabie ancienne et sur les religions du livre dans la péninsule Arabique à l’époque de la venue de Muham­ mad. Tisdall, Sources. 6. C’est ce qu’atteste également la Mishna. Buhl, Leben, p. 17. 7. Paret, Mohammed, p. 12. 8. Busse, Beziehungen, p. 9. 9. Buhl mentionne quelques autres adeptes de cette thèse. Buhl, Leben, p. 18-19. La péninsule Arabique avant la venue de Muhammad 21 Depuis le ive siècle il existait en outre des communautés juives en Arabie du Sud à propos desquelles les sources sont beaucoup plus rares. Les juifs des oasis d’Arabie du Nord se subdivisaient en plusieurs tri­ bus, mais ils étaient sédentaires. Ils pratiquaient l’agriculture, l’artisanat, le commerce et les affaires financières. On ne peut établir avec certitude s’ils se distinguaient fortement de leur environnement du point de vue cultu­ rel. Ce qui les en distinguait en tout cas, c’était leur foi qu’ils maintinrent et défendirent même après l’entrée en scène de Muhammad. À l’époque le Pentateuque (les cinq livres de Moïse) ou l’Ancien Testament n’étaient pas encore traduits en arabe 10. On peut cependant admettre qu’au moins l’une ou l’autre des croyances juives était connue dans ce cadre non juif caractérisé par la vie bédouine et la croyance en plusieurs dieux et démons. On ne peut savoir avec certitude si à l’époque de Muhammad les juifs de la péninsule Arabique avaient déjà accès au Talmud complété peu avant 11. Sur la base de son analyse des traditions arabes (littérature arabe des ḥadîths ; ḥadîth = récit, compte rendu, tradition) concernant l’Ancien Testament, Ignace Goldziher admet que « parmi les musulmans la connaissance de la Tawrât (c’est-à-dire de la Torah) s’appuyait exclusivement sur les ouï- dire jusqu’aux ixe-xe siècles 12, car chez les auteurs musulmans on trouve constamment des citations de l’Ancien Testament, mais celles-ci sont le plus souvent reproduites sous forme incorrecte 13 ». Quand, par la suite, le Coran mentionne les juifs, il utilise deux désigna­ tions différentes, à savoir « les enfants d’Israël » (banû Isrâ’îl) ou « Juifs » (Yahûd). C’est surtout dans les récits repris de l’Ancien Testament que Muhammad les appelle « enfants d’Israël ». Le nom de « Juifs » sert pour les Israélites « incroyants », qui n’ont pas cru au message de Jésus 14. Il se peut que l’attente juive d’un Messie à venir, peut-être également connue parmi les non-Juifs, ait contribué à la disponibilité des Arabes à reconnaître en Muhammad l’envoyé de Dieu qui, lui, apporterait un message en arabe au peuple des Arabes. Le christianisme dans la péninsule Arabique Alors que les juifs se trouvaient dans un isolement relatif dans la pénin­ sule Arabique, les chrétiens vivaient dans des conditions bien plus favo­ rables, étant entourés d’États chrétiens tels que la Syrie, la Palestine ou 10. Paret, Mohammed, p. 12. 11. Busse, Beziehungen, p. 9. 12. Goldziher, « Bibelcitate », p. 310. 13. Goldziher mentionne quelques-unes de ces citations incorrectes tirées de commentaires coraniques et d’autres œuvres théologiques. Goldziher, « Bibelcitate », p. 310-315. 14. Busse, Beziehungen, p. 32-33. 22 Genèse de l’islam l’Égypte qui étaient alors des provinces de l’Empire byzantin ; et dans le nord de la Mésopotamie, la foi chrétienne était également largement répan­ due. Quant à l’Arabie du Sud, elle était surtout influencée par l’Abyssinie (Éthiopie) chrétienne située sur l’autre rive de la mer Rouge : tout comme à Byzance, le christianisme y avait été proclamé religion d’État au ive siècle 15. De là il s’est diffusé vers le sud de l’Arabie 16. Ainsi les communautés chré­ tiennes nomades étaient très fortement représentées dans les régions confi­ nant aux pays voisins chrétiens ou marqués par le christianisme, ce qui n’était pas le cas des juifs. Il y avait un important groupement chrétien à Najrân, composé de « plusieurs nationalités et dénominations, de Grecs, de Syriens, d’Éthiopiens (monophysites) et de nestoriens 17 ». En outre il y eut semble-t-il en Arabie du Nord-Est, en Syrie, au Hedjaz et au Yémen des groupements chrétiens 18 marqués par le nestorianisme 19, de sorte qu’au vie siècle au plus tard, le christianisme a dû être présent dans la totalité de la péninsule Arabique et y exerçait une incontestable influence 20. La langue employée par les chrétiens à l’église et surtout dans la liturgie n’était pas l’arabe, mais le syrien 21. On peut supposer que du temps de Muhammad il y avait des chrétiens dans plusieurs tribus arabes de la péninsule Arabique et que certaines tribus étaient majoritairement chrétiennes 22. Mais dans le sud de l’Arabie il n’y eut sans doute jamais de travail missionnaire systé­ matique, de sorte qu’outre quelques individus mentionnés dans les sources, comme des commerçants, le christianisme se présentait surtout en la per­ sonne de moines et d’ermites, auxquels le Coran fait d’ailleurs aussi allu­ sion 23. À notre connaissance on n’a trouvé à ce jour aucune source datant du viie siècle ou de la période précédente qui attesterait de manière indubi­ table la présence dans la péninsule Arabique de communautés chrétiennes fondées sur le Nouveau Testament. Malgré la présence chrétienne parfois numériquement importante en Arabie, il faut sans doute partir du principe que Muhammad n’a jamais fait 15. Paret, Mohammed, p. 14. 16. Müller retrace en détail la diffusion du christianisme dans la péninsule Arabique avec ses trois centres au nord-est, au nord-ouest et au sud. C. D. G. Müller, « Kirche », p. 3-5. 17. Busse, Beziehungen, p. 10. 18. Lieux cités dans Bouman, Wort, p. 35. 19. Le nestorianisme mêle des éléments du docétisme et du manichéisme de l’Iran ancien à la doctrine chrétienne. 20. Risse, « Gott », p. 49, 152. 21. Paret, Mohammed, p. 15. 22. À titre d’exemple Watt cite les Ghassanides chrétiens monophysites et les Lakhmides dont le dirigeant, Numan III, était passé au christianisme vers l’an 600. Watt, Maho­ met, Prophète et homme d’État, p. 9. 23. Busse, Beziehungen, p. 11-12. La péninsule Arabique avant la venue de Muhammad 23 connaissance d’un christianisme vivant, fondé sur la Bible et axé sur la mis­ sion conformément au Nouveau Testament. En revanche on peut consi­ dérer comme certaine 24 l’influence en Arabie d’enseignements particuliers, tels que le monophysisme 25, et cela est particulièrement vrai pour le sud de l’Arabie. Le nestorianisme, établi en Mésopotamie, a dû prédominer en Irak 26. L’influence du monophysisme, tout comme celle du nestorianisme, est attestée par le Coran 27, qu’on peut considérer comme un reflet de la doc­ trine chrétienne du vivant de Muhammad 28. W. Montgomery Watt a signalé à juste titre qu’en dehors de la crucifixion (traitée en un seul verset 29), d’une simple allusion aux disciples de Jésus et à quelques-uns de ses miracles, le Coran ne contient uploads/Histoire/ colonies-juives-en-arabie.pdf

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  • Publié le Oct 19, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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