« On n'enseigne plus l'histoire de France à l'école! » Mais on y enseigne quoi

« On n'enseigne plus l'histoire de France à l'école! » Mais on y enseigne quoi alors? Henry Rousso Historien, directeur de recherches su CNRS (Institut d’histoire du temps présent) [1] HISTOIRE - Les critiques actuelles contre les nouveaux programmes d'histoire […] ont quelque chose de fascinant. Non par leur originalité, mais bien au contraire par la récurrence des arguments utilisés depuis plusieurs décennies sur la « disparition de la chronologie » ou l'effacement supposé de l'histoire nationale. Ce sont là des arguments usés jusqu'à la corde,1 qui font référence à un « âge d'or » purement imaginaire de l'enseignement de l'histoire, et semblent nier les progrès considérables faits depuis trente ans en termes d'ouverture sur l'histoire du temps présent, sur l'histoire de la mémoire, sur l'histoire globale, sur l'histoire des périodes sensibles, ou encore sur la dimension réflexive de la discipline. La seule relative nouveauté réside peut-être dans la polytonie du concert des lamentations, des habitués de la vocifération chauviniste, tel Dimitri Casali –« J'ai pris ces nouveaux programmes comme un nouveau coup de poignard à ce qui fonde notre identité » - à des critiques plus pertinentes et mieux informées, comme celle d'Hubert Tison, secrétaire général de l'Association des professeurs d'histoire-géographie, sans oublier les positions alarmistes de quelques-uns de nos grands intellectuels, de Pierre Nora à Pascal Bruckner. [2] Je ne suis pas professeur de collège ou de lycée, et je n'ai pas l'expérience de terrain de ceux qui se battent sur ce qui est devenu un véritable front social et culturel. Je suis encore moins pédagogue, et je n'ai même aucune sympathie pour le « pédagogisme ». Et je n'ai nul intérêt personnel à défendre ou attaquer les programmes d'histoire en cours de concertation. Je les ai simplement lus avec le regard d'un historien de métier, qui s'est intéressé à l'enseignement de l'histoire contemporaine dans le second cycle, maillon2 de la chaîne du savoir à laquelle j'appartiens. Certes, ces projets sont loin d'être parfaits (et je laisse de côté la question des autres disciplines). Mais j'avoue une certaine surprise devant le ton apocalyptique de certains, sans doute le seul moyen d'exister dans notre monde saturé d'opinions de toutes sortes. [3] Tout d'abord faut-il rappeler cette évidence : les programmes scolaires reflètent non seulement l'état d'avancement de l'historiographie savante sur certains sujets (l'esclavage ou les deux guerres mondiales), mais l'esprit dans lequel historiens, sociologues, anthropologues étudient aujourd'hui le passé. D'une manière plus générale encore, ils sont le miroir, sans doute déformé, de la façon dont nos sociétés construisent, élaborent, déterminent une vision du temps qui n'est en rien un élément intangible et immémorial. Or, dans cette perspective, l'histoire n'est plus, et de longue date, envisagée comme une succession de faits établis et cristallisés dans des récits immuables, mais comme une matière relativement changeante en fonction de l'éclairage, que l'on doit connaître pour comprendre le présent, « comprendre le monde actuel », comme le précisent ces programmes, c'est-à-dire le monde tel qu'il est et non tel qu'il devrait être. [4] Plus encore, le passé n'est plus ce « bloc » à vocation identitaire qu'il a pu être un temps, lors de la fondation de la République, non sans quelques oublis majeurs comme l'importance du fait colonial. Il est « réparable »: c'est même l'objet de la plupart des politiques de mémoire actuelles qui ont pour objectif de réparer des injustices ou promouvoir des politiques de reconnaissance, non sans quelques dérives, bien sûr. C'est l'aspect le plus neuf de notre régime d'historicité. En renouant par contre avec une tradition ancestrale, ce passé est également redevenu un réservoir infini d'expériences que l'on va questionner en fonction des enjeux les plus vifs ou les plus marquants de notre présent. Dès lors -on a presque peine à rappeler ces évidences -, l'enseignement de l'histoire ne peut reposer que sur un choix, orienté, limité, contrôlé mais qui ne peut viser une quelconque exhaustivité, laquelle n'a tout simplement aucun sens: qui peut raconter toute l'histoire, même toute l'histoire de France ? Se lamenter contre la disparition des « grands personnages », c'est défendre un choix, qui a sa logique, et même son idéologie, mais qui n'est pas plus légitime que d'autres -et l'est même beaucoup moins. [5] Dès lors également, le sens de l'histoire, y compris dans sa dimension diachronique (la fameuse « chronologie ») ne peut émerger que de la formulation de problèmes, façon de faire qui date de près d'un siècle, depuis les révolutions historiographiques des années 1920 (école des Annales, émergence d'une histoire du temps présent). Ainsi, lorsque le programme envisage de traiter […] « La Première Guerre mondiale et les violences de guerre (inclus le génocide des Arméniens) », il opère un choix qui, sans nier le moins du monde la dimension événementielle (et mondiale) de cet épisode, reflète aussi bien l'évolution de l'historiographie savante que les préoccupations culturelles et politiques d'aujourd'hui comme en témoignent la nature des commémorations du Centenaire focalisées sur les victimes militaires et civiles de tous bords, au risque parfois de perdre de vue pourquoi les gens se sont battus: c'est aux enseignants d'assurer ce rééquilibrage, ce qu'ils ont toujours fait. 1 Des arguments répétés. 2 Anneau d’une chaîne. [6] On pourrait objecter, à juste titre, que le risque est alors de finaliser l'enseignement de l'histoire, de n'étudier que ce qui serait « utile » à la compréhension du présent. Or d'une part, la plupart des critiques ne font que plaider en faveur d'une autre forme d' « utilité », par exemple la préservation d'un « sentiment national » quelque peu anachronique (la France fille aînée de l'Eglise)- et ne défendent nulle part l'idée d'un apprentissage « gratuit », sans finalité, de l'histoire. D'autre part, tous ceux qui ont un peu travaillé sur la transmission du passé savent que l'école n'est qu'un vecteur de mémoire ou de connaissance parmi d'autres. Et c'est loin d'être le plus prégnant comparé à l'influence du cinéma, des jeux, de la télévision, des réseaux sociaux. Il n'y a donc rien de choquant à ce que l'école oriente, elle, l'étude de l'histoire en fonction de problèmes contemporains majeurs. [7] Il est vrai que dans ces nouveaux programmes, l'introduction, pour la première fois, de « sujets obligatoires » et d'autres qui ne le sont pas peut susciter des inquiétudes. Tout comme leur manière de sacrifier à l'air du temps: il est justifié d'insister sur la colonisation ou l'esclavage à la condition de ne pas laisser sous-entendre que ce sont des exclusivités occidentales, une séquelle de l'idéologie victimaire ambiante. Toutefois, ce nouveau dispositif semble limité dans ses effets. […]. [8] Cela s'ajoute au fait que […] les élèves auront eu à étudier les débuts du judaïsme et ceux du christianisme, l'histoire des trois grandes religions monothéistes constituant donc un domaine privilégié des nouveaux programmes. Prétendre que l'histoire de l'Islam s'impose au détriment des autres ne correspond donc pas au texte mis en discussion - et toujours amendable, rappelons-le. Pire ou mieux encore, le caractère obligatoire de certains sujets ne signifie pas ipso facto la disparition des autres : le « Siècle des Lumières » n'est pas obligatoire alors que la Révolution française, elle, l'est. Va-t-on soupçonner les enseignants de vouloir à ce point obéir aux directives officielles qu'ils iraient jusqu'à étudier les idéaux de 1789 sans jamais évoquer Voltaire, Diderot ou Rousseau? [9] C'est pourtant bien ce soupçon que pointe Emmanuel Grange, dans un texte bref mais pertinent: « Programmes d'histoire au collège : à lire avant de démolir », sur le site lewebpedagogique. C'est d'ailleurs sa conclusion sur le « manque de confiance » à l'égard des professeurs qui mérite réflexion. Elle souligne le travers3 habituel des commentaires en la matière: la confusion systématique entre le programme officiel et obligatoire qui a, par définition, une vocation relativement uniforme car devant s'appliquer sur l'ensemble du territoire d'une république qui reste « une et indivisible »; le manuel, qui va l'interpréter plus ou moins librement et qui sera ou non adopté, librement, par tel établissement ou tel enseignant, dans le respect de la diversité éditoriale, marque de la liberté démocratique d'expression ; enfin, le cours effectif délivré par l'enseignant qui exerce son autonomie de choix, un autre fondement de l'école républicaine que les critiques oublient souvent ou cherchent, de fait, à récuser - c'est sans doute là le nœud du problème et le véritable danger. Il faut y ajouter, comme une autre évidence, que tout cela ne préjuge finalement en rien de ce que l'élève va comprendre et assimiler. Toutefois, si l'on en juge par l'intérêt, toujours très marqué en France, pour les fictions, les documentaires ou les livres d'histoire, il faut croire que les générations des ces trois ou quatre dernières décennies, formées paraît-il « à l'absence de chronologie » ou à une « histoire désincarnée », ont néanmoins conservé le goût de l'histoire. Et cela, peut-être un peu, grâce à l'école et à ses enseignants. Disponible dans http://www.huffingtonpost.fr/henry-rousso/on-nenseigne-plus-lhistoire-de-france-a-lecole-mais-on-y- enseigne-quoi-alors_b_7200640.html [03/05/2015]. Activités (Répondez de manière claire et complète, en espagnol et en reformulant l’information du texte) uploads/Histoire/ ensenanaza-de-historia-en-la-escuela-texto-y-guia-frances1.pdf

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  • Publié le Oct 02, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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