Josiane Boulad-Ayoub CONTRE NOUS DE LA TYRANNIE... DES RELATIONS IDÉOLOGIQUES E
Josiane Boulad-Ayoub CONTRE NOUS DE LA TYRANNIE... DES RELATIONS IDÉOLOGIQUES ENTRE LUMIÈRES ET RÉVOLUTION hurtubise hmh Brèches Collection Brèches dirigée par Georges Leroux «En appliquant les principes, qu’on ne craigne pas les brèches. Il est toujours utile de se souvenir que si les bonnes raisons n’ont pas manqué pour ériger ces principes, cela veut dire seulement que les bonnes raisons ont prévalu sur les raisons opposées. Par ces brèches, on met à jour ces raisons opposées.» Bertolt BRECHT CONTRE NOUS DE LA TYRANNIE... DES RELATIONS IDÉOLOGIQUES ENTRE LUMIÈRES ET RÉVOLUTION Josiane Boulad-Ayoub CONTRE NOUS DE LA TYRANNIE... DES RELATIONS IDÉOLOGIQUES ENTRE LUMIÈRES ET RÉVOLUTION hurtubise hmh Brèches Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération canadienne des études humaines, dont les fonds proviennent du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada. Editions Hurtubise HMH ltée 7360, boulevard Newman Ville de Lasalle, Québec H8N 1X2 Canada Téléphone: (514) 364-0323 Dépot légal/ Quatrième trimestre 1989 Bibliothèque nationale du Canada Bibliothèque nationale du Québec. ISBN 2-89045-867-9 © Copyright 1989 Éditions Hurtubise HMH limitée Imprimé au Canada «Ainsi, le tableau des progrès de la philosophie et de la propagation des lumières, dont nous avons exposé déjà les effets les plus généraux et les plus sensibles, va nous conduire à l’époque où l’influence de ce progrès sur l’opinion, de l’opinion sur les nations ou sur leurs chefs, cessant tout à coup d’être lente et insensible, a produit dans la masse entière de quelques peuples, une révolution qui en présage une pour la généralité de l’espèce humaine. [...] En France, Bayle, Fontenelle, Voltaire, Montesquieu, et les écoles formées par ces hommes célèbres, combattirent en faveur de la raison, employant tour à tour toutes les armes que l’érudition, la philosophie, l’esprit, le talent d’écrire peuvent fournir à la raison; [...] prenant enfin pour cri de guerre, raison tolérance, humanité. [...] En comparant la disposition des esprits, dont j’ai tracé l’esquisse, avec ce système politique des gouvernements, on pouvait aisément prévoir qu’une grande révolution était infaillible; et il n’était pas difficile de juger qu’elle ne pouvait être amenée que de deux manières: il fallait ou que le peuple établit lui-même ces principes de la raison et de la nature, que la philosophie avait su lui rendre si chers; ou que les gouvernements se hâtassent de les prévenir, et réglassent leur marche sur celle de ses opinions. L’une de ces révolutions devait être plus entière et plus prompte, mais plus orageuse; l’autre plus lente, plus incomplète, mais plus tranquille: dans l’une, on devait acheter la liberté et le bonheur par des maux passagers; dans l’autre on évitait ces maux, mais en retardant pour longtemps, peut-être, la jouissance d’une partie des biens qui en étaient la suite infaillible. La corruption et l’ignorance des gouvernements ont préféré le premier moyen; et le triomphe rapide de la raison et de la liberté a vengé le genre humain.» (Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1793). Josiane Boulad-Ayoub CONTRE NOUS DE LA TYRANNIE... DES RELATIONS IDÉOLOGIQUES ENTRE LUMIÈRES ET RÉVOLUTION hurtubise hmh Brèches «Fût-ce nos propres fils, nos frères ou nos pères S’ils sont tyrans, Brutus, ils sont nos adversaires Un vrai républicain n’a pour père et pour fils Que la vertu, les dieux, les lois et son pays» (Voltaire, La mort de César) INTRODUCTION Du sujet au citoyen Lucius Junius Brutus. Fondateur de la République. L’an de Rome 244. Burin par Pierre Audoin d’après Malenchon, Paris, Bibliothèque Nationale. C’est la faute à Voltaire! c’est la faute à Rousseau! Madame de Genlis était persuadée, à en croire une petite pièce qu’elle composa pour des enfants de l’école primaire sous Bonaparte 1, que la Révolution avait été le fruit d’un complot ourdi par le «parti philosophique» autour de la table du baron d’Holbach. L’historien qui se penche sur les relations entre les Lumières et la Révolution rencontrant, d’aventure, ce type d’interprétation, passera outre le plus souvent en haussant les épaules. Mais pour le théoricien de la culture et de l’idéologie qui tente d’appliquer ses schèmes généraux d’explication à l’analyse d’une société concrète et des forces qui la définissent, y compris celles ressortissant à l’ordre symbolique, cette opinion, au contraire, vaut plus qu’une simple anecdote. Comme fait culturel, elle illustre surtout l’attitude des contemporains envers les sources symboliques et idéologiques de la Révolution. Et aux yeux de quelqu’un qui conçoit la culture, telle que je m’efforce de la chercher dans cette direction, comme un sous-système social dont la fonction est principalement d’ordre symbolique 2, le discours de Madame de Genlis sur l’esprit des Lumières dont elle présente l’achèvement comme nécessairement révolutionnaire, est assez remarquable. J’ajouterais même, tongue in cheek, que l’on y retrouve d’emblée l’essentiel de ce que je vais tenter de démontrer au cours de ces pages. Par delà son caractère naïf évident, le discours en question est révélateur de quelques-uns des aspects de ce que le philosophe doublé du socio-sémioticien a coutume d’appeller l’efficacité du symbolique; c’est, bien sûr, en ce sens, qu’il m’apparaît tout à fait précieux. J’entends aussi par efficacité du symbolique les modes d’action de ce que je nomme l’activité symbolique à valence idéologique. Autrement dit, une activité signifiante dont les effets à l’intérieur de l’organisation culturelle, gérante et gardienne du «koînon»3, sont directement polémiques et indirectement politiques. L’élaboration idéologique des productions signifiantes qui circulent dans une société donnée, à un certain moment donné de son histoire, s’accompagne nécessairement de la redéfinition des rapports socio- symboliques entre les sujets-agents interprétants, de leurs discours CONTRE NOUS DE LA TYRANNIE... 4 et de leurs pratiques. L’analyse de ces processus pemet alors de dégager le schème précis qu’ils mettent en oeuvre mais auquel leur dialectique est pourtant soumise: la «mimêsis» symbolique4, c'est- à-dire le schème de simulation-originalité qui régit, de manière générale, le travail psychique et social de la représentation- interprétance. Telles seraient formulées, en résumé, les thèses que je soutiens à propos des déterminations culturelles et idéologiques de la sémiosis sociale. Elles fournissent leur armature théorique aux analyses que je présenterai dans le corps de cet essai. J’y examine, en tant que liés conceptuellement à ces notions-principes5 dont s’est réclamé le discours révolutionnaire, certains thèmes récurrents dans le discours des Philosophes et je tente de définir leur valeur idéologique en regard des débuts de la «grande Révolution». À leur tour, les présupposés généraux, ontologiques et méthodologiques, qu’enveloppent pareilles thèses orienteront, on s’en doute, l’examen que je présente ici d’un moment particulier de la culture européenne. Une période s’étendant sur un demi-siècle environ, de 17506 à l'année 1814 qui marque historiquement la fin de l’action des Lumières comme force politique, période qui a pour foyer d’agitation intellectuelle, la construction de l’esprit philo- sophique: les progrès, les conquêtes d’une raison à la fois amie de la vérité et des hommes, dans tout le domaine théorique et pratique jusqu’à la victoire sans partage qui voit la matérialisation socio- politique de son règne dans la langue, dans les lois, dans les moeurs et dans les institutions de la jeune République. Mon examen se fonde, du point de vue ontologique, sur une conception dynamique de la réalité sociale et de la causalité récursive qui détermine son organisation. De tels postulats généraux se monnayeront, en l’occur- rence, par l’analyse d’un échange socio-symbolique précis: l’in- fluence des Philosophes sur la Révolution, et réciproquement, même si cela apparaît, à première vue, paradoxal, le rôle de la Révolution pour créer cette influence auprès des contemporains, voire de la postérité. J’emprunterai, pour les besoins méthodologiques, le point de vue et le langage systémiste. Je soutiens, en d’autres mots, que l’image collective que nous autres hommes du XXe siècle finissant, nous nous faisons du XVIIIe siècle philosophique et révolutionnaire présente au moins deux caractères dont nous devons être conscients si nous voulons analyser du point de vue de ses déterminations idéologiques, la relation qui lie le discours des Lumières à la Révolution, et réciproquement le discours de la Révolution aux Lumières. L’image 5 DU SUJET AU CITOYEN collective dont nous avons hérité constitue en fait une image- gigogne qui est en même temps une image indéfiniment flexible, plastique. L’image globale que nous nous formons7 aujourd’hui du XVIIIe siècle philosophique et révolutionnaire, du moins de certains de ses aspects, apparaît alors non seulement comme une des productions socio-symboliques propres à notre culture mais comme la reproduction-reconstruction des représentations qui l’ont précédée et auxquelles elle a dû avoir accès pour se constituer. C’est le dernier modèle d’une série donnée, la dernière forme que prend la stabilisation relativement temporaire d’un ensemble socio- symbolique transmissible donné. Et l’on est en droit de penser que la stabilisation dont je parle est elle-même fonction de la conjoncture idéologique et culturelle d’ensemble. Notre image du XVIIIe siècle est donc une image-gigogne dans le sens où elle enveloppe une constellation d’images, mais dont nous avons prétendu aussi qu’elle est malléable, plastique. Cette plasticité jouera aussi bien horizontalement que verticalement: les diverses images contenues dans la constellation ne sont pas identiques, même si elles s’engendrent l’une l’autre. Les produits finis qui sont mis au uploads/Histoire/ contre-nous-de-la-tyrannie.pdf
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- Publié le Apv 13, 2021
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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