1 TRAVAUX DIRIGES – 1ère année de Licence en droit DROIT CIVIL – 2ème semestre

1 TRAVAUX DIRIGES – 1ère année de Licence en droit DROIT CIVIL – 2ème semestre Cour de Monsieur le Professeur Laurent Leveneur QUINZIÈME SEANCE Thème : LE PATRIMOINE Correction Cette quinzième séance de travaux dirigés est l’occasion de s’attarder sur l’une des plus importantes constructions juridiques du droit français : la théorie du patrimoine. Développée au milieu du XIXème siècle par Aubry et Rau qui prennent pour point de départ les travaux de la science juridique allemande et notamment l’ouvrage de Carl Salomon Zachariae (1808), cette théorie repose sur l’idée que le patrimoine est intrinsèquement lié à la personnalité. Selon ces auteurs (Doc. 1), le patrimoine est une universalité de droit qui regroupe la totalité des biens, présents et à venir, d’une même personne. Contenant, le patrimoine désigne l’ensemble de l’actif et du passif d’un sujet de droit. De cette construction intellectuelle découle trois règles : - tout patrimoine suppose à sa tête une personne dotée de la personnalité juridique ; - toute personne a nécessairement un patrimoine ; - toute personne n’a qu’un patrimoine ; celui-ci est indivisible et ne peut donc être fractionné en sous-universalités juridiques distinctes. 2 Évidemment, et les auteurs le reconnaissent, ces trois règles ne sauraient être considérées comme absolues (Doc. 1 & 2). La théorie connait, dès le départ, des tempéraments. Dans un certain nombre d’hypothèses en effet, le droit français du XIXème siècle admet l’existence d’universalités distinctes du patrimoine principal du sujet de droit (en matière de majorat, de gestion des biens réservés de la femme mariée, ou encore en droit des successions, lors de l’acceptation sous bénéfice d’inventaire). Ce faisant, l’idée d’unicité du patrimoine ne manqua pas d’être critiquée par d’éminents auteurs, tels que Gény, qui souligna très tôt les limites –et parfois même les dangers– de l’édifice posé par Aubry et Rau. Malgré ces imperfections, force est de constater que la théorie de l’unicité du patrimoine demeure, encore aujourd’hui, apte à structurer le discours et la pensée juridiques (Doc. 3). Son rayonnement et sa portée didactique lui permettent d’éclairer le sens de nombreuses règles du code civil. Ainsi, l’unicité du patrimoine explique l’article 2284 du code civil, qui dispose que l’ensemble des biens d’une personne répond de la totalité de ses dettes (Doc. 4). Elle justifie également la solution posée à l’article 785 du code, qui prévoit que l’acception pure et simple de la succession emporte transmission de l’entièreté du patrimoine du défunt, actif comme passif (doc. 10). Il arrive même que la jurisprudence y fasse écho, en hissant la théorie au rang de principe. L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 22 juin 1993 en témoigne (Doc. 5). L’espèce concernait la demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre d’un commerçant qui se voyait réclamer le paiement d'une créance civile née antérieurement à l'acquisition de la qualité de commerçant. La Cour d’appel d’Amiens ayant confirmé l’ouverture de la procédure par un arrêt du 22 mars 1990, le commerçant forma un pourvoi en cassation contre cette décision en lui reprochant d'avoir violé l'article 2 de la loi du 25 janvier 1985. À suivre le raisonnement du pourvoi, la violation aurait consisté à admettre qu'un créancier puisse demander l'ouverture de la procédure sans justifier d'une créance née de la qualité de commerçant, qualité exigée par l'article 2 de la loi. La Chambre commerciale rejeta le pourvoi en énonçant que c'est à bon droit qu'en application du « principe de l'unité du patrimoine », l'arrêt a retenu que la dette contractée par le débiteur avant l'exercice de son activité commerciale avait continué à grever son patrimoine lorsqu'il était devenu commerçant et que la nature de cette dette importait peu, dès lors qu'à la date de l'ouverture de la procédure collective, le débiteur avait effectivement la qualité de commerçant. 3 L’importance pratique de la théorie de l’unicité du patrimoine explique certainement pourquoi l’avant-projet de réforme du droit des biens envisage de l’inscrire dans le marbre du code (Doc. 6). Ainsi, le futur article 519 du code civil pourrait disposer : « Le patrimoine d’une personne est l’universalité de droit comprenant l’ensemble de ses biens et obligations, présents et à venir, l’actif répondant du passif ». Le projet prévoit même de développer les implications de la théorie : « Toute personne physique ou morale est titulaire d’un patrimoine et […] d’un seul ». Empreint de réalisme, l’avant-projet précise néanmoins que l’unicité du patrimoine n’est pas absolue ; la règle vaut seulement lorsque la loi n’en dispose pas autrement. La réserve est heureuse, tant les exceptions à la théorie sont légions. Un des premiers tempéraments à la théorie du patrimoine figure à l’article L. 526-1 du Code de commerce (Doc. 7). Introduit dans le code de commerce par loi n° 2003-721 du 1 août 2003, l’article permet à tout entrepreneur individuel de rendre insaisissable sa résidence principale ainsi que tout immeuble non affecté à son activité professionnelle. Initialement, le mécanisme était optionnel et imposait qu’une déclaration d’insaisissabilité soit faite par l’entrepreneur. Renforçant la protection du patrimoine personnel de l’entrepreneur, la loi n°2015-990 du 6 août 2015 rend désormais la résidence principale insaisissable de droit. Une déclaration reste cependant nécessaire pour interdire aux créanciers professionnels de saisir les éventuelles résidences secondaires non affectées à l’usage professionnel. Le procédé aboutit dès lors à tempérer certaines conséquences de la théorie du patrimoine. S’il ne va pas jusqu’à à créer un patrimoine d’affectation, il nuance fortement les dispositions de l’article 2284 du code civil. En permettant à l’entrepreneur de faire échapper certains de ses biens personnels à l’emprise de ses créanciers professionnels, l’article L.526-1 contredit la règle traditionnelle selon laquelle l’ensemble de l’actif répond de la totalité du passif. Ouverte à chaque entrepreneur, la possibilité de recourir au régime de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (« EIRL ») atténue plus fortement encore la théorie du patrimoine (Doc.8). Issue de la loi n°2010-658 du 15 juin 2010, l’EIRL permet la création d’un patrimoine sur patte, d’une universalité juridique distincte du patrimoine personnel de l’entrepreneur à laquelle est affectée l’ensemble des biens nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle. Véritable patrimoine d’affectation, celui-ci permet aux professionnels de 4 disposer, ni plus ni moins, de deux patrimoines ; « le patrimoine d’entreprise, dans lequel l’entrepreneur travaille, et le patrimoine personnel où il s’endort et se repose1 ». L’arrêt rendu le 27 septembre 2018 par la première chambre civile de la Cour de cassation (doc. 9) illustre les conséquences susceptibles de découler de ce fractionnement du patrimoine en deux sous ensemble autonomes. En l’espèce, un entrepreneur avait choisi d’exercer son activité sous le statut d’EIRL. Confronté à des difficultés en raison de dettes non professionnelles, il sollicita l’ouverture d’une procédure de traitement de sa situation financière auprès de la commission de surendettement des particuliers. Statuant en premier et dernier ressort, un tribunal d’instance refusa de faire droit à sa demande. Pour les juges du fond, la demande de l’entrepreneur était irrecevable au motif qu’il exerçait son activité professionnelle sous le statut d’EIRL, ce qui le privait en conséquence du bénéfice de la procédure de surendettement des particuliers. En réponse, l’entrepreneur forma un pourvoi en cassation reposant sur l’interrogation suivante : l’exercice d’une activité professionnelle sous le statut d’EIRL fait-il obstacle au traitement de la situation financière personnelle de l’entrepreneur individuel dans le cadre de la procédure de surendettement des particuliers ? La Haute juridiction répondit par la négative. La seule circonstance que le patrimoine affecté de l’EIRL relève de la procédure relative au traitement des difficultés des entreprises n’est pas de nature à exclure le patrimoine non affecté de la procédure de traitement des situations de surendettement. Logique, la solution découle du cloisonnement des deux patrimoines de l’entrepreneur EIRL. L’insaisissabilité de certains biens et la possibilité de créer un patrimoine d’affectation ne sont pas les seules exceptions que connaît la théorie de l’unicité du patrimoine. Déjà existante au milieu du XIXème siècle, l’acceptation sous bénéfice d’inventaire de la succession, désormais connue sous les termes d’ « acceptation à concurrence de l’actif net » est une dérogation traditionnelle à l’unicité du patrimoine (Doc. 10). Prévue à l’article 791 du code civil, cette forme d’option à la succession permet de maintenir le statut ante mortem : les patrimoines respectifs du successeur et du défunt constituent deux masses autonomes. À l’opposé de la solution prévue à l’article 785 du code civil, l’acceptation à concurrence de l’actif net permet à 1 J.-D. BREDIN, « Rapport sur le patrimoine d'affectation » in Colloque CRDA de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, 1968-1988 : vingt ans de recherches pluridisciplinaires... à propos des structures juridiques de l'entreprise, 23 nov. 1988. 5 l’héritier d’être titulaire de deux patrimoines : de son patrimoine personnel et du patrimoine successoral. Enfin, certains mécanismes importés d’outre-Manche atténuent également la portée de la théorie du patrimoine (Doc. 11). Inspirée du Trust anglo-saxon et introduite dans le code civil par la loi du 19 février 2007, la fiducie est une opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des uploads/Histoire/ corrige-td15.pdf

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  • Publié le Jan 11, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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