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Table des matières Couverture Page de titre Page de copyright INTRODUCTION de Dominique Lecourt I. De l'animal à l'homme Un monde de chien La période sensible La belle et les bêtes II. Le pointer du doigt Le premier mot Autistes et « enfants-placards » L'ontogenèse du gobelet III. Les objets d'attachement La fonction-nounours L'odeur de l'autre Le premier sourire IV. La liberté par la parole L'inné acquis Un tabou : les incestes réussis L'aventure humaine de la parole DÉBAT entre Dominique Lecourt et Boris Cyrulnik BIBLIOGRAPHIE © Librairie Arthème Fayard/Pluriel, 2010. © Hachette Littératures, 1995. 978-2-818-50046-0 Du même auteur Les vilains petits canards, Odile Jacob, 2001. L'homme, la science et la société, L'Aube, 2000. Dialogue sur la nature humaine, avec Edgar Morin, L'aube, 2000. Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 1999, réédition coll. « Opus », 2002. Si les lions pouvaient parler, dir., Gallimard, Quarto, 1998. L'intelligence avant la parole, nouvelles approches du bébé, dir., ESF, 1998. L'ensorcellement du monde, Odile Jacob, 1997, réédition coll. « Opus », 2001. De la parole comme d’une molécule, Le Seuil, coll. « Points », 1995. De l’inceste (avec Françoise Héritier et Aldo Naouri), Odile Jacob, 1994. Les nourritures affectives, Odile Jacob, 1993, réédition coll. « Opus », 2000. Le visage : sens et contresens (sous la direction de), Eshel, 1998. Dans la même collection : Sous le signe du lien. Mémoire de singe et paroles d’homme. Cet ouvrage a été publié pour la première fois dans la collection « Questions de science », dirigée par Dominique Lecourt. Dépôt légal : Novembre 2010. Collection fondée par Georges Liébert et dirigée par Joël Roman INTRODUCTION Longtemps les hommes se sont employés à sur-humaniser l'animal pour alléger leur pensée de ses tourments les plus aigus et trouver dans une vénération partagée un lien qui les unît. Les paléontologues nous ont appris comment les hommes préhistoriques, dès le paléolithique supérieur, tentaient de se forger « une certaine image de l'ordre universel » (André Leroi- Gourhan) en disposant sur les parois de leurs cavernes des figures symbolisées, qu'ils empruntaient essentiellement aux animaux : bisons et chevaux, félins et rhinocéros... Les conflits d'interprétation qui, pendant des décennies, divisèrent les ethnologues sur la signification et la réalité à accorder au « totémisme » ont fait apparaître le règne animal comme le réservoir inépuisable des marques grâce auxquelles la < pensée sauvage » opère ses catégorisations sociales. Des animaux, familiers ou fabuleux, parcourent les grandes mythologies, du Minotaure crétois au serpent emplumé du Mexique précolombien ; leurs corps apparaissent façonnés, déformés jusqu'au difforme, par les mortels qui leur ont assigné un rôle à la démesure de leurs craintes viscérales et de leurs désirs irréductibles. La pensée grecque, à la notable exception d'Épicure (341-270 av. J.-C.), prenant le chemin de la philosophie, a retourné ce culte en pur mépris ou en simple condescendance. Lorsque Platon (428-348 av. J.-C.) en vient dans le Timée à parler des animaux, c'est pour laisser entendre qu'il s'agit d'êtres humains dégénérés : « La race des oiseaux provient par une légère métamorphose (des plumes dont elle s'est couverte, au lieu de poils) de ces hommes sans malice, mais légers, qui sont curieux des choses d'en haut mais qui s'imaginent que c'est par la vue qu'on obtient à leur sujet les démonstrations les plus fermes. » On comprend que le souci de la classification zoologique soit resté étranger à un penseur qui se livre ainsi au délire de la métaphore. Aristote, qui fut son disciple, s'en démarque et passe, à juste titre, pour le fondateur de l' « histoire naturelle » : ses observations sur les animaux, des abeilles aux requins, couvrent plus de cinq cents espèces différentes, dont cent vingt espèces de poissons et soixante espèces d'insectes ; elles témoignent d'un extrême souci de précision. Mais l'intention de cette immense enquête ne doit pas être perdue de vue : elle ne vise nullement la pure description. Aristote entend bien plutôt apporter la preuve qu'il existe une « intention », un « dessein », dans la structure des êtres vivants. Cette intention manifeste non l'acte d'un créateur, mais l'existence d'une échelle unique de l'être qui, par degrés de perfection croissante, « monte » des objets inanimés aux plantes, puis aux animaux et aux hommes. L'homme y apparaît comme un animal ; mais c'est d'un « animal raisonnable » qu'il s'agit. Si l'« âme nutritive » existe dans les plantes comme chez les animaux, si tous les animaux disposent en outre d'une « âme sensitive » par laquelle ils accueillent les sensations et ressentent plaisir et douleur, seul l'homme est supposé disposer en outre d'un intellect. La pensée occidentale mettra des siècles à se libérer de l'anthropocentrisme qu'implique une telle conception ; d'autant qu'il s'est trouvé renforcé dans la pensée chrétienne par la référence au texte de la Genèse où il est écrit que Dieu a destiné l'homme, créé à son image et à sa ressemblance, à « régner sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur la terre entière, et sur tous les reptiles qui rampent sur le sol ». La succession des actes créateurs instaure une discontinuité entre l'homme et l'animal. Si l'homme, par son « âme intellective » (saint Thomas) immatérielle et immortelle, participe seul à la nature divine, l'animal subit une sorte de discrédit ontologique radical. Animal, l'homme le reste pourtant irrémédiablement. Et l'animalité hantera pour longtemps l'humanité comme son intime menace. Michel Foucault (1926-1984) a bien montré la présence persistante de ce fantasme au cœur de l'âge classique, au moment où se définit la « raison » occidentale. « La folie, écrit-il, citant Jean-Étienne Esquirol (1772-1840), emprunte son visage au masque de la bête. » Cette hantise s'enracine « dans les vieilles peurs qui, depuis l'Antiquité, depuis le Moyen Âge surtout, ont donné au monde animal sa familière étrangeté, ses merveilles menaçantes, et tout son poids de lourde inquiétude ». Pourtant désormais, l'animal en l'homme ne renvoie plus à quelque au-delà mystérieux, il « est » sa folie, à l'état de nature. Lautréamont (1846-1870), après Emmanuel Kant (1724-1804), témoignera encore de la force de cette conviction occidentale, d'origine chrétienne : l'animal appartient à la contre-nature, à une négativité qui met en péril, par sa bestialité, l'ordre et la sagesse supposée de la nature, à commencer par celle de l'homme. Quoi qu'il en soit, un tel mode de pensée faisait corps dans la pensée antique avec le géocentrisme auquel Claude Ptolémée donna au II e siècle apr. J.-C. ses lettres de noblesse mathématiques. Repris par les théologiens, il signifiait que, par la volonté du Créateur, la finalité de la nature plaçait l'homme au sommet de la création, exactement comme il avait installé la Terre immobile au centre des orbes célestes qui composaient le cosmos. Il est d'autant plus remarquable que l'ébranlement puis la chute du géocentrisme au début du XVII e siècle n'aient pas conduit la pensée philosophique à déloger l'homme de la place prééminente qu'il s'était réservée dans le cadre de ce qu'on ne tardera pas à appeler l' « économie naturelle ». Les circonstances auront voulu que les animaux aient pâti, au contraire, de la constitution de la physique moderne : dès lors qu'il apparaissait nécessaire d'identifier la matière à l'étendue pour dépouiller le mouvement de toute mystérieuse finalité interne et lui appliquer les mathématiques sous les espèces de la toute nouvelle « géométrie analytique », il fallait que la distinction entre substance pensante et substance étendue fût nette et tranchée ; inscrite dans le cadre d'une version remaniée de la création, une telle distinction aboutissait à refuser toute pensée à l'animal. Et c'est ainsi que, de façon très cohérente, René Descartes (1596- 1650) traita les animaux comme des machines. Dans une célèbre lettre à Newcastle datée du 23 novembre 1646, le philosophe affronte la difficulté sans détour. Après avoir expliqué que « les paroles ou autres signes faits à propos »sont les seules « actions extérieures » qui témoignent de l'existence dans nos corps d'une « âme qui a des pensées », il montre que ce critère exclut le « parler » des perroquets mais aussi les « signes » de la pie qui dit bonjour à sa maîtresse : « Ce sera un mouvement de l'espérance qu'elle a de manger, si l'on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise, lorsqu'elle l'a dit. » Il en va de même de toutes les choses qu'on fait faire « aux chiens, aux chevaux et aux singes ». De fait, conclut René Descartes : « Il ne s'est jamais trouvé aucune bête si parfaite qu'elle ait usé de quelques signes pour faire entendre à d'autres animaux quelque chose qui n'eût point de rapport à ses passions. » À ceux qui lui objectent que « les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous », il réplique : « Cela même sert à prouver qu'elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu'une horloge, laquelle montre mieux l'heure qu'il est, que notre jugement ne nous l'enseigne. » Hirondelles, mouches à uploads/Histoire/ cyrulnik-boris-la-naissance-du-sens-fayard-pluriel.pdf

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  • Publié le Jul 13, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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