DE L'ALGÉRIE À LA FRANCE. LES CONDITIONS DE DÉPART ET D'ACCUEIL DES RAPATRIÉS,

DE L'ALGÉRIE À LA FRANCE. LES CONDITIONS DE DÉPART ET D'ACCUEIL DES RAPATRIÉS, PIEDS-NOIRS ET HARKIS EN 1962 Abderahmen Moumen La contemporaine | « Matériaux pour l’histoire de notre temps » 2010/3 N° 99 | pages 60 à 68 ISSN 0769-3206 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre- temps-2010-3-page-60.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La contemporaine. © La contemporaine. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Antérieurement, les pouvoirs publics ont déjà eu à faire face au reflux de populations des anciennes possessions françaises qui accèdent à l’indépendance, comme l’Indochine, le Maroc et la Tunisie et dans une moindre mesure l’Afrique noire, ou suite aux expulsions d’Égypte des ressor- tissants français. De 1956 à 1961, ce sont près de 500 000 personnes qui s’installent sur le territoire métropolitain, première expérience de ce type de migration politique. Cependant, l’exode des rapa- triés d’Algérie est différent par son aspect massif. Ainsi, en quatre mois, il y eut autant de réfugiés qu’en cinq ans pour les précédentes migrations liées à la décolonisation française. Jusqu’en mars 1962, les Français d’Algérie dans leur ensemble espèrent encore une solution qui mettrait un terme à cette « guerre sans nom ». Les accords d’Évian, signés le 18 mars 1962 et proclamés le lendemain, entérinent le cessez-le- feu sans que cela signifie l’arrêt de la violence. Ils doivent permettre la tenue d’un référendum d’au- todétermination. Et dans la perspective quasi- assurée d’une indépendance de l’Algérie, ces accords stipulent que les biens et les personnes doivent être respectés 1. Cependant, la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962 à Alger, les atten- tats OAS et FLN et, enfin, les enlèvements et assassinats, durant cette phase transitoire de la fin de l’Algérie française, précipitent l’exode vers la France, voire l’Espagne 2, des Français d’Algérie toutes origines confondues. Une partie des Français de souche nord-africaine — les FSNA pour reprendre la terminologie de l’époque —, engagés aux côtés de la France durant la guerre d’Algérie, réussit à prendre les chemins de l’exil devant les menaces et les premiers massacres dont ils font l’objet. C’est donc dans ce climat de violence que ces migrants coloniaux vont, en se réfugiant et en se réinstallant en France, former ce que l’on nom- mera désormais les rapatriés d’Algérie, qu’ils soient regroupés sous le vocable devenu si fami- lier de pieds-noirs, de juifs d’Algérie ou de harkis. Cet article se veut ainsi une synthèse, dans le cadre d’une approche comparative, sur les condi- tions de départ en Algérie et d’accueil en France de ces populations. De la diversité des rapatriés d’Algérie Derrière le terme de rapatriés d’Algérie se cache une réalité beaucoup plus complexe de ces hommes et ces femmes qui quittent l’Algérie pour des motifs politiques au sortir de la guerre. 1. Charles-Robert Ageron, « Les Accords d’Evian (1962) », Vingtième Siècle, 35, juillet-septembre 1992, pp. 3-15. 2. Sempere Souvannavong Juan David, Los Pieds-Noirs en Alicante. Las migraciones inducidas por la descolonizacion, coll. Publicaciones de la Universidad de Alicante, Mémoria de licenciatura : Geografia humana, Universidad de Alicante, 1997. De l’Algérie à la France Les conditions de départ et d’accueil des rapatriés, pieds-noirs et harkis en 1962 Abderahmen MOUMEN ABDERAHMEN MOUMEN, historien et chercheur associé au centre de recherche historique sur les sociétés méditerra- néennes (CRHiSM) de l’Université de Perpignan. © La contemporaine | Téléchargé le 08/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.30.139.211) © La contemporaine | Téléchargé le 08/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.30.139.211) Des Européens d’Algérie aux pieds-noirs La population la plus importante parmi les rapatriés d’Algérie est constituée des Européens, communément appelés pieds-noirs à partir de la fin de la guerre d’Algérie. Pour de nombreux auteurs, le terme de pied-noir, dont la genèse reste encore mystérieuse, réapparaît au milieu des années 1950 avec la guerre d’Algérie 3. Sans s’ar- rêter sur les nombreuses explications pittoresques, l’emploi de cette formule proviendrait d’une bande de jeunes Européens, engagés contre l’in- dépendance, du quartier du Ma’arif à Casablanca, terme ensuite médiatisé par la presse locale en 1952-1953. L’expression passerait ensuite du Maroc à l’Algérie durant la guerre, employée de manière péjorative en 1962 puis revendiquée comme élément identitaire en France 4. L’histoire de la présence française en Algérie débute en 1830 avec l’amorce de la conquête. S’installe, dans les années qui suivent et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, une population com- posite quittant leur patrie pour des raisons poli- tiques, sociales ou économiques. Outre l’apport naturel des Français, il faut ajouter l’installation de nombreux étrangers d’Europe centrale (Allemands, Suisses) et surtout méridionale : les Espagnols 5, les Italiens 6 et les Maltais 7. En 1847, 47 724 Français, 31 528 Espagnols, 8 788 Maltais et 8 175 Italiens sont présents en Algérie 8. Avec la loi du 24 juin 1889, tous les fils d’étrangers nés en Algérie sont naturalisés automatiquement. En 1901, 583 844 personnes d’origine européenne sont établies en Algérie. En 1960, 1 021 047 Fran- çais « de statut civil de droit commun » résident en Algérie, la majorité des « musulmans », quoi- que Français, demeurent sous le statut de droit local musulman ou berbère. Ainsi, cette population d’Algérie constitue une population largement hétérogène par ses origines. La conscience commune d’appartenir à une même « communauté » ne se dessine véritable- ment qu’avec la rupture de 1962, l’exil consti- tuant le groupe social pied-noir. Des israélites indigènes aux juifs d’Algérie Généralement, les juifs d’Algérie sont étroite- ment associés aux Européens d’Algérie, même si pour certains, ils constitueraient une population distincte que seule l’année 1962 et le départ pour la France lierait aux pieds-noirs. Une population particulière du fait d’une his- toire singulière par la présence du judaïsme qui est attestée en Algérie depuis au moins 2000 ans 9. À ceux-ci, s’ajoutent les juifs expulsés d’Espagne en 1492, constituant alors des communautés 3. Joëlle Artigau-Hureau, « Les pieds-noirs existent-ils ? », in Charles-Robert Ageron (sd), L’Algérie des Français, Point-Histoire, Éditions du Seuil, Paris, 1993, pp. 329-334 ; Michèle Baussant, Pieds-noirs, mémoires d’exils, Stock, 2002, pp. 396-411 ; Jean- Jacques Jordi, Les Pieds- noirs, Paris, Le Cavalier Bleu, 2009. 4. Éric Guerrier, « En finir avec les pieds-noirs », L’Algérianiste, n° 95, 2001, pp. 44-46. 5. Jean-Jacques Jordi, Les Espagnols en Oranie. Histoire d’une migration. 1830-1914, Gandini, 1996. 6. Gérard Crespo, Les Italiens en Algérie, Gandini, 1994. 7. Marc Donato, L’émigration des Maltais en Algérie, Montpellier, Africa Nostra, 1985. 8. Charles-André Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine, Paris, Puf, 1964, pp. 250-251. 9. Richard Ayoun et Bernard Cohen, Les Juifs d’Algérie, deux mille ans d’histoire, Éditions Jean-Claude Lattès, coll. Judaïques, Paris, 1982. La France et la Méditerranée : ambition de puissance, perceptions, interactions • 61 Départ des réfugiés harkis de Bône, Constantine, novembre 1962. Coll. SCA-ECPAD. © La contemporaine | Téléchargé le 08/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.30.139.211) © La contemporaine | Téléchargé le 08/06/2021 sur www.cairn.info (IP: 190.30.139.211) urbaines très importantes à Oran, Tlemcen, Alger, Constantine, et pratiquant le rite sépharade diffé- rent du rite ashkénaze des juifs d’Europe centrale et orientale. Le 24 octobre 1870, le ministre de la Justice, Adolphe Crémieux, chargé des Affaires algériennes, propose la naturalisation collective des israélites d’Algérie. Le décret Crémieux fut le point de départ de l’intégration, voire de l’assimi- lation, des juifs d’Algérie à la France : « Les israé- lites indigènes des départements de l’Algérie sont déclarés citoyens français : en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront, à comp- ter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française : tous droits acquis jusqu’à ce jour restent inviolables. » Par l’accomplissement d’un profond processus d’assimilation à la culture française (primauté à la langue française et à l’apprentissage de l’histoire de France, francisation du judaïsme algérien, dis- tance vis-à-vis de la culture arabe), et malgré la « crise antijuive » de la fin du XIXe siècle, l’anti- sémitisme des années 1930 et l’épisode vichys- sois avec l’abolition du décret Crémieux, les juifs d’Algérie se sentent pleinement appartenir à uploads/Histoire/ de-l-x27-algerie-a-la-france.pdf

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  • Publié le Aoû 21, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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