Inge Bartning Michèle Noailly Du relationnel au qualificatif : Flux et reflux I
Inge Bartning Michèle Noailly Du relationnel au qualificatif : Flux et reflux In: L'information grammaticale, N. 58, 1993. pp. 27-32. Citer ce document / Cite this document : Bartning Inge, Noailly Michèle. Du relationnel au qualificatif : Flux et reflux. In: L'information grammaticale, N. 58, 1993. pp. 27- 32. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/igram_0222-9838_1993_num_58_1_3152 DU RELATIONNEL AU QUALIFICATIF : FLUX ET REFLUX Inge BARTNING et Michèle NOAILLY 1. INTRODUCTION On dispose depuis quelques années d'une littérature abondante concernant l'adjectif de relation, et plusieurs de ces travaux ont mis en valeur l'ambiguïté de statut de ces adjectifs (cf. en particulier Kalik 1967, Bartning 1976/ 80, Bartning 1984, Tamba-Mecz 1980, Pinchon 1984 et pour l'anglais Ljung 1970, Warren 1984 et Leitzke 1989, pour l'allemand Magnusson à paraître). Il ne s'agira pas dans les pages qui suivent de revenir sur les propriétés syntaxiques, dont la description a été à peu près épuisée, ni sur la morphologie dont il est question ici par ailleurs : cf. l'article d'Agnès Melis. Nous nous attacherons strict ement à un problème d'évolution sémantique, problème qui a été soulevé dans Bartning 1976/1980 et repris dans Noailly 1990. Nombre de ces adjectifs, parallèlement à une interprétation relationnelle, donnent lieu à une analyse qualificative, avec, dans certains cas, une répartition binaire franche des différents emplois, et dans d'autres, un continuum d'effets de sens, qui rendent la description très délicate. Ainsi peut-on observer les exemples respect ifs de royal et enfantin. Royal offre un choix binaire, signifiant d'un coté du roi, de l'autre somptueux: la couronne royale vs un salaire royal. Enfantin présente plutôt une palette d'effets de sens nuancés qu'on pourrait représenter très schématiquement par les exemples suivants (cf. P.R.), ordonnés du plus relationnel au plus qualificatif : (a) Le langage enfantin (qui est propre à l'enfant) (b) Ce qu'il y a encore d'enfantin dans la plupart de nos émotions joyeuses, (qui a le caractère de l'enfance) (c) Une remarque enfantine (qui ne convient guère qu'à l'enfant) (d) Un problème enfantin (très facile) Bartning 1 976 / 80, fut donc amenée à poser l'existence de ce qu'elle a appelé les « PA doubles » (PA = pseudoa djectifs), baptisant ainsi la classe de ces adjectifs à statut mixte, tantôt relationnels, tantôt qualificatifs. Certains depuis sont allés jusqu'à contester l'existence même d'une telle catégorisation des adjectifs, jugeant plus raisonnable de ne pas situer l'opposition dans le lexique, mais seulement au niveau des emplois ou des valeurs. Il est hors de propos ici d'entrer dans une discus sion développée sur ce sujet, mais il nous semble plus réaliste d'en rester à une position moins extrême. Une majorité d'adjectifs de relation (tous ceux des vocabulaires techniques et de spécialité) ne sont que relationnels, et, quoi qu'on ait pu échafauder là-dessus, les adjectifs quali ficatifs, à notre avis, ne deviennent jamais relationnels (malgré ours blanc et guide bleu, maison close et marée noire, cités comme tels dans Bosredon 1988, et qui, à nos yeux, ne sont que des cas isolés de groupes lexica lisés). Dans l'état actuel du français, on peut donc vra iment délimiter une catégorie lexicale stable, aux contours mouvants, certes, et qui occupe en quelque sorte le coeur du réseau des adjectifs, à l'intersection de l'ensem ble « qualificatif » et de l'ensemble « relationnel » : ce sera la catégorie des adjectifs « mixtes » ou « doubles ». Nous avons longtemps cru que l'évolution de ces adjectifs était orientée de façon linéaire et que, relationnels à leur origine, ils étaient devenus, au fil des temps et par les hasards mystérieux de l'évolution sémantique, qualifi catifs. Leur origine dénominale et quelquefois savante semblait les destiner d'abord à un statut relationnel, dont ils se seraient « libérés » progressivement ensuite. C'est le cas de scolaire qui, né au XIX# siècle sur formation savante, n'a d'abord que l'interprétation relationnelle définie ainsi dans le Petit Robert : « relatif ou propre aux écoles, à l'enseignement qu'on y reçoit et aux élèves qui les fréquentent », et plus tard a acquis parallèlement une valeur dépréciative : Sa belle, sa noble peinture (d'Ingres) est souvent inhumaine et scolaire (TLF, Green, Journal) C'est aussi parmi tant d'autres celui d'artisanal, dont la création est un peu plus récente. Attesté au début du siècle et signifiant alors « qui est relatif à l'artisanat » (métier artisanal), et depuis peu appréciatif : Cette exploitation est restée artisanale, est trop artisanale : pas assez organisée, industrialisée (PR) Cependant, dès qu'on observe des formations plus anciennes, cette organisation en deux temps se brouille. Certes les données sont moins accessibles et il n'est pas toujours facile à partir des attestations des dictionnaires de retrouver avec sûreté le mouvement sémantique d'un terme donné. Il faut donc être prudent et ne se fier qu'à un faisceau d'indices concordants à la fois syntaxiques et sémantiques. Des sondages précis opérés sur cinq adjectifs font bien apparaître cette complexité. Civil, maternel, sulfureux, sympathique et populaire révèlent assez bien la nécessité d'une analyse beaucoup plus fine. L'Information grammaticale n° 58, juin 1993 27 2. CINQ ADJECTIFS TESTS 2.1. Maternel Parmi les cas que nous examinons, maternel est celui qui pose le moins de problèmes. Il est à peu près certain que l'adjectif, au départ, a eu des emplois franchement rela tionnels. Les premières attestations, vers 1370, font même état d'un groupe lexicalisé, « langage maternel », devenu depuis « langue maternelle », pour « langue du pays où on a commencé à apprendre à parler » (selon Furetière. Une définition plus fine est proposée dans le GR). Parallèlement, d'autres emplois sans doute aussi anciens, et ne laissant soupçonner aucune lexicalisation, évoquent le « ventre maternel » (XVe, dans Littré) ou les « materneulx flancs » (XVIe, dans Huguet). (On notera dans le dernier cas la forme du pluriel, et surtout l'antéposition, qui n'est pas interdite aux adjectif relation nels dans la langue ancienne). Le DHLF atteste une acception qualificative au XVIIe siècle seulement, renvoyant à Furetière, qui après la définition relationnelle « qui concerne la mère », propose : « On dit aussi, une tendresse maternelle, un soin maternel » manifestant, par l'article indéfini de l'exemple, très proba blement l'extension du sens. On est en droit de supposer que celle-ci est plus ancienne, si du moins l'on en juge par révolution parallèle de l'adverbe maternellement, paraphrasé, toujours dans le DHLF, par « selon un comportement qui évoque celui d'une mère », dans un emploi de 1580. Dans toute l'histoire de l'interprétation qualificative de cet adjectif, on ne voit apparaître aucune dérive sémantique. Maternel, qualifiant, rapporte toujours, même si c'est comparativement, à la mère. C'est ce que Bartning 1976 appelle la lecture [+ COMME], qui, selon elle, est la première étape de la « dérive » du relationnel au qualif icatif. Le schéma évolutif serait en quelque sorte le suivant : 1. héros cornélien : de Corneille (AR) ; 2. héros COMME ceux de Corneille ; 3. héros cornélien : 'qui fait passer son devoir au- dessus de tout'. L'interprétation comparative ne serait en somme que l'intermédiaire entre l'analyse relationnelle, et la qualif ication pure. Maternel ne dépasse pas ce stade inte rmédiaire. Est-ce parce que le stéréotype du comporte ment maternel est si solide dans les mentalités que l'adjectif affiche une telle stabilité ? En tout cas de l'inte rprétation relationnelle à la qualificative, il n'y a pas de rupture sémantique, et les deux restent fidèlement liés. 2.2. Sympathique et sulfureux Ces deux adjectifs ont en commun, au contraire, l'écart sémantique qui sépare l'emploi relationnel du qualificatif. L'emploi relationnel, pour l'un et pour l'autre, relève de langages spécialisés (la chimie pour sulfureux, la médecine pour sympathique). Les deux sont ensuite tombés dans le langage commun, assez tard l'un et l'autre, selon les premières apparences. Sulfureux est attesté très tôt, vers la fin du XIIIe siècle, avec acception relationnelle (H. et D. citent, chez J. de Meung, « les sulphureux boillons ») et en concurrence avec d'autres formes voisines dérivées du même terme de base, sulphurant, sulphuré, sulphurieux. Sulphureux, là, est employé pour « qui contient du soufre » (il s'agit des « sulphureux boillons » de l'Etna). Mais il est bien clair que ces emplois relationnels connaîtront un grand développement beaucoup plus tard, au XVIIIe siècle, avec les découvertes de la chimie (cf. là-dessus les datations du TLF). L'emploi qualificatif est donné pour plus récent encore. On notera que Littré n'en fait pas état (Bordas non plus d'ailleurs I). Le TLF et le GR s'accordent à peu près pour le dater de la seconde moitié du XIXe siècle, et le définissent comme « qui est en rapport avec l'enfer, qui évoque l'enfer, le diable ». Les exemples proposés par ces deux grands dictionnaires montrent bien que coexistent, pour cette interprétation « diabolique » des emplois relationnels, et des emplois qualificatifs, nés très aisément d'une lecture [+ COMME]. Trois exemples du GR montrent bien comment a pu s'opérer la transition : celui de Hugo est nettement relationnel, dans une isotopie tout entière luciférienne ; celui de J. Bourin joue sur les deux registres ; uploads/Histoire/ du-relationnel-au-qualificatif.pdf
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- Publié le Jan 09, 2022
- Catégorie History / Histoire
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