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FABLIAUX DU MOYEN ÂGE FABLIAUX DU MOYEN ÂGE Présentation, traduction inédite, notes, bibliographie, chronologie et index par Jean DUFOURNET GF Flammarion © 1998, Flammarion, Paris ; édition mise à jour en 2014 ISBN: 978-2-0813-5124-0 www.centrenationaldulivre.fr À la mémoire de Michel Lebrun qui fut pour nous le Pic de la Mirandole du polar, en souvenir de nos joyeux vaga- bondages dans les sombres contrées du roman noir, et d'Orner Jodogne qui a été le premier à me faire aimer les fabliaux. PRESENTATION Aller dans le clair Presque comme si L'on était chez soi. Eugène Guillevic. I Écrits entre 1160 et 1340 S mais surtout au Xlir siècle, les fabliaux, dont beaucoup ont disparu (il en resterait cent cinquante sur un millier), sont des contes à rire, des récits courts et autonomes en vers octosyllabiques, sans valeur symbolique ni réfé- rence à l'essence des choses, dont les agents sont des êtres humains, et qui relatent, sur un ton trivial, une aventure digne d'être racontée parce que plaisante ou (et) exemplaire2. Ces œuvres, qui ont touché tous les milieux, constituent l'envers, le contrepoint et le contrepied de la littérature courtoise. Certaines ne sont pas sans rappeler les chapiteaux historiés des cathédrales ou les sculptures des stalles, des miséri- cordes et des clefs de voûte, où s'inscrit l'expérience de tous les jours avec un humour tour à tour cynique ou tendre. Elles mettent en scène des épisodes de la vie quotidienne dont on ne tente pas de faire des signes, mais qui n'ont pas été jugés indignes du tra- vail de l'écrivain. L'homme médiéval, qui se plaît à rêver de mondes imaginaires, ne ferme pas les yeux sur ce qui l'entoure. « Le fabliau, a écrit Robert 1. Le premier de ces textes serait celui de Richeut qui ne connaît pas le mot de fabliau et n'emploie pas l'octosyllabe à rime plate. 2. Pour des compléments sur le genre, on se reportera aux tra- vaux de Roger Dubuis (1975), Orner Jodogne (1975), Philippe Ménard (1983) et Dominique Boutet (1985) cités dans la biblio- graphie. 10 FABLIAUX DU MOYEN ÂGE GuietteJ, est une littérature sans halo, sans mythe, mais faite d'une lucidité un peu cynique. » Si la plupart de ces récits étaient destinés à l'ori- gine au même public aristocratique que les chansons de geste et les romans arthuriens, on en trouve d'un niveau moins élaboré et plus fruste. Ils ont été composés et diffusés par des professionnels (clercs, petits chevaliers, goliards, ménestrels et jongleurs) qui étaient très mobiles, passant d'un milieu à l'autre et la plupart du temps dépourvus du précieux argent dont le pouvoir grandissait. Les auteurs et les adap- tateurs, aux talents inégaux, ont écrit pour des publics divers qu'ils rencontraient dans les grandes salles des châteaux et sur les places publiques. Les mêmes sujets ont pu être représentés, dans le même temps, à des niveaux différents2. Le fabliau est sans doute né de la fable dont il est proche par le nom3. Contemporain du Roman de Renan et versant comme lui, à l'occasion, dans la satire du clergé et de la femme, il se confond parfois avec d'autres genres brefs au milieu desquels il a évo- lué : lai, conte, nouvelle courtoise, exemplum, dit4, débat et, bien entendu, fable. Il a fleuri surtout dans les provinces du nord et du centre de la France. Les plus grands auteurs s'y sont essayés : Jean Bodel, Jean Renart, Huon le Roi, Jacques de Baisieux, 1. Questions de littérature, Romanica Gandensia, t. VIII, I960, pp. 61-86 (p. 77). 2. Voir Jean Rychner, Contribution à l'étude des fabliaux, Neuchâtel, I960, t. I : Observations, p. 145. 3. Voir O. Jodogne, Le Fabliau, 1975, p. 14 : « ... nous enregis- trons ces formes : fableau, fablel, fabler (passage de 1 à r) flablel (croisement de fablel avec flabel où il y a eu métathèse du /), flabliaus, fabelet (insertion de é) ». On a employé d'autres mots pour désigner ce genre d'écrits : conte, dit, beau dit, mots, beaux mots, aventure ; fable, exemple, proverbe, reclaim ; rime ', trufe, risée, mensonge, merveille, bourde, gabet... 4. Sur ce mot et les problèmes que pose le dit, voir le livre récent de Monique Léonard, Le dit et sa technique littéraire, des ori- gines à 1340, Paris, Champion, 1996 (Nouvelle Bibliothèque du Moyen Âge, 38). PRÉSENTATION 11 Gautier Le Leu, Rutebeuf, Jean de Condé, Watriquet de Couvin. D'autres ne sont connus que par un ou deux fabliaux, comme Garin, Haiseau, Huon Piaucele, Durant, Boivin de Provins, Douin de Lavesne, l'auteur de Truben> et le talentueux Eus- tache d'Amiens qui a écrit Le Boucher d'Abbeville. L'image du fabliau est foisonnement, diversité, mutation et métamorphose, plaisir dans la profusion des textes et l'efflorescence de l'imagination. Il a été soumis à de nombreux remaniements aux différents moments de son existence, des textes originels aux réécritures qui représentent tous les degrés de la variation, de la dégradation et de l'amélioration. Cer- tains remanieurs l'ont altéré par défaillance plutôt que par intention ; d'autres ont récrit entièrement le sujet *. Parfois parodique, le fabliau recherche — plutôt que le burlesque courtois, comme le veut Per Nykrog 2 — le contraste, le décalage et la surprise, en quête d'un comique qui peut se déployer de l'humour le plus fin à l'obscénité et à la scatologie. II Ce qui le caractérise presque constamment, c'est une écriture rapide qui en fait un texte « pressé », for- tement lié, raccourcissant au maximum le trajet et la distance entre les noyaux fonctionnels de la nar- ration, mais que contrarie souvent la présence du narrateur qui remplit de sa voix les chaînes cau- sales et s'accorde des répits à priori inutiles. Tiraillés entre deux exigences contradictoires, l'une réaliste (tout dire) et l'autre narrative (ne dire qu'une partie), entre le désir d'écriture et les contraintes littéraires 1. Sur ces variations, voir le livre cité de Jean Rychner (note 2, p. 10). 2. Dans son livre devenu classique, Les Fabliaux. Etude d'histoire littéraire et de stylistique médiévales, 2e éd., Genève, 1957. 12 FABLIAUX DU MOYEN ÂGE et sociales à respecter, les conteurs témoignent de la tension fondatrice par laquelle le narrateur se vou- drait absent, mais revient toujours sur le devant de la scène, veillant à maintenir le contact avec le lecteur- auditeur, multipliant les intrusions d'auteur, prati- quant un jeu constant de mise en avant et de retrait. Le texte, qui vise à se donner pour vraisemblable, privilégie, malgré le schématisme du genre, la moti- vation qui, ressentie comme omniprésente, cherche à réduire totalement la distorsion entre l'être et le paraître des personnages. Autour d'eux, tout est signifiant : l'auteur tire pleinement profit de leur nom, de leur place, des rôles et des contrats qui leur sont impartis et qu'ils se doivent de remplir. Si les fabliaux donnent une impression de foisonne- ment et de diversité — irréductibles à des schémas abstraits — d'abondance, de plenté, digne selon Roger Dubuis d'une abbaye de Thélème par le nombre et la variété des personnages, par leur grand « avoir », par la richesse des situations et des anecdotes, c'est la conséquence d'une des premières règles du « cahier de charges réaliste » tel que l'a défini Philippe Hamon * : leurs auteurs, qui posent que le monde est accessible à la dénomination, à la description, doivent veiller, par les moindres détails, à valoriser les personnages qui ne poseront aucun problème d'identification. Cet univers « descriptible » est un univers de la clarté, en dépit de l'atmosphère souvent nocturne des fabliaux. L'obscurité n'existe que pour permettre au narrateur de la démêler, de découvrir le caché, d'éclaircir l'équivoque. Le merveilleux et l'ambigu sont exclus : frère Denise, dans le texte de Rutebeuf, retrouvera son identité sexuelle et son nom de Dame Denise. Conformément à ce que Gaston Bachelard a joliment appelé « le complexe d'Harpa- 1. « Pour un statut sémiologique du personnage », dans l'ouvrage collectif Poétique du récit-, Paris, Le Seuil, 1977, p. 147. PRÉSENTATION 13 gon» S les fabliaux abondent en énumérations ; ils affectionnent les nombres qui provoquent, selon Roland Barthes, un pur effet de réel, aussi bien que l'argent qui se compte et se touche, comme l'atteste le début de Boivin de Provins. À partir d'une règle lit- téraire de l'écriture réaliste, l'argent apparaît au cœur de la problématique du bonheur — veau d'or que condamne gravement le conteur des Trois Bossus2. Pour faire admettre que les personnages sont des êtres de chair et d'os, on accorde un intérêt par- ticulier à l'arrière-plan géographique, temporel et social, même s'il demeure schématique, compte tenu de la brièveté du genre. C'est, comme l'a écrit K. Kasprzyck3, « une constante, une convention du genre ». Les moindres notations spatiales créent un effet de réel dans un espace vérifiable. Si l'on situe les fabliaux en ville4, c'est le reflet moins d'une réalité historique (la naissance d'une civilisation urbaine) que de la règle littéraire de la cohésion où tout se tient. La cohésion de la cité, entourée de ses murs, crée uploads/Histoire/ fabliaux-du-moyen-age-edition-bilingue-pdf.pdf

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  • Publié le Jui 24, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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