LOUIS-FERDINAND CÉLINE LETTRES DE PRISON À LUCETTE DESTOUCHES & À MAÎTRE MIKKEL

LOUIS-FERDINAND CÉLINE LETTRES DE PRISON À LUCETTE DESTOUCHES & À MAÎTRE MIKKELSEN 1945-1947 Édition établie, présentée et annotée par François Gibault GALLIMARD 2 3 AVERTISSEMENT DE L'ÉDITEUR Un demi-siècle après la fin de sa détention sans jugement à Copenhague, la publication des Lettres de prison de Louis-Ferdinand Céline éclaire d'un jour nouveau cette période sombre de la vie de l'écrivain. Sauf quelques brèves allusions dans D'un château l'autre, ces deux années n'occupent aucune place dans la transposition romanesque de ses pérégrinations à travers l'Allemagne déchirée par les derniers mois de la guerre. Il convenait donc de proposer au lecteur le texte intégral de cet étonnant document littéraire, qui mêle l'ardeur convaincante du plaidoyer, le découragement, le dégoût même, à l'invective polémique. On y retrouve toute la vigueur de Céline dans l'expression écrite, de son style imagé, avec aussi des phrases sensibles et affectueuses à l'adresse de sa femme Lucette. Certes, en donnant libre cours à sa plume dans cette correspondance privée, l'écrivain n'entendait blesser ou porter atteinte publiquement à la considération de personne, ni provoquer la haine ou la violence. Sans prétendre aucunement justifier certains propos qui peuvent choquer par leurs appréciations sommaires ou même outrées, la préface et les notes de François Gibault, auteur d'une biographie très 4 complète de Céline publiée au Mercure de France, replacent ces lettres dans leur contexte particulier. Elles apportent un complément nécessaire à l'édition en quatre tomes des romans dans la « Bibliothèque de la Pléiade », comme aux autres écrits et correspondances publiés dans les Cahiers Céline. 5 PRÉFACE Aussitôt qu'il est sous les verrous, tout homme digne de ce nom songe à l'évasion. La loi, qui n'est pas toujours inhumaine, consacre même le droit à l'évasion en ne punissant l'évadé que s'il commet des méfaits pour favoriser sa fuite ou quand il trahit la confiance qu'on lui avait accordée. Nul doute que, par la poésie, Brasillach se soit évadé de Fresnes et que c'est par le suicide que Pierre Laval a tenté lui aussi de s'en échapper. C'est par l'écriture que Céline, emprisonné à Copenhague, a cherché à sa manière de fuir l'enfer du milieu carcéral, ce qui explique pourquoi les lettres alors écrites par lui à sa femme et à son avocat danois constituent des documents incomparables. Beaucoup de lettres d'écrivains sont maniérées, manifestement écrites pour la publication, au point que certains en gardent des doubles pour le cas où leurs destinataires ne les conserveraient pas ! Céline n'était pas de ceux-là et toute sa correspondance témoigne d'une franchise, sinon d'une inconscience, qui s'est souvent retournée contre lui. Ici plus que jamais ces lettres, spontanées et vives, n'expriment que des cris du cœur. Céline a vécu dans la plus parfaite intimité avec Lucette Almansor de la fin de l'année 1935 à sa mort à Meudon le 1er juillet 1961. Pendant ces vingt-cinq années, il n'eut que peu l'occasion de lui écrire, sauf un peu avant la guerre quand elle était en tournée ou quand il partait sans 6 elle en voyage, en U.R.S.S. en septembre 1936, à New York en février 1937, de nouveau aux États-Unis et au Canada en avril- mai 1938, puis pendant son engagement sur le Chella en décembre 1939 et janvier 1940. Les lettres qu'il écrivit à sa femme pendant ces périodes ont disparu dans la tourmente et n'ont pas été retrouvées. Le reste du temps, ils n'avaient ni l'un ni l'autre à s'écrire et n'avaient d'ailleurs pas non plus à se parler pour se comprendre, tant ils faisaient bloc ensemble contre l'adversité et contre les malheurs qui tombaient sur eux avec une générosité sans pareil. Il a fallu l'arrestation de Louis, le 17 décembre 1945 à Copenhague, et son maintien en détention jusqu'au 24 juin 1947, pour qu'il écrive à celle qui fut, tout au cours de ces mois comme des années qui suivirent, sa seule raison de vivre. Ces lettres de prison témoignent de la grande détresse de Céline, de sa révolte contre un châtiment qu'il estimait n'avoir pas mérité, de ses souffrances et du profond attachement qu'il éprouvait pour Lucette qui fut, tout au cours de leur vie commune, une compagne discrète, effacée devant le génie, d'une constante affection muette et d'une redoutable efficacité dans les catastrophes, au point que Céline disait qu'elle était : « Ophélie dans la vie, Jeanne d'Arc dans l'épreuve ». Il faut rappeler que, pour ceux qui n'avaient pas « résisté », l'époque était morose. Paul Chack et Robert Brasillach fusillés, Henri Béraud condamné à mort, Drieu La Rochelle suicidé, Morand et Châteaubriant planqués, Rebatet, Combelle, Benoist-Méchin, Jean Hérold-Paquis, et beaucoup d'autres entre vie et mort, pour avoir choisi le mauvais camp, 7 vaincus jugés par les vainqueurs, tous menacés de comparaître devant les victimes, et condamnés avec toute la haine que l'on pouvait en attendre. Céline savait ce qu'il avait écrit avant la guerre et pourquoi il l'avait écrit. À la lumière de ce que l'on venait de découvrir en Allemagne, ces pamphlets prenaient un tour tragique que nul n'avait décelé ni dénoncé lors de leur publication, tandis que lui-même prenait figure d'assassin. Bagatelles et L'École, qui n'avaient été écrits que pour tenter d'éviter la guerre, mais avec les outrances sans lesquelles Céline ne serait pas Céline, apparaissaient à la lueur des événements que l'on sait comme des appels au massacre et servaient de prétexte, bien qu'ayant été écrits avant le génocide, à une chasse dont il était le gibier. Céline, mieux que tout autre, savait qu'il n'avait pas voulu l'holocauste et qu'il n'en avait pas même été l'involontaire instrument. Il savait aussi qu'il n'avait en rien collaboré, et pas plus que Cocteau, Montherlant et Morand qui, après que beaucoup d'eau eut coulé sous les ponts, finirent par entrer à l'Académie. Céline eut plus que jamais le sentiment d'être le chien galeux de la littérature française et la victime expiatoire d'un monde où les crimes avaient abondé de part et d'autre et dont l'hypocrisie était la maîtresse unique. « C'est la faute à Céline » remplaçait « c'est la faute à Voltaire » ; il était l'abcès qu'il fallait crever, la source de tous les maux, l'abjection même. Encagé en terre étrangère, sous un climat effroyable, tenu dans l'ignorance de tout ce qui le concernait, menacé d'extradition et de mort, privé de l'affection de Lucette et de Bébert, et aussi de la liberté sans laquelle il ne pouvait concevoir de vivre, Céline eut le sentiment d'être 8 injustement persécuté et vécut dans un état de révolte pour lequel il faut bien dire qu'il avait des dons particuliers. Du fond de sa cellule à la prison de Vestre Fœngsel où il vécut ce manque d'affection, cette persécution et cette révolte, il n'eut pour se défendre que son arme de dilection, le verbe, mais il ne pouvait écrire librement qu'à son avocat, lequel accepta, au mépris des règles élémentaires de sa déontologie, de permettre à Lucette de bénéficier du secret qui s'attache à toutes les correspondances entre les avocats et leurs clients. C'est pourquoi ces lettres commencent toutes par un passage destiné à Maître Mikkelsen et se poursuivent par une lettre à Lucette, hormis un petit nombre qu'il parvint à lui faire passer en fraude, écrites sur des papiers de fortune. Les quelque deux cent lettres écrites par Céline à Maître Mikkelsen et à Lucette pendant sa détention, c'est-à-dire de décembre 1945 à juin 1947, contiennent toute la mesure de sa révolte. Elles expriment son désir de vivre ou de survivre, ses espoirs et ses désespoirs et le besoin d'affection qu'il portait en lui et qu'il avait toujours très systématiquement occulté, préférant donner de lui l'image d'un monstre que celle du faible qu'il était aussi. Lucette fut une fois de plus sa confidente et son seul soutien, comme elle l'avait été à Berlin, à Kraenzlin, à Sigmaringen, quand il s'était agi de rejoindre Copenhague à travers l'Allemagne en feu, puis de s'y cacher pour tenter de se faire oublier de la meute, et comme elle le sera encore pendant dix années à Meudon, dans ce havre de travail et de solitude, exil ou prison volontaire, où Céline acheva sa vie misérablement, miné 9 par l'angoisse de vivre, la haine de presque tout, l'horreur du monde et la maladie. Parce qu'il aimait Lucette, et qu'il voulait l'épargner, parce qu'il la voyait chancelante et se souciait de sa santé, Céline fit de son mieux pour lui cacher ses conditions de vie et pour la rassurer sur son état de santé sinon sur son moral, toujours détestable. C'est en cela que les lettres à Lucette ne sont pas toujours l'exact reflet de ce que fut sa vie à la Vestre, surtout pendant les premiers mois de sa détention. Les souffrances de Céline ont alors été très au-delà de ce que l'on peut imaginer en lisant cette correspondance. Détenu dans le quartier des condamnés à mort, à l'isolement, seul dans une cellule mal chauffée et dénuée de tout confort, en pleines rigueurs de l'hiver danois, il perdit quelque quarante kilos et souffrit de uploads/Histoire/ louis-ferdinand-celine-lettres-de-prison-a-lucette-destouches-et-a-maitre-mikkelsen-1947.pdf

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  • Publié le Mar 05, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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