Publications de l'École française de Rome Archéologie et histoire de la Gaule P

Publications de l'École française de Rome Archéologie et histoire de la Gaule Paul Marie Duval Citer ce document / Cite this document : Duval Paul Marie.Duval Paul Marie. Archéologie et histoire de la Gaule. In: Travaux sur la Gaule (1946-1986) Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 3-13. (Publications de l'École française de Rome, 116); https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1989_ant_116_1_3646 Fichier pdf généré le 29/03/2018 ARCHEOLOGIE ET HISTOIRE DE LA GAULE Pour comprendre la Gaule, il faut la replacer toujours dans les deux grands ensembles historiques dont elle a fait partie, le monde celtique, l'empire romain d'Occident. Le peuplement celtique - ce qu'un historien récent de l'Occident antique appelle le «substrat» celtique 1 - de l'Europe ancienne, lui a valu jadis une unité culturelle et linguistique, que Rome a morcelée. L'Italie du nord, l'Espagne du nord et de l'ouest furent gallo-romaines avant la Gaule; le Sud de la grande île britannique, une partie des pays du Danube le devinrent à peu près en même temps qu'elle; au delà du Rhin, le substrat germanique s'est pénétré d'influences celtiques et romaines. Mais la Gaule seule, dans le vaste cadre des limites naturelles que les Anciens lui reconnaissaient, montagnes, mers et grands fleuves, qui sont devenues ses frontières éternelles devant l'histoire, a vu se réaliser complètement d'abord l'empire partout présent d'un peuplement celtique avec son plus haut niveau de culture, ensuite la pénétration en tous lieux efficace, quoiqu'à des degrés divers, des institutions, des mœurs et des techniques méditerranéennes. Je n'en veux pour preuves que les deux faits suivants. Si l'on cherche en Occident les témoins matériels les plus anciens de la langue celtique, qui fut si largement en usage depuis l'Irlande jusqu'à l'Asie Mineure et peut-être sporadiquement jusqu'en Pologne, c'est de Gaule et même de France seulement que proviennent ces inscriptions sur pierre, sur bronze ou sur céramique : que ce soit le plus long texte gravé, un calendrier gaulois, riche d'environ deux mille lignes en ses cinq années, ou la collection la plus importante connue de graffites représentant des comptes d'enfournement de potier, ou les épitaphes et dédicaces inscrites sur pierre en lettres grecques ou latines, ou les graffites gravés sur céramique, aucun de ces textes, à deux ou trois exceptions près, n'a été trouvé hors du territoire français. Quant aux 1 L. Harmand, L'Occident romain. Gaule-Espagne-Bretagne-Afrique du Nord (31 avant J.-C. à 235 après J.-C). Préface de A. Grenier. Paris, 1960. 4 I - CELTES ET GAULOIS monnaies, qui nous apportent près d'un demi-millier de légendes en gaulois, c'est la grande majorité d'entre elles que le sol de la Gaule a livrées. D'autre part, une catégorie particulièrement nombreuse d'inscriptions, celle des bornes milliaires, souligne la place eminente que la Gaule occupait dans le monde romain. L'intensité du bornage routier, chiffré tantôt en milles romains, tantôt en lieues gauloises, est hautement significative de la pénétration subtilement ramifiée de l'administration impériale et de l'exceptionnelle densité de l'occupation humaine dans ce vaste secteur de l'Ouest européen : elle est le signe d'un pays déjà profondément humanisé, qui ne comporte pas de vastes étendues désolées ni de massifs ou de fleuves infranchissables, où les contacts sont aisés et permanents grâce à des voies de communication naturelles, fluviales en particulier, qui ont fait l'admiration des géographes anciens. Il n'est pas étonnant qu'un degré de culture élevé ait été atteint dès cette époque dans ces régions fertiles, amies de l'homme, ouvertes à sa venue et disponibles pour son travail. Les recherches qui concernent la Gaule ne peuvent donc être fécondes que par la convergence de toutes les disciplines qui concourent à l'histoire des Romains et des Celtes. Mais l'historien de formation classique éprouve une sorte d'appréhension, un sentiment d'extériorité, voire de méfiance devant les difficultés et les incertitudes de cette langue étrangère qu'est pour lui l'ancien celtique, devant l'exubérance et la complexité des littératures qui l'ont illustrée, devant le caractère irrationnel et déroutant d'un art qui fuit toujours l'ordre, la ligne droite et la symétrie, à plus forte raison devant l'étendue des connaissances spéciales qu'exige la comparaison des langues, des mœurs, des religions indo-européennes. C'est pourtant à faire entrer les résultats de ces recherches diverses dans l'histoire générale des Gaulois, comme l'ont fait courageusement Henri Hubert dans ses deux ouvrages sur les Celtes et P. Bosch-Gimpera dans ses travaux sur les migrations celtiques2, que l'historien d'aujourd'hui doit s'astreindre s'il ne veut rester prisonnier des sources grecques et latines qui lui sont familières ou des documents concrets de l'époque romaine qui sont sa pâture quotidienne. La langue gauloise? De quel secours nous sont les moindres conquêtes des celtistes, qui chaque année nous gagnent un ou deux 2 H. Hubert, I : Les Celtes et l'Expansion celtique jusqu'à l'époque de La Tène; II : Les Celtes depuis l'époque de La Tène et la civilisation celtique. Paris, 1932, 2e édit. 1974. - P. Bosch-Gimpera, Les mouvements celtiques. Essai de reconstitution, dans Études celtiques, de V, 2 (1950-1951) à VII, 1 (1955). Articles réunis ensuite, à part, en un volume. ARCHEOLOGIE ET HISTOIRE DE LA GAULE 5 mots jusqu'alors incompréhensibles ou inconnus ! Rien n'est plus précieux pour l'historien que l'étymologie ou la datation d'un nom de lieu, de personne ou de divinité, la découverte d'un fragment d'institution, la valeur retrouvée d'un nom commun, tel ce caractère «divin» du nom du fer chez les Celtes, que M. Emile Benveniste nous a récemment révélé3. Ces études progressent moins lentement qu'on ne le croit communément : certes, rien ne nous est parvenu d'une littérature gauloise qui n'était pas écrite et nous devons nous contenter de quelques phrases de «langage parlé», inscrites à la pointe sur des vases ou sur des tessons. Mais cette année même un graffite nous a révélé le sens du mot gaulois connu depuis longtemps tuQQos, qui désignait la «masse» (de vases) contenue dans le four (de potier), c'est-à-dire la «fournée». Et quel succès, le jour encore récent où Ven- dryes réussit à traduire, sur un petit vase à boire fabriqué dans la Lozère, le malicieux avertissement donné aux convives qui se passaient de main en main ce récipient d'un trop faible volume : nedda- môn delgu linda «je contiens la boisson. . . des suivants»4! Cette langue, dont nous connaissons des milliers de mots mais si peu de phrases, nous devient donc tous les ans un peu moins étrangère. On demande à l'historien de Rome non pas d'être un latiniste et un helléniste capables de faire progresser notre connaissance de la langue mais de savoir se servir des textes. Est-ce donc trop demander à l'historien de la Gaule que de pouvoir manier avec aisance chacun des mots gaulois que les linguistes lui ont expliqués? Mais l'utilisation des sources celtiques dépasse le problème de la langue gauloise. Les textes insulaires, dont les plus anciens remontent au VIe siècle et sont d'inspiration chrétienne, contiennent les souvenirs d'une époque où existaient des éléments de culture communs aux Celtes des îles et à ceux du continent. On ne saurait plus aujourd'hui négliger, moins encore refuser (comme on l'a fait longtemps) de tels apports. Si notre connaissance du panthéon des Celtes a fait de nos jours un réel progrès, c'est précisément grâce à l'étude comparée, que nous devons à Marie-Louise Sjoestedt puis à M. Georges Dumézil, du témoignage si concis de César et des données tellement diffuses des épopées celtiques, ainsi qu'à une comparaison plus large, que ce dernier savant ne cesse d'étendre à l'ensemble des mondes divins dits indo-européens. Les historiens de Rome eux-mêmes donnent l'exem- 3 E. Benveniste, dans Celtica, III, 1956, p. 279-283. Le mot pourrait être d'origine illyrienne, emprunté par les Celtes. 4 J. Vendryes, Neddamôn delgu linda, dans Études celtiques, VII, 1, 1955, p. 9- 17. Les deux d donnent le son propre au gaulois tst, ailleurs rendu par un ou deux θ empruntés à l'alphabet grec. 6 I - CELTES ET GAULOIS pie : les travaux de M. Jean Bayet, de M. André Piganiol et de M. Jean Gagé resserrent de temps à autre mais régulièrement les liens qui unissaient, à l'époque de la République romaine, les habitants des deux côtés des Alpes. Il ne fait pas de doute à mes yeux que, lorsque toute la littérature celtique aura été convenablement éditée et rendue accessible aux non-spécialistes, l'histoire de la Gaule et d'une partie du monde romain en retirera un profit toujours accru. Autre domaine : l'art celtique, qui doit nous révéler l'imagination créatrice des Gaulois dans le monde des formes. Il fut longtemps méconnu; longtemps encore décrié, par des historiens pour qui les chefs-d'œuvre grecs et romains comptaient seuls : les œuvres dites barbares étaient pour eux bâtardes ou dégénérées, imitations balbutiantes de modèles classiques mal compris. Il fallut le Manuel de Déchelette pour attirer l'attention sur tant de parures, d'armes et d'objets usuels, décorés d'une façon peu banale qui devait se perpétuer plus tard dans l'ornementation occidentale. Mais, depuis un demi-siècle, n'étaient les travaux de Mlle Françoise Henry et de M. Raymond Lantier, les formes de l'art celtique n'ont pas suscité en France les études qu'elles méritaient. C'est uploads/Histoire/ efr-0000-0000-1989-ant-116-1-3646-5-archeologie.pdf

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  • Publié le Oct 28, 2021
  • Catégorie History / Histoire
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