Insaniyat, n°9, Septembre-Décembre 1999 Histoire et pratiques interculturelles

Insaniyat, n°9, Septembre-Décembre 1999 Histoire et pratiques interculturelles au Maghreb Espace, signe et identité au Maghreb. Du nom au symbole Farid BENRAMDANE * Introduction Le présent article reprend les résultats scientifiques d’un axe de recherche que nous avons soumis à notre analyse dans le cadre du projet «La maghrébinité dans l’interculturalité » (CRASC, 1996-1998). Il s’intéresse au rapport linguistique de l’homme à son environnement, à la dénomination de son espace, de ses croyances, de ses cultes, de manière précise à l’onomastique et à quelques catégories toponymiques dont nous estimons qu’elles recèlent une dimension anthropologique évidente. Ce travail se veut dès lors un essai de compréhension de quelques formes d’expression onomastique et / ou toponymique, limitées à quelques régions de l’Ouest algérien. Pour ce faire, nous avons privilégié les formes linguistiques qui ont un rapport avec le «culte», le «sacré» et qui ont été cristallisées dans la dénomination de l’espace, c’est-à-dire en toponymie. En effet, dans le contexte d’une onomastique plurilingue comme l’Algérie, depuis la formation du libyque et du berbère et de leurs contacts avec le punique, le grec, le latin, l’arabe, l’espagnol, le turc, le français... et du point de vue de la linguistique historique et même préhistorique, certaines dénominations soulèvent des questions très complexes et dépassent largement le territoire d’une région, d’une couche historique ou d’une catégorie onomastique. L’Algérie, sur un plan diachronique et synchronique, est une société plurilingue. Dans une société de synthèse, comment se sont construits historiquement les noms propres de lieux, de tribus et de personnes ? Quelles sont les régularités qui organisent le paysage onomastique algérien ? Quels sont les éléments structurants de l’imaginaire algérien dans la représentation mentale onomastique ? Y a-t-il rupture ou continuité des modes de désignation * Enseignant, Département de français, ILE, Université de Mostaganem, Chercheur associé CRASC, Oran 5 Insaniyat, n°9, Septembre-Décembre 1999 onomastique entre les différentes couches historiques qu’a connues l’espace algérien ? Dans ce contexte, les noms de lieux apparaîtront dès lors comme une forme de cristallisation, de sédimentation des réalisations onomastiques toponymiques primitives des différentes couches historiques, de leur continuité totale, mais aussi de l’assimilation des apports étrangers : rupture ou continuité totale, assimilation ou interpénétration, hybridation ou translation symbolique des pratiques onomastiques. Ces dernières sont, rappelons-le, des faits de langue, des êtres de langage que l’on observera dans leur réalité, leur dynamisme, leur variété. L’importance hagiôlatrique, donc quelque peu hagionymique1 va être mise en évidence dans le corps même du développement de notre sujet. Cette approche ne peut être perceptible que lorsqu’on avancera dans la description des domaines sémantiques ayant trait à la toponymie à connotation religieuse et mystique. L’historicité de certains cultes magico-religieux et pratiques rituelles est affirmée en Afrique du nord dans l’état actuel de la documentation, depuis l’antiquité : «tout l’arsenal religieux y est présent : la magie, l’animisme, le fétichisme, la zoolâtrie, l’astrolâtrie, la litholâtrie, l’anthropolâtrie »2. Pour Ibn Khaldoun, «il y en avait alors parmi eux [les Berbères] qui professaient la religion juive ; d’autres étaient chrétiens et d’autres païens, adorateurs du soleil, de la lune et des idoles »3. Pour Camps et d’autres historiens (Gsell, Kaddache...) , ces croyances et ces cultes sont bien antérieurs au christianisme, et même présentes aux premiers siècles de l’Islam . Enfin, il reste que les pratiques et quelques rituels organisés autour des zawiyas, des saints locaux, à l’occasion de fêtes ou de cérémonies ponctuelles, à la recherche de la «baraka» «bénédiction» du saint vénéré se présente comme le dit Bourdieu comme une hiérarchie où l’analyste «peut isoler différents “niveaux ” : dévotion animiste, cultes naturistes, rites agraires, culte des saints et marabouts... »4. Notre recherche porte sur un questionnement du Signe Maghrébin, sur les pratiques sémiologiques au Maghreb du Nom Propre. Nous nous intéresserons au mode de formation, à la structuration et à la dynamique de transformation du S. M. Notre étude est également un essai de conceptualisation sur les pratiques onomastiques, leurs histoire(s), leurs récit(s), leur (s) mythe(s), fondateur(s), sur les éléments contextuels qui les nourrissent, sur les interrogations fondamentales pour toute recherche sur le signe que sont entre autres, la relation entre Sa / sé, le rapport oral / écrit. Tous ces éléments signifiants prennent dans ce cadre une des dimensions humaines les plus fécondes dans ses directions culturelles et interculturelles les moins insoupçonnées. 1 -Hagionymique ; du grec «hagios » qui veut dire «sacré ». 2 - CAMPS, G. .- Les Berbères. Mémoire et identité.- 2ème édition, Ed. Errance, 1980.-p.143. 3 - IBN KHALDOUN, cité par CAMPS, G. .-1981.- p. 260 4 - BOURDIEU, P.- Sociologie de l’Algérie.- Paris, Ed. PUF, 1974.- p.103. 6 Insaniyat, n°9, Septembre-Décembre 1999 I. Démarche et directions de travail Nous avons procédé au classement, à l’explication et à l’interprétation des bases toponymiques, afin de nous permettre de tenter de saisir les articulations pertinentes dans l’évolution diachronique de la désignation toponymique et de dégager quelques régularités et tendances dominantes dans le domaine hagionymique. Nous dégageons progressivement les domaines sémantiques dominants dans les pratiques hagionymiques (place de l’anthroponymie, du fonds religieux, du monde végétal, animal, du relief...) Les toponymes et les catégories relevés et qui nous intéressent (hagionymes, anthroponymes, ethnonymes...) sont expliqués du point de vue de leurs couches historiques : libyque, berbère, latine, arabe... Nous avons commencé à procéder à l’analyse de notre corpus, en suivant la démarche suivante : premièrement, faire une synthèse des domaines des sciences auxiliaires à l’onomastique, ayant trait à l’histoire, à l’archéologie, aux peuplements, à la nature des sols... des régions de l’Ouest algérien. Ce point renferme un ensemble de renseignements qui intéressent non seulement la linguistique, mais aussi la zoologie, l’anthropologie, les cultes locaux, la géographie, l’histoire... deuxièmement, intervenir en linguiste, en élaborant progressivement, s’aidant chaque fois des théories explicatives de la langue et du langage, une série de questions sur les faits soumis à l’analyse toponymique : lexical, phonétique, sémantique... La totalité des matériaux de notre corpus est composée de noms de lieux actuels et anciens, relevés par écrit et/ou oralement. Cependant, leur majorité est relevée dans deux sources :les cartes dites d’état major (1/50 000°) publiées par l’Institut National de Cartographie et le code postal (PTT). Certaines désignations sont recoupées avec des renseignements contenus dans des ouvrages de l’antiquité et de la période médiévale. Les toponymes et les catégories qui nous intéressent (hagionymes, anthroponymes) sont répartis du point de vue de leurs couches historiques : libyque, berbère, latine, arabe. L’inventaire des bases linguistiques hagionymiques concerne les formations onomastiques suivantes : Les toponymes : les noms à base de Sidi les noms à base de Lalla les noms à base de Si les noms de Mqam Les noms à base de Redjem les noms à base de Kouba les noms à base de Zaouia les noms à base de Haouita divers... 7 Insaniyat, n°9, Septembre-Décembre 1999 Place de l’anthroponymie dans la toponymie locale : Cet inventaire à partir d’un relevé systématique sur le terrain, à l’origine, d’un processus de créativité linguistique, va nous permettre de dégager la représentation toponymique la plus typique des lieux dans nos régions, à savoir : A. L’étymologie des noms propres algériens. B. Les noms divins en Islam C. Anthroponymie et fonds religieux Cette liste de noms de lieux, des noms à connotation religieuse et mystique, des hagionymes, est établie à partir de nomenclatures régionales de l’Ouest algérien : Oran, Relizane, Mostaganem, Tlemcen, Tiaret, Tissemsilt, etc. Ce sont des variables apparentes, concrètes de procédés oraux et/ou écrits, beaucoup plus oraux qu’écrits. Il s’agit de pouvoir reconstituer «des tranches » du passé à partir de leurs réactualisations dans le champ de la communication sociale. Cette réactualisation est-elle neutre, en dehors de toute détermination historique, culturelle, religieuse, subjective, idéologique etc. ? Compte tenu de la richesse de la nomenclature des bases hagionymiques (cf. annexe), nous n’avons étudié que les noms à base de sidi et lala. II. Toponymie à base religieuse et mystique : entre ancrage Historique et évolutions sémantiques Les hagionymes, quelle que soit leur époque de formation présente une meilleure résistance aux substitutions. Les noms de saints sont des déterminants de noms communs, mais ce sont les épithètes « sidi » et, dans une moindre proportion « lala » qui dominent. Ces composants toponymiques doivent avoir leur origine dans la période anté-islamique, païenne, chrétienne ou juive, et dans la mesure où ces désignations n’existent pas dans les pays arabes du Moyen Orient. Une autre motivation : la nomenclature à partir du VIIIème siècle résulte de la copénétration de deux systèmes toponymiques, berbère et arabe, puis français. Nous nous interrogerons sur le contact des deux systèmes linguistiques et de leurs cristallisations dans la dénomination des lieux, du processus de substitution et d’hybridation qu’ils ont développés. Notre démarche consiste à remonter la chronologie pour voir quelles sont les articulations majeures qui organisent l’interpénétration de systèmes culturels et linguistiques dans le domaine onomastique et cela en partant des couches historiques les plus anciennes : lybique, berbère, punique, latine, etc. 1. Les noms à base de sidi et lala. Les « appellatifs » sont considérés par les spécialistes comme uploads/Histoire/ espace-signe-et-identite-au-maghreb-du-nom-au-symbole.pdf

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  • Publié le Apv 15, 2022
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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