Anne Marie Moulin (éd.) Isla et évolu ions médica es Le labyrinthe du corps 1 1

Anne Marie Moulin (éd.) Isla et évolu ions médica es Le labyrinthe du corps 1 1 ISLAM ET RÉVOLUTIONS MÉDICALES !RD sur internet: www.ird.fr KARTHALA sur internet: www.karthala.com (paiement sécurisé) Couverture: Quand révolution politique et révolution médicale se conju- guent. Une salle d'opération moderne à Alexandrie. Image tirée d'Égypte, ouvrage édité par l'administration du tourisme et de la propagande de l'État égyptien, Maison Al Hilal, Le Caire, 1946. © !RD et Karthala, 2013 © ISBN (IRD): 978-2-7099-1721-6 ISBN (Karthala) : 978-2-8111-0850-2 Anne Marie Moulin (éd.) Islam et révolutions médicales Le labyrinthe du corps IRD 44, bd de Dunkerque 13000 Marseille KARTHALA 22-24, bd Arago 75013 Paris Remerciements Tous mes remerciements aux collègues et amis du CEDEJ qui ont dans la tounnente aidé la parution de cet ouvrage. Merci à Charles Becker pour ses relectures. INTRODUCTION Se repérer dans le labyrinthe du corps et de l'Histoire Anne Marie MOULIN Ce livre collectif ne résulte pas d'un colloque unique situé dans le temps, il rassemble des communications échelonnées au cours de ces dernières années, qui transmettent quelque chose de l'instable actualité du monde musulman et du vent des révolutions. Dans sa diversité, il témoigne que l'Islam est mobile et varié, et que dans les pays musulmans le progrès scientifique, politique et moral n'est ni irréversible ni hors de portée, mais comme ailleurs à la fois porteur d'espérances et fragile. Discours et prati- ques de santé expriment les aspirations et les transformations des sociétés. La santé est un bon observatoire pour pressentir les révolutions ou prendre leur mesure, pour peu qu'on l'explore en profondeur, sans se borner à des observations superficielles faisant jouer à l'Islam un rôle d'écran ou de facteur de confusion. Les deux décennies que nous venons de vivre ont vu paraître plus de livres traitant de la menace de l'Islam que de l'évocation ou la recherche de solutions communes entre Orient et Occident. Faut-il avoir peur de l'Islam? L'Islamisme en face, etc, autant de titres qui témoignent d'une conjoncture dominée par l'idée du «choc des civilisations », l'angoisse, la peur, le désir de vengeance et la méconnaissance de l'Autre. Ces dernières années ont assisté à un déferlement de violence dans le monde arabe et musulman, qui a vu sur son sol se dérouler plusieurs guerres d'une violence inouïe, je pense au Liban et au conflit irano-irakien, mais aussi aux deux guerres du Golfe et à la croisade anti-terroriste conduite par l'Occident en Afghanistan et en Irak, sans parler de la Palestine. L'ère postmoderne ressemble à un nouvel Âge des Ténèbres qui cherche un flambeau pour éclairer sa nuit. La majeure partie de la recherche en sciences sociales s'est portée sur le front de l'étude politique des pays. Le domaine de la santé m'est apparu comme un choix alternatif judicieux pour suivre autrement les transfor- mations et les aspirations des sociétés arabes et musulmanes, et déchiffrer différemment le sens des évolutions, en faisant appel à une anthropologie 6 ISLAM ET RÉVOLUTIONS MÉDICALES du corps, qui est nécessairement une anthropologie de la continuité entre les hommes, et entre le passé et le présent, une anthropologie qui constitue le fil d'Ariane dans le labyrinthe de l'Histoire. Parler de santé, c'est poser la question de la médecine moderne, de sa place et de son impact. On entend couramment par là un ensemble de diagnostics et de traitements reposant sur l'examen des patients, les ana- lyses biologiques au laboratoire et une imagerie performante aux techni- ques venues des sciences physiques. Cette médecine moderne revendique une augmentation sans précédent de la longévité et une diminution de la morbidité, y compris dans les pays tardivement industrialisés l . Elle est actuellement pratiquée sur toute la planète, néanmoins avec des variations considérables, liées à une inégalité de moyens et à la diversité des contextes locaux. Une méthode simple pour aborder les sociétés musulmanes d'aujour- d'hui consiste à rechercher comment ses membres, là comme ailleurs, aspirent à des soins médicaux performants tels que ceux dont la trompette de la renommée a diffusé les bienfaits, désireux avant tout d'alléger leurs souffrances et leurs handicaps. Soif d'avancées techniques et fierté de partager l'aventure des découvertes scientifiques se conjuguent pour faire de la santé un espace commun et consensuel qui diffère de l'arène poli- tique dominée par des schismes et des conflits difficiles à résoudre. Mais aussi dans un même temps et sans contradiction, jaillit le désir de trouver un sens aux souffrances et de reconstituer un projet d'Être au monde, avec les ressources humaines et culturelles localement disponibles. En avance sur les revendications d'une citoyenneté partagée et responsable que nous voyons émerger un peu partout dans le monde arabe, la médecine repré- sente d'ores et déjà une plateforme possible d'espoirs, d'interrogations et de revendications communes entre Orient et Occident. C'est dans cet esprit que nous avons rassemblé des contributions diverses, unies par un même effort pour rendre intelligibles les pratiques médicales en terres d'Islam, du xvnfsièc1e à nos jours. Oublions le débat toujours renaissant pour ou contre l'orientalisme, la dénonciation d'un orient de pacotille conforté par l'idéologie coloniale opposée à une recherche des authenti- cités culturelles2• Enterrons, là au moins, la hache de guerre. L'islam, au cours de ces dernières années, a participé à un vaste mouve- ment de recomposition des identités et de fabrication de nouveaux liens entre nationalités, religions et styles de vie, dans le prolongement du bouleversement opéré par la chute de l'empire ottoman et l'émergence des États-nations3• Il serait souhaitable à l'avenir de replacer ce qui se passe 1. Hygiène ou médecine? Sur la controverse récurrente sur le rôle de la médecine dans la diminution de la mortalité et des maladies infectieuses, voir l'ouvrage qui a marqué une génération, Némésis médicale, L'expropriation de la santé d'Ivan Illich (1975), Paris, Seuil,1981. 2. Sans partager pour autant l'assimilation de l'orientalisme à une vision impérialiste et coloniale (cf. l'ouvrage classique d'Edward Said, Orientalism, New York, Vintage, 1979). 3. Olivier Roy, La nouvelle Asie centrale ou la fabrication des nations, Paris, Seuil, 1996. INTRODUCTION 7 au Maghreb et au Moyen-Orient dans une histoire plus globale, de faire une comparaison, par exemple, avec les pays émergeant des décombres de l'Union soviétique, dont un certain nombre sont d'ailleurs de « culture» musulmane4• De regarder aussi dans la direction d'autres pays comme le Japon, sur lequel à maintes reprises les Arabes ont eu les yeux fixés5 : ils considéraient, à tort ou à raison, le Japon du Meiji comme un modèle hannonieux et enviable de conciliation d'une culture ancienne et de la modernité scientifique et technique6• Mais la considération d'un nombre, même limité, de pays a confirmé ici l'intuition que l'hybridité entre tradi- tion et modernité est la règle et non l'exception. S'aventurer dans le labyrinthe du corps humain, où la maladie figure si l'on veut le Minotaure, c'est rechercher les indices et les difficultés d'une modernité fluctuante dans ses critères et ses contenus, loin des dichoto- mies convenues. À la fin des années 1970, l'idée d'une médecine « isla- mique» ne venait guère à l'esprit des intellectuels arabes. En Tunisie, en Algérie, au Maroc, les élites dénonçaient vigoureusement les restrictions de l'accès de tous à la médecine moderne pendant la colonisation et le petit nombre de praticiens diplômés? L'essentiel paraissait de mettre sur pied le plus rapidement possible un système de santé susceptible de couvrir les besoins des populations et de les faire accéder au niveau atteint par les pays dominants. En Égypte, l'offre de santé faisait partie du programme nassérien, et ancrait dans l'imaginaire du peuple l'idée d'un droit au bien-être corporel. Certains des nouveaux maîtres des pays du Golfe, comme le sultan d'Oman, élisaient la modernisation du système de santé comme une assise de leur légitimité. D'autre part, une généalogie commune de la médecine en Orient et en Occident, se réclamant des maîtres Hippocrate et Galien, Rhazès et Avicenne, renforçait la légitimité de la médecine moderne, projetée sur un horizon universel. Cependant, ces dernières années, des déceptions politiques et sociales en tous genres ont favorisé la nostalgie d'une tradition religieuse identi- taire, et la revendication, sinon d'une médecine islamique, du moins d'une façon islamique de pratiquer la médecine, qui rétablirait spécificité et suprématie. En 1983, le journaliste pakistanais Ziyauddin Sardar publiait 4. Ludek Broz, Conversion to Religion? Negotiating continuity and discontinuity in contemporary Altaï, Conversion after Socialism: Disruptions, rrwdernisms and technolo- gies offaith in the former Soviet Union, Mathijs PeIkmans, New York, Berghahn, p.17-37. 5. Alain Roussillon, Identité et modernité. Les voyageurs égyptiens au Japon ()(J)(e_ xx" siècles), Paris-Arles, SindbadJActes Sud, 2005. 6. Cette reconstruction du Japon a d'ailleurs été contestée par des historiens qui ont montré que le Japon traditionnel avait été à tort assimilé à la vision samouraï qui n'était qu'un des modèles historiques possibles du passé, cf. Margaret Locke, Encounters with Aging. Mythologies of Menopause in Japan and North America, Berkeley, University of California Press, 1993. 7. Voir par exemple en Tunisie Mahmoud Materi, «L'assistance médicale pendant cinquante ans de protectorat », La Voix du Tunisien, Tunis, Il mars 1930, et Itinéraire d'un militant, Tunis, Cérès, 1992; Anissa uploads/Histoire/ et-evolu-ions-medica-es-le-du-corps.pdf

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  • Publié le Jui 18, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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