1 HISTORIOGRAPHIE DE LA FRANCE AU XIXème SIECLE Fabien Levy, Professeur au lycé

1 HISTORIOGRAPHIE DE LA FRANCE AU XIXème SIECLE Fabien Levy, Professeur au lycée E. Quinet, Bourg-en-Bresse, CPGE Le XIXème siècle après un long moment d'absence revient en force dans le programme du tronc commun. Or c'est paradoxalement au moment où le XIXème siècle disparaissait progressivement des programmes à la fin du XXème siècle que la recherche historique s'est largement dynamisée pour devenir foisonnante, remettant en cause l'histoire dominante du XIXème siècle. Le XIXème siècle est un siècle de bouleversements profonds et décisifs : apprentissage de la démocratie libérale, industrialisation des sociétés et des économies, invention d'une culture marchande et d'une modernité urbaine, alphabétisation, affirmation de l'Etat et disciplinarisation des conduites, accélération du temps et dilatation de l'espace, volonté de savoir et frénésie des enquêtes, et l'on pourrait allonger la liste à l'envie. Plus largement, le siècle est intimement attaché aux idées de modernité et de progrès. Or jusqu'à la fin du XXème siècle l'historiographie s'est nourrie de ces transformations pour construire un récit presque téléologique au centre duquel on trouve un progrès quasi linéaire vers le mieux, qu'il soit économique ou républicain. Or le siècle du progrès fut aussi celui de l'ambivalence, des inachèvements et des désenchantements, que d'ailleurs ses contemporains ressentirent pleinement : la démocratisation de la société eut pour pendant l'exclusion des femmes, le maintien des déshérités hors de l'espace de la souveraineté ou encore l'oppression coloniale. L'industrialisation a permis une amélioration de la culture matérielle du plus grand nombre mais elle a aussi creusé les inégalités et engendré de graves problèmes environnementaux. L'alphabétisation des Français a rendu possible une émancipation intellectuelle et une acculturation des plus démunis mais s'est aussi accompagnée d'un nationalisme cocardier et de lourds préjugés raciaux. Le siècle a été marqué par le triomphe de la raison et la progressive « sortie de la religion » mais il a été aussi un siècle profondément religieux et croyant, marqué par la persistance du goût pour l'occultisme et la magie. Depuis les années 1980, l'historiographie qui avait insisté sur l'idée de modernité et de progrès, presque linéaire, s'est ainsi saisi de cette ambivalence, pour produire une littérature qui tente de donner une idée plus juste de ce siècle. Bibliographie générale : Synthèses récentes : A. Lignereux, B. Goujon, Quentin Deluermoz, A. Houte, Histoire de la France contemporaine, Paris, Seuil, 2012, Tome 1-2-3. C. Fredj, La France au XIX° siècle, Paris, PUF, 2010. E. Furreix, Le siècle des possibles, Paris, PUF, 2014. Pour un point bien plus exhaustif sur l’historiographie du XIXème siècle : E. Fureix et F. Jarrige, La modernité désanchantée, Paris, La Découverte, 2015. Ces synthèses sont largement suffisantes pour bâtir un cours, mais pour plus de précisions sur certains 2 points des références bibliographiques (très partielles) sont indiquées tout au long de cette présentation. 1- Industrialisation et modernisation : a- La remise en cause de la rupture industrielle : Depuis les années 2000 l'idée majeure est de nuancer l'idée d'une rupture brutale de l'industrialisation et d'une accélération linéaire et rapide. La première révolution industrielle au début du XIXème siècle ne constituerait pas ainsi une rupture brutale. Les études ont montré que les grands indicateurs économiques comme les gains de productivité, les chiffres de la croissance ou encore l’élévation de vie des ouvriers ne connaissaient que des croissances très lente ; de même de nombreuses monographies ont souligné que cette première révolution n’était pas spatialement homogène, avec de très nombreuses régions qui ne connaissent que très peu de transformations. On parlera donc plus d’une transformation progressive et sur le temps long. Dans ce cadre, le charbon est loin de s'imposer rapidement et partout, et on ne doit pas voir le XIXème siècle comme celui d'une vaste transition d'une énergie à une autre, mais plutôt comme celui de l'addition des énergies. L'énergie animale plus flexible, notamment le cheval, reste très présente et connaît une apogée au XIXème siècle tout comme l'énergie hydraulique avec de nombreuses innovations sur les roues et les turbines, et reste par exemple la principale énergie en France jusqu'en 18601. De même l'idée du triomphe de l'entreprise et de l'usine, dans le sens du « factory system », c’est-à- dire d'une concentration des activités en un même lieu périurbain, symbole de la modernité, ne tient plus. De nombreuses monographies régionales ont démontré le maintien très tardif de la proto- industrie et des ateliers ruraux, qui restent présents en force en France jusqu'en 1870-80. De nombreux paysans ont ainsi développé une poly-activité, qui loin d'être archaïque, a entraîné un grand dynamisme, un développement rapide du territoire (alphabétisation, croissance économique, etc...) et un maintien tardif de la population dans les campagnes. Là encore le constat est celui d’une absence de transition rapide mais plutôt d’une coexistence de l'entreprise moderne et de la proto-industrie, qui n'est pas forcément signe d'archaïsme2. Dans ce cadre il faut aussi remettre en cause la fameuse vision de l'entrepreneur héroïque, du savant, de l'ingénieur et de l'industriel comme héros uniques du progrès, à la suite des thèses de Schumpeter et des récits quasi mythologique des réussites individuelles. Les études récentes montrent en effet que les artisans et les ouvriers ont eu une part importante dans les dynamiques inventives du XIXème siècle, au travers d'améliorations incessantes et d'innovations mineures mais nombreuses. Le progrès est donc une œuvre collective, à tous les niveaux et sans véritable hiérarchie3. Enfin il faut aussi revoir la vision de subordination et de discipline au travail qui s'était développée dans les années 70 et à travers les analyses de Foucault. Dans l'ensemble les moyens de contrôle du travail restent faibles et les effectifs de la hiérarchie réduits, et il faut attendre le taylorisme et le début du XXème pour connaître une véritable révolution hiérarchique et le règne de la discipline au travail. Au contraire tout au long du XIXème siècle règne plus que les relations de pouvoir les relations 1 A. Gras, Le choix du feu. Aux origines de la crise climatique, Paris, Fayard, 2007 D. Cooper-Richet, Le peuple de la nuit. Mineurs et mineurs en France, Paris, Perrin, 2011 ; P-L. Viollet, Histoire de l’énergie hydraulique, Paris, Ecole nationale des ponts et chaussées, 2005 ; E. Baratay, La société des animaux, de la Révolution à la Libération, Paris, La Martinière, 2008. 2 P. Verley, Entreprises et entrepreneurs du XVIIIème siècle au début du XXème siècle, Paris, Hachette, 1994. 3 R. Halleux, Le savoir de la main. Savants et artisans dans l’Europe pré-industrielle, Paris, Armand Collin, 2009 et L. Hilaine-Pérez et A-F. Garçon, Les chemins de la nouveauté. Innover, inventer au regard de l’histoire, Paris, CTHS, 2003. 3 négociées, avec des ouvriers qui conservent une autonomie et surtout au-delà du conflit ouvert des moyens de pression au travers du freinage, du turn-over, de l'absentéisme, du vol voire du sabotage4. La France apparaît alors comme l'illustration type de ces remises en cause historiographiques. Longtemps présentée comme en retard par rapport à la Grande-Bretagne puis à l'Allemagne, on la considérait volontiers comme archaïque, notamment au niveau des structures, de sa population, de sa mentalité. En réalité elle connaît le même dynamisme, mais avec un modèle différent, fondé sur des énergies plus diverses, une proto industrie dynamique plus développée, un maintien rural dynamique, etc...5. La question de la modernisation touche non seulement l'industrialisation mais aussi ses conséquences sur le monde rural et urbain. Là aussi les remises en cause ont été nombreuses. b- Transformations rurales et urbaines : L'idée d'un monde rural archaïque et immobile, qui soudain deviendrait mobile pour partir en ville ne tient plus. Les historiens ont démontré d'une part que les ruraux étaient dès l'origine extrêmement mobiles, avec des mobilités très nombreuses entre territoires. D'autre part que le maintien était beaucoup plus important que prévu, avec des stratégies de pluriactivités pour ne pas partir en ville. Dès lors se développe l'idée d’un maintien important des populations rurales au contraire d’un départ de masse en ville. L’exode rural résulterait en réalité d’une réorientation des flux : les migrations inter-campagnes se réorientent désormais vers les villes tandis que les migrations transnationales se dirigent elles aussi désormais majoritairement en milieu urbain. Une réorientation donc des flux plus que la naissance d’un flux6. La ville du XIXème siècle, jusque-là symbole de la modernité bourgeoise et haussmanienne, est revisitée à travers les notions de relations sociales et de flux humains. Elle est désormais étudiée non pas seulement sous l'angle des grands travaux mais sous l'aspect d'une véritable ruche, avec ses interactions sociales qui permettent sa modification négociée permanente7 . Elle est aussi perçue comme l'arrivée des flux. Flux humains avec les migrants et leur intégration, bien moins harmonieux qu'elle n'était décrite, avec une attention aux réseaux de solidarité et de sociabilité et à leur impact sur le territoire urbain8. Flux d'activités avec notamment une attention aux réseaux de transport, qui à côté du développement des nouveaux type de transport reste centré jusqu'à la fin du siècle sur l'animal. Enfin sous l'impact des questions qui agitent le 21° siècle de nouveaux champs d'investigations ont été ouverts, par exemple sur les risques ou sur l'environnement. uploads/Histoire/ f-levy-19ao-siaa-cle.pdf

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  • Publié le Oct 09, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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