19 Les théories de la traduction A. La réflexion sur la traduction - survol h
19 Les théories de la traduction A. La réflexion sur la traduction - survol historique A.I. Traductions de la Bible - le Moyen Âge, la Renaissance Pendant toute la période du Moyen Âge et de la Renaissance, c´est la traduction de la Bible et des textes liturgiques qui constituait une partie non négligeable de la production des textes traduits en Europe. Les premières traductions en langue romane (parlée sur le territoire de la France actuelle) sont des traductions de textes religieux du latin : La Cantilène de saint Eulalie (883), Le Poème de saint Alexis (1050). (Oseki-Dépré, 2011 : 23) Saint-Jérôme (347-419), le patron des traducteurs de nos jours, est connu en tant qu´auteur principal de la Vulgate, traduction de la Bible en latin, qui consistait en une révision des traductions déjà existantes (l´Itala et la Vetus latina) du Nouveau Testament, et en une traduction intégrale de l´Ancien Testament à partir des originaux araméen et hébraïque. À cause de sa traduction de la Bible, il était accusé d´hérésie, notamment parce qu´il avait traduit certains passages de manière différente par rapport à des traductions précédentes, jusque-là usitées. Par exemple saint Augustin, ne connaissant cependant pas l´hébreu et seulement un peu le grec, contestait la traduction de la Bible de saint Jérôme. Celui-ci réagit à ses critiques en rédigeant en 395 ou 396 sa lettre adressée à Pammaque (Pamachius, sénateur romain, mort au V e s.) De optimo genere interpretandi, dans laquelle il défend ses principes et méthodes de traduire, pour se justifier contre les accusations d´avoir falsifié et modifié les Écritures, en ne les traduisant pas mot à mot. Dans son approche méthodologique, saint Jérôme s´appuie sur les réflexions des orateurs romains Cicéron et Horace, exprimées respectivement dans De optimo genere oratorum et dans Ars poetica. Saint Jérôme résume ainsi ses expériences avec la traduction : « Si je traduis mot à mot, cela rend un son absurde ; si, par nécessité, Les théories de la traduction 20 LES THÉORIES DE LA TRADUCTION je modifie si peu que ce soit la construction ou le style, j´aurai l´air de déserter le devoir de traducteur. » (Ballard, 1992 : 48) Saint Jérôme conclut qu´il faut non verbum e verbo, sed sensum exprimere de sensu, soit traduire « le sens plutôt que les mots du texte ». Il modifie le texte original là où il considère que celui-ci nécessite des clarifications ou des explicitations. (Ballard, 1992 : 45-50) Les mêmes critères seront d´ailleurs appliquées par Martin Luther en sa version allemande de la Bible, réalisée entre 1521 et 1534. Avec la Réforme protestante, la traduction de la Bible revêt une importance particulière ; la traduction n´est pas une simple affaire de transfert entre deux langues et cultures, mais devient une affaire religieuse, idéologique et politique. Martin Luther (1483-1546) «L´affaire des Indulgences provoque la réaction de Luther. Ses 95 thèses affichées sur les portes de l´église du château de Wittenberg marquent le début de la Réforme. L´édit de Worms fait de Luther un hors-la-loi. Réfugié au château de Wartburg, en 1521, il traduit en quelques mois le Nouveau Testament en allemand. Il continuera sa traduction de l´Ancien Testament jusqu´en 1534.» (Ballard, 1992 : 139) «Dès 1530, il compose Ein Sendbrief vom Dolmetschen, où il accorde en général une importance prépondérante à la langue cible même s´il préfère parfois, pour assurer la qualité de sa traduction, coller au texte source. C´est pour adapter son texte au public de la langue cible qu´il est amené à créer divers aménagements qu´on lui a reprochés. Son objectif est de ne pas latiniser l´allemand, mais au contraire d´écrire dans cette langue de façon naturelle ou idiomatique. » Luther souligne que c´est la langue d´arrivée (LA) qui doit guider le travail du traducteur, non pas la langue de départ (LD), son objectif est de créer un équilibre entre les deux langues. (Ballard, 1992 : 140) «Luther s´est expliqué sur la méthode dans son Épître sur l´art de traduire et sur l´intercession des saints (1530). Ce petit traité fut envoyé par lui, le 12 septembre 1530, à Wenceslas Link, sous forme de lettre. Le destinataire était chargé de le publier sous son titre d´origine, ce qu´il fit la même année. Luther donne cette lettre comme une réponse à la double question qui lui aurait été posée par un ami au sujet de sa traduction des Romains (3 : 28) et de l´intercession des saints. [... ] L´Épître de Luther n´a rien d´un traité scientifique, c´est une réponse polémique à une attaque polémique, elle vise à défendre une manière de traduire, à affirmer les positions d´un réformateur.... » (Ballard, 1992 : 140) «Il y expose entre autre les principes de la traduction dynamique, fondée sur le respect de l´usage de la langue d´arrivée et le fait que cet usage génère des termes qui n´apparaissent pas dans le texte de départ.» (Ballard, 1992 : 142) «Car ce ne sont pas les lettres de la langue latine qu´il faut scruter pour savoir comment on doit parler allemand, comme le font les ânes ; mais il faut interroger la mère dans sa maison, les enfants dans 21 les rues, l´homme du commun sur le marché, et considérer leur bouche pour savoir comme ils parlent, afin de traduire d´après cela ; alors ils comprennent et remarquent que l´on parle allemand avec eux.» (Luther, 1530, Oeuvres, t. IV, Genève, 1964 : 95, trad. Jean Bosc, cité par Ballard, 1992 : 142-143) William Tyndale (1490-1536) était influencé par Luther et aussi par Érasme. En 1522, il commence à traduire aussi le Nouveau Testament (en anglais), en se servant comme base du texte grec et des notes d´Érasme. Il n´est pas soutenu par les milieux officiels ; il part pour l´Allemagne afin de rencontrer Luther et il publie sa traduction en 1525 à Cologne. C´est la première traduction du Nouveau Testament en anglais. Cette traduction, envoyée en Angleterre en 1526, est cependant interdite par l´Église car elle est influencée par le protestantisme. Pourtant, Tyndale continue son travail de traduction de la Bible en anglais et dès 1530, il commence à publier sa traduction de l´Ancien Testament. En 1535, il est arrêté à Anvers, pendu et brûlé en 1536. (Ballard, 1992 : 145) Sa fin de vie tragique rappelle celle d´un autre traducteur, Étienne Dolet. La traduction de la Bible de William Tyndale servit de base à des traductions suivantes qui aboutirent à la Version Autorisée (1611), aussi connu sous le nom de la Bible du roi Jacques, parce que le projet de traduction était initié par le roi Jacques Ier d´Angleterre, qui fut la Bible officielle en Angleterre pendant presque trois cent ans. (Ballard, 1992 : 145-146) A.II. L´Humanisme français (+ anglais, espagnol) - Clément Marot, Étienne Dolet, Jacques Amyot, François de Malherbe Il est difficile d´évoquer la traduction en français avant la Renaissance. Il y avait bien sûr des traductions liturgiques ou administratives en ancien français, mais le latin garda son rang de langue cible des traductions jusqu´au XVIe siècle au moins pour les textes littéraires et jusqu´à la fin du XVIIIe siècle pour les textes scientifiques. Le tournant a eu lieu cependant au milieu du XVIe siècle : en 1539, le roi de France décrète par l´Ordonnance de Villers-Cotterêts le français langue officielle, égale au latin, langue de savoir et de l´élite. Grâce à l´essor de l´imprimerie, les penseurs de l´humanisme profitaient du décret royal pour diffuser le savoir parmi le peuple en multipliant les traductions dans les langues vernaculaires, comprises par tout le monde. (Guidère, 2010 : 30) «Le désir de s´approprier les oeuvres de l´Antiquité a provoqué en France au XVIe siècle une importante activité de traduction, souvent patronnée par les souverains. Les théories de la traduction 22 LES THÉORIES DE LA TRADUCTION Autour de cette pratique se sont développé la recherche de documents originaux, l´étude des langues et la réflexion sur les problèmes et les options de traduction. Conscients des propriétés différentes des langues, les traducteurs, comme ceux du siècle précédent, rejettent le mot à mot et pratiquent une traduction plus ou moins libre. Les traducteurs français de la Renaissance pratiquaient une forme d´étoffement presque systématique sous la forme de couples de synonymes tels que «la haine et la malveillance». Cet usage, sporadique au XIV e siècle, s´est généralisé au XV e siècle et faisait partie de la rhétorique du temps. Au point qu´un rhétoriqueur de l´époque, Pierre Fabri, dans un traité de 1521, érige cette pratique en précepte et montre comment l´on applique ce type d´amplification. C´est ainsi qu´au lieu de dire: «Jesuchrist nasquit de Marie» on dira: «Nostre sauveur et redempteur Jesus pour nostre salvation est né de la tressacrée et glorieuse Vierge Marie». L´amplification fait donc partie des procédés du «beau style» et aussi des processus d´éclaircissement du texte. Dans le même traité Pierre Fabri rappelle que l´on use d´un style concis pour les «clercs» et d´un style plus «allongé» et claire pour les «simples gens». » (Ballard, 1992 : 101) « Jusque vers 1530 le monde des latinistes uploads/Histoire/ les-theories-de-la-traduction.pdf
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- Publié le Mai 30, 2022
- Catégorie History / Histoire
- Langue French
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