Chapitre I [Biographie essentielle de Georges Friedmann] Georges Friedmann est

Chapitre I [Biographie essentielle de Georges Friedmann] Georges Friedmann est né à Paris en 1902 dans un milieu bour- geois. Il s’oriente vers la philosophie après avoir commencé des études de physique et de chimie. Il entre à l’école normale supérieure en 1923 et deviendra agrégé de philosophie. Au cours de ces années de formation il entretient des relations d’amitié intellectuelle où s’ex- priment ses sympathies pour le marxisme et l’Union soviétique. Il rencontre ainsi des philosophes qui marqueront la pensée française de l’entre-deux-guerres, et pour certains, les années 1960-1970. Georges Politzer (1905-1942), Paul Nizan (1905-1940), Jean Cavaillès (1903- 1944), Georges Canguilhem (1904-1995), ou le sociologue Henri Lefebvre (1901-1991). Bien que jamais membre du parti communiste, Friedmann se considère lui-même, au cours des années 1920, comme « compagnon de route », et participe au Comité contre la guerre et le fascisme. En 1929, il utilise l’argent reçu d’un héritage pour fonder une société d’édition de revue, dans laquelle paraîtront, La revue de psycho- logie concrète dirigée par Georges Politzer, et la Revue Marxiste. Il est nommé professeur au lycée de Bourges et y enseigne jusqu’en 1931. Il est ensuite appelé par le sociologue Célestin Bouglé 8 [Georges Friedmann • vie • œuvres • concepts] (1870-1940) au Centre de documentation sociale de l’1Ecole normale supérieure. Dans le même temps, il entreprend un apprentissage de mécanique à l’École professionnelle Diderot. Ses propres travaux s’orientent alors vers les questions du machinisme et de l’industrie. C’est au cours de cette période, 1932-1933, qu’il fait des voyages en Russie soviétique dans le cadre du Cercle de Russie neuve. Ses observations sur le travail en URSS et dans les pays socialistes sont complétées par des voyages en Angleterre et aux États-Unis durant la même période. Si ses travaux s’inscrivent dans le cadre du marxisme de son temps, ils se rattachent également au mouvement de refon- dation de l’histoire impulsé par Marc Bloch (1886-1944) et Lucien Febvre (1878-1956) à partir des années 1920. Friedmann publie plusieurs articles sur le travail dans la revue Annales d’histoire écono- mique et sociale. Sa participation à la vie politique se poursuit. Il participe à la création en 1934 du Comité de vigilance des intellec- tuels anti-fascistes, et signe le manifeste des travailleurs appelant à la constitution du Front populaire. En 1936, il entreprend un troisième voyage en URSS et publie un ouvrage, De la Sainte Russie à l’URSS, qui lui vaudra une critique virulente du parti communiste. Les procès de Moscou, puis le pacte germano-soviétique mettent fi n à son compa- gnonnage avec le parti communiste. En 1939, il est mobilisé comme lieutenant offi cier d’administration du service de santé. En 1940 il est victime des lois de Vichy sur les Juifs qui le prive de sa citoyenneté et du droit d’exercer son métier de professeur. Il rejoint Toulouse en zone libre où il poursuit son travail intellectuel et participe aux activités de la Résistance1. Après la guerre, il est nommé professeur 1. Pour de plus amples développements sur l’évolution des rapports de G. Friedmann avec le communisme, l’URSS, le marxisme et sur son action dans la résistance, on peut Biographie essentielle de Georges Friedmann 9 au Conservatoire des arts et métiers. Il participe, avec d’autres, tels que Raymond Aron (1905-1983), Georges Gurvitch (1894-1965), Jean Stoetzel (1910-1987) à la renaissance de la sociologie française à travers la création du Centre d’étude sociologique. Sous son impul- sion, le travail devient objet d’étude sociologique à part entière. Dans le séminaire qu’il conduit à l’École des hautes études en sciences sociales se retrouvent des sociologues encore en formation mais dont les œuvres à venir marqueront la discipline, Alain Touraine, ou Henri Mendras (1927-2003). Il préside l’Association internationale de sociologie de 1956 à 1959. En 1960, explorant un autre champ de la modernité, complémentaire de celui du travail, il fonde le Centre des communications de masse, et la revue Communications, toujours publiée. Sous sa direction, et celle de Pierre Naville (1904-1993), est publié le Traité de sociologie du travail en 1964. Ses travaux porteront alors principalement sur les formes modernes de communication. Il meurt en 1977. L’œuvre de Friedmann „ Deux grands thèmes structurent l’œuvre de Friedmann. Le premier, et le plus important, concerne le travail humain et ses rapports avec la technique : La crise du progrès, esquisse d’histoire des idées, 1895-1935 (1935) ; Problèmes humains du machinisme industriel (1946) ; Esquisse d’une psycho-sociologie du travail à la chaîne ([1941], 1948) ; Révolution industrielle et crise du progrès (revue Annales. Économie, Sociétés, Civilisations, N.3,1948) ; Où va le travail humain ? consulter la première partie de l’ouvrage de P . Grémion et F. Piotet (dir.), Georges Friedmann un sociologue dans le siècle, 2004. 10 [Georges Friedmann • vie • œuvres • concepts] (1950) ; Le travail en miettes (1956) ; 7 études sur l’homme et la tech- nique (1966). Le second, étroitement lié au premier dans les problé- matiques développées dans l’œuvre de Friedmann, analyse les effets de la technique sur la vie sociale en dehors des lieux de production, des ateliers et prend pour objet d’étude l’utilisation par les individus de leur temps de loisir ou temps libre. Ce second thème est présent dans certains des ouvrages déjà cités, comme par exemple Où va le travail humain ?, mais il est également plus précisément développé dans des textes comme : Le loisir et la civilisation technicienne (1960), Le milieu technique : nouveaux modes de sentir et de penser (1964). L’œuvre de Friedmann comporte également toute une série d’articles et de textes qui accompagnent ses recherches, ses voyages d’études, ses engagements politiques et institutionnels. On peut citer pour illustrer ce propos1 : De la Sainte Russie à l’URSS (1938) ; De Boston au Mississipi (Esprit, n° 156, 1949) ; Problèmes d’Amérique latine (1959). Dans les années 1930, Friedmann, sous le pseudonyme de Jacques Aron, a publié des romans et de la poésie : Votre tour viendra (1930), Ville qui n’a pas de fi n (1931), L’adieu (1932). Le dernier ouvrage de Friedmann, La puissance et la sagesse (1970), donne à la dimension morale et spirituelle de la condition humaine une place essentielle pour traiter du déséquilibre, qui carac- térise le rapport de l’être humain à son environnement naturel et social, et qui est provoqué par la puissance du progrès technique. Ce déséquilibre menace l’équilibre physique et psychique de l’être humain producteur de biens et services. Friedmann abandonne cette fois complètement l’idée qu’il est encore possible grâce au seul apport du 1. Pour des références complémentaires, voir la bibliographie. Biographie essentielle de Georges Friedmann 11 progrès technique, grâce à la rationalisation de la société de produire du bien être (autre que matériel) pour l’humanité. En fait désormais, il est convaincu que pour maîtriser la puissance du progrès technique, la transformation des conditions économiques, sociales et politiques ne suffi t pas comme le pensaient Marx et les marxistes. Certes le marxisme est un ensemble révolutionnaire de moyens pour changer la société, mais il lui manque une dimension morale, éthique. Selon Friedmann, il n’y a pas d’âge d’or ou de paradis perdu, le sens, qu’il faut donner à l’existence de l’homme, à la condition humaine, est à inventer. Ce dernier ouvrage est pessimiste et sombre sur l’avenir de la condition humaine. Avant la fi n des années 1960, Friedmann faisait « confi ance à la science pour venir au secours du corps et de l’esprit de l’homme au travail, le défendre contre les effets d’une industrialisation anarchique et rapace », dans cet ouvrage, il écrit que seule une révolution spirituelle, c’est-à-dire un retour à l’individu et un effort sur soi parti de l’homme intérieur pourra permettre de dépasser le déséquilibre créé par la puissance technique. Un nouveau rapport au savoir et à la science s’impose, une prise de conscience nouvelle est indispensable, car la crise morale de la science est une des manifestations majeures du déséquilibre de l’homme dans le milieu technique contemporain. L’ouvrage posthume Ces merveilleux instruments. Essais sur les communications de masse (1979), a été publié grâce à Marie Thérèse Basse qui a rassemblé des essais écrits par Friedmann dans les dernières années de sa vie. Ces essais issus de la revue Communications fondée par Friedmann avec notamment E. Morin et R. Barthes (1915-1980) portent surtout sur la télévision qui est selon lui « porteuse du meilleur comme du pire ». Dans ces essais 12 [Georges Friedmann • vie • œuvres • concepts] Friedmann dénonce également la publicité comme technique « de viol des foules, de persuasion clandestine » et responsable de « la création sans fi n de besoins artifi ciels ». Dans ces essais, Friedmann, déterminé à ne pas renoncer à ses convictions humanistes, dénonce des œuvres dans lesquelles l’homme est inférieur à celles-ci. Il souhaite que le pire ne soit pas certain et que l’humanité déjoue les pièges qui la menacent. Enfi n, son Journal de guerre 1939-1940, publié à titre posthume en (1987), est un témoignage sur sa vie au quotidien durant une des périodes les plus noires de l’histoire de uploads/Histoire/ friedmann-bio.pdf

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  • Publié le Aoû 04, 2021
  • Catégorie History / Histoire
  • Langue French
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