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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/5 Nucléaire : le retour de la pensée magique PAR MARTINE ORANGE ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 27 OCTOBRE 2021 Chargement de combustible à la centrale de Fessenheim © SEBASTIEN BOZON / AFP Il a suffi de quelques semaines de crise énergétique pour que tout le monde veuille construire de nouveaux réacteurs. Mais sans jamais dire comment. Toutes les questions économiques, industrielles et financières sont passées sous silence, comme si le seul fait qu’il y ait une volonté suffisait à faire un chemin. Il n’y a plus qu’un seul obstacle qui se dresse pour signer le grand retour du nucléaire, selon les défenseurs de l’énergie atomique. Mais celui-ci pourrait être levé très rapidement: le 7décembre – si le calendrier prévu est respecté –, la Commission européenne pourrait inscrire le nucléaire dans la taxonomie européenne, c’est-à-dire la liste des énergies éligibles aux financements préférentiels parce que considérés comme aidant à la décarbonation de l’économie. Cela mettrait fin à des mois de bagarre entre l’Allemagne et la France, Paris ayant réussi à rallier à sa cause une dizaine de pays membres pour soutenir le développement du nucléaire. Même les plus optimistes dans le camp des défenseurs du nucléaire n’espéraient pas tel revirement. Il a suffi de quelques semaines de crise énergétique, affolant les gouvernements et les populations, pour que tombent toutes les préventions sur l’atome, ranimées après l’accident de Fukushima. Brusquement, tous ceux qui n’osaient plus se déclarer en faveur du nucléaire se sont réveillés. À gauche (lire l’article de Pauline Graulle), la conversion est spectaculaire. Avant même d’avoir à disposition les conclusions du rapport de RTE, rendues le 25 octobre, sur les différents scénarios d’évolution de la politique énergétique en France d’ici en 2050, la majorité des partis politiques français avaient tranché: selon eux, l’avenir d’une économie décarbonée ne peut passer que par le tout électrique (avec moult batteries et hydrogène). Dès lors, le nucléaire est la seule solution évidente. Un véritable concours Lépine s’est même installé en ce domaine. Xavier Bertrand, candidat à la primaire des LR, propose le lancement de la construction de nouveaux réacteurs, dont deux dans sa région des Hauts-de-France, dès son élection. Valérie Pécresse, autre candidate à la primaire de droite, se dit en faveur de quatre EPR. Emmanuel Macron, qui avait annoncé de longue date son ambition de lancer six EPR mais avait suspendu la décision après l’élection présidentielle, a décidé de presser le pas. Selon certaines rumeurs insistantes, il pourrait même annoncer le lancement de ce programme dès la fin du mois. Chargement de combustible à la centrale de Fessenheim © SEBASTIEN BOZON / AFP Cette surenchère laisse perplexes nombre de connaisseurs du monde de l’énergie. «Une politique énergétique, cela se pense dans le temps, cela se planifie. Il faut vingt ans pour la construire, au minimum dix ans pour construire les installations industrielles », rappelle un ingénieur d’EDF. Entre les lignes, le président du directoire de RTE a fait la même mise en garde lors de la présentation du rapport sur les scénarios énergétiques en 2050 : «Il y a urgence à se mobiliser et à choisir une orientation, souligne Xavier Piechaczyk. Nous sommes dans une course contre la montre pour répondre à la crise climatique. Tous les scénarios nécessitent des investissements considérables sur lesquels il est temps de prendre une option. » Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/5 «Il est plus que temps de sortir du débat d’opinions pour en venir aux discussions sur les hypothèses », ajoute la députée Émilie Cariou, membre du groupe Écologie démocratie solidarité, qui vient de déposer une proposition de loi sur « la transparence dans le nucléaire », afin d’évaluer les choix qu’imposent tous les scénarios de l’arrêt de certains réacteurs à leur prolongation en passant par le développement de nouveaux réacteurs et la gestion des déchets. Car au-delà des effets d’annonce et des propos d’estrade, tout relève dans le dossier de la relance du nucléaire de la pensée et de l’argent magique. Toutes les questions économiques, industrielles et financières sont passées sous silence, comme si le seul fait qu’il y ait une volonté suffisait à faire un chemin. Quel modèle de réacteur? Cette seule question de base semble être une évidence pour les responsables politiques: il y a l’EPR. Comment afficher une telle assurance? Depuis quinze ans, le monde politique s’aveugle et nie le naufrage de ce réacteur qui a conduit à la faillite d’Areva. Lancé en 2004, il n’y a qu’un seul réacteur en fonction pour l’instant dans le monde et encore il est chinois : il a été modifié par rapport à la conception initiale. Tous les autres sont à l’arrêt ou encore en cours de construction. Le chantier du premier, le réacteur finlandais Olkiluoto 3 (OL3), tourne au cauchemar : il a plus de quinze ans de retard et sa mise en service a encore été reportée en août 2021. Les coûts sont hors de contrôle. Le deuxième, celui de Flamanville, rencontre les mêmes difficultés : il a plus de dix ans de retard, sa mise en service a encore été reportée pour être fixée désormais à fin 2022. Son coût, de 4,5 milliards d’euros à l’origine, atteint les 20 milliards. Ce qui aurait pu être analysé comme des erreurs de conception à l’origine se retrouve aujourd’hui sur le chantier d’Hinkley Point. Comme les ingénieurs d’EDF en avaient averti la direction du groupe et le gouvernement lors de la signature du contrat de l’EPR britannique, le calendrier se révèle totalement irréaliste. La mise en service du réacteur a déjà été repoussée en juin 2026, alors que le contrat prévoyait sa construction en six ans et demi, soit vers fin 2023. Les surcoûts avoués sont déjà de plus de 500 millions de livres sterling (environ 700 millions d’euros). De 26 milliards d’euros à l’origine, le coût total est déjà passé entre 27 et 28 milliards d’euros. Enfin il y a le réacteur de Taïshan, le deuxième EPR chinois, mis à l’arrêt en juin à la suite de la découverte de fuites radioactives. Personne ne sait réellement aujourd’hui ce qui se passe autour de ce réacteur, si les fuites sont liées à un défaut de conception du combustible, ou de mise en œuvre ou autre chose. Par nature très discrètes, les autorités chinoises ne soufflent mot et les relations avec EDF sont au plus bas : la divulgation par les autorités américaines a jeté un froid entre les deux partenaires. Surtout après qu’il a été découvert, selon nos informations, que pour des raisons d’économie, Framatome, désormais la filière d’ingénierie nucléaire d’EDF, avait décidé d’héberger toutes ses données sur un iCloud américain. Et c’est à la suite des échanges d’alerte entre Chinois et Français qu’un des membres de Framatome US a décidé, pour se conformer à la réglementation, de saisir les autorités américaines qui se sont empressées de les rendre publiques. Préférant ne pas trop s’appesantir sur l’EPR au destin plus que problématique, Emmanuel Macron a popularisé un nouveau concept : les mini-réacteurs nucléaires ou small modular reactors (SMR). Ils sont censés apporter réponse à tout, en premier lieu aux grands sites industriels très consommateurs d’énergie, notamment pour la fabrication de l’hydrogène, nouvel eldorado de la transition énergétique. La conception de ces « mini réacteurs » s’inscrit à rebours de tout ce qui a été dit sur l’énergie nucléaire jusqu’à maintenant. Compte tenu de l’importance des coûts imposés par les mesures de sûreté et sécurité, la seule solution pour produire de l’énergie à un prix abordable est d’augmenter la taille des réacteurs afin d’augmenter la production, soutenaient jusqu’alors les experts. C’est ce qui a conduit à la conception de Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/5 l’EPR, capable de produire entre 1 400 et 1 600 MW contre au maximum 950 MW pour les réacteurs traditionnels. Comment des mini-réacteurs, d’une puissance allant entre 170 et 300 MW sont-ils susceptibles de produire une électricité à un prix abordable, alors qu’ils auront à supporter les mêmes contraintes de sécurité ? Mystère. De premières projections économiques évoquent des chiffres autour de 130 à 150 euros le MWH contre 42 euros – prix officiel de l’Arenh bien qu’il soit plus proche de 46 euros – pour le parc nucléaire historique et 92 euros pour l’EPR. Mais en fait personne n’en sait rien d’autant que les SMR n’existent, à l’exception d’un seul prototype russe, que sur le papier. Des recherches sont menées sur ce type de réacteur depuis dix ans aux États-Unis. Un consortium britannique conduit par Rolls-Royce espère obtenir une licence de SMR vers 2024 et aboutir à une première réalisation vers 2029-2030. En France, le sujet est encore plus simple : il n’y a aucune recherche avancée, aucun projet à ce stade. Un consortium regroupant le CEA, EDF, Naval Group et TechnicAtome vient d’être formé pour travailler sur un mini-réacteur. Dans le cadre du plan France 2030, Emmanuel Macron a annoncé une enveloppe d’un milliard d’euros pour des appels à projets pour travailler uploads/Industriel/ article-990917.pdf

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