Observatoire des mutations des industries culturelles Réseau international de c

Observatoire des mutations des industries culturelles Réseau international de chercheurs en sciences sociales Série : « Notes de lecture critiques » Stephen Kline, Nick Dyer-Witheford, Greig De Peuter, Digital Play: The interaction of Technology, Culture, and Marketing. McGill-Queen's University Press, 2003, 424 p. Vincent Berry Gilles Brougère EXPERICE - Paris 13 Ce texte a été publié pour la première fois en avril 2006 sur le site de l’OMIC. Pour citer ce texte : Auteur, <« Titre du texte »>, Observatoire des mutations des industries culturelles [En ligne], mis en ligne le <Date de mise en ligne>. URL : <URL de l’article>. Consulté le <Date de consultation>. Tous les articles originaux du site sont publiés sous licence Creative Commons. Vous êtes libres de les reproduire, de les distribuer et de les communiquer au public, sous réserve du respect des conditions de paternité, de non-utilisation commerciale et de non-modification. Plus d’informations sur le site www.creativecommons.org. Note de lecture critique Vincent Berry Stephen Kline, Nick Dyer-Witheford, Greig De Peuter, Digital Play Gilles Brougère 3 Stephen Kline est professeur à Simon Fraser University, Burnaby, British Columbia, Canada et directeur du “Media Analysis Laboratory”. En collaboration avec Nick Dyer-Whiteford et Greig De Peuter, il propose dans ce livre une analyse de l’industrie des jeux vidéo à travers une étude socio- historique de ce secteur : ses origines, la construction du marché, les entreprises emblématiques, le développement des produits, les ventes, les pratiques… Tout le travail de Stephen Kline consiste non seulement à montrer comment s’est constitué ce champ, mais également à analyser les variables historiques et socio-économiques qui structurent son organisation. Le cœur de cette industrie, dit-il, est constitué d’interactions et de relations très fortes, à la fois complémentaires et conflictuelles – et parfois paradoxales- entre trois « circuits » : celui de la culture, du marketing et de la technologie. Et c’est dans cette dynamique que se construisent ces produits, cette culture et ces pratiques. Du point de vue de la question des mutations on peut considérer ce secteur comme emblématique pour deux raisons : d’une part parce qu’il est marqué par une série de mutations fortes qui en constitue l’histoire pourtant courte, d’autre part parce que son fonctionnement témoigne peut-être de mutations plus générales qui dépasseraient ce secteur, d’où l’intérêt de présenter de façon approfondie cette analyse. Eloigné de tout déterminisme technologique et de l’euphorie digitale qui l’accompagne, comme de tout rejet culturel de pratiques souvent dépréciées avant d’être analysées, l’ouvrage montre comment s’est construite une pratique culturelle spécifique non réductible à celles qui l’ont précédées, productrice d’un « complexe engagement psychologique associant exploration créative et fiction dans une forme de communication médiatisée qui fusionne cet engagement des jeunes avec l’intensité de la participation. » (p.18). 1. PERSPECTIVE THÉORIQUE : LE MODÈLE DES TROIS CIRCUITS ET LE POST-FORDISME 1.1 Le modèle des trois circuits En croisant théories des médias (Innis et Mac Luhan), de la culture (Williams, Hall et Baudrillard) et de l’économie (Marx, école française de la régulation et Granham), Stephen Kline développe ainsi un modèle, « le modèle des trois circuits » permettant à la fois d’analyser le fonctionnement de ce secteur, mais également de rendre compte de ses dysfonctionnements, de sa fragilité et de ses paradoxes. Note de lecture critique Vincent Berry Stephen Kline, Nick Dyer-Witheford, Greig De Peuter, Digital Play Gilles Brougère 4 Diagramme 5 : les trois circuits (p.55) Le circuit culturel Il regroupe le champ de productions et de consommations de productions culturelles (livres, films, télévision, programmes, musique et jeu). Le circuit culturel montre les relations entre les pratiques des joueurs et les activités associées à la création de jeu. Le circuit technologique Il concerne les « artefacts numériques », ordinateurs, consoles, télécommunications, logiciels, qui constituent les infrastructures dont les industries du jeu vidéo dépendent. Le circuit marketing Il comprend la recherche, la publicité, la mesure des ventes et des modes de consommations, les stratégies de mise en marché des produits, toutes activités vitales pour cette industrie. Le jeu interactif ou numérique se situe à l’intersection de ces trois circuits, et suppose pour être compris de saisir la dynamique des trois sphères de la technique, du marketing et de la culture. Ils doivent être considérés comme interdépendants. Le terme de circuit renvoie à l’idée de circulation entre les acteurs et entre les sphères comme on parle de circulation des significations dans l’étude des médias. Note de lecture critique Vincent Berry Stephen Kline, Nick Dyer-Witheford, Greig De Peuter, Digital Play Gilles Brougère 5 1.2 Jeux vidéo et post-fordisme Pour compléter ce modèle, les auteurs empruntent à l’école française de la régulation la notion de post-fordisme. Il ne s’agit pas de considérer les caractéristiques de l’industrie des jeux vidéo comme spécifiques, précisent les auteurs, mais de voir qu’au-delà de ses spécificités cette industrie s’inscrit dans le modèle de l’économie post-fordiste. Si le fordisme se caractérisait entre autres par une consommation de masse, le post-fordisme se caractérise par un marché segmenté, un ensemble de niches mais à l’échelle mondiale. Ils caractérisent cette dimension post-fordiste du marché du jeu vidéo par : - Une innovation continue ; - Des marchandises expérientielles (cette notion désigne le basculement de consommation d’artefacts matériels vers une consommation d’objets à durée de vie très courte et souvent immatériels) ; - La post-modernisation de la culture : “Nous risquons peut-être de le réduire en disant que ce terme désigne une situation dans laquelle l’image domine la réalité dans le circuit accéléré des marchés médiatisés » (p.69) ; - L’importance des intermédiaires culturels c’est-à-dire d’un ensemble d’acteurs du marché supposés recueillir et comprendre les goûts et les choix du public, et servant d’interface entre producteurs et consommateurs. Toutefois, cette notion de post-fordisme ne va pas sans difficulté. Cette marchandise, le jeu vidéo, si elle se révèle à bien des égards comme une « marchandise idéale » de la nouvelle économie et répondant parfaitement aux critères du post-fordisme, génère également tout un ensemble de dysfonctionnements pour les industriels (difficulté à gérer l’innovation, piratage, exclusion des filles du marché…) et de problèmes pour la société (violence des jeux vidéo, sexisme…) De la même façon, ce post-fordisme, ce régime d’accumulation tel que décrit par l’école de la régulation, a tendance à considérer que l’économie change et qu’après une brève période de restructuration, les détenteurs du capital trouvent toujours un équilibre entre production et consommation. Or, l’étude des industries du jeu vidéo montre au contraire des cycles réguliers de « boom et de crash » et un déséquilibre fréquent. Note de lecture critique Vincent Berry Stephen Kline, Nick Dyer-Witheford, Greig De Peuter, Digital Play Gilles Brougère 6 2. HISTOIRE DU JEU VIDÉO : ÉMERGENCE ET STRUCTURATION D’UN CHAMP Stephen Kline essaie d’analyser la constitution de ce champ à partir du modèle des trois circuits et de cet ensemble de notions socio-économiques. Il distingue ainsi plusieurs périodes balisant l’histoire de cette industrie culturelle au cours desquelles vont se définir et s’articuler les interactions entre ces 3 circuits : - Début des années 70 et fin des années 80 : les prémisses militaires du jeu vidéo et l’ère d’Atari ; - 1985-1990 : le quasi-monopole de Nintendo ; - 1990-1995 : la guerre du jeu vidéo : « console contre console » et « console contre ordinateur » ; - 1995-2001 : Une guerre étendue par l’arrivée de Sony et Microsoft. 2.1 Les prémisses des jeux vidéo et l’ère Atari Dans les années 60 apparaissent les premières « formes de jeux vidéo ». Ce sont en grande majorité des applications informatiques militaires détournées par des étudiants Aujourd’hui à connotation délinquante, le terme de hacker a longtemps désigné un ensemble de pratiques étudiantes qui consistaient à utiliser des programmes universitaires ou militaires pour se les réapproprier, et les transformer en d’autres applications, ludiques le plus souvent. Les laboratoires, le MIT notamment, encourageaient ces pratiques, voyant là des formes tout à fait adaptées d’innovation, de création et de recherche. Créée en 1972 par Nolan Bushnell, l’un de ces anciens hackers, la société Atari produit le premier jeu vidéo à succès, Pong, sous la forme de bornes d’arcade distribuées dans les bars américains. Sur la base de cette considérable réussite, Atari va très vite grandir et développer des versions domestiques de Pong (les « Home Pong »). La société se lance ainsi dans la fabrication des consoles de salon et de jeux d’arcade. Les processeurs sont encore chers à produire, et le prix d’achat de ces machines rebute également. Mais, un marché apparaît rapidement réparti entre : - fabricants de plates-formes de jeu (hardware) ; - Editeurs de jeux (software) qui développent les logiciels ; - Studio de développement et créateurs de jeux qui proposent aux éditeurs des maquettes. Note de lecture critique Vincent Berry Stephen Kline, Nick Dyer-Witheford, Greig De Peuter, Digital Play Gilles Brougère 7 Beaucoup de sociétés comme Atari sont à la fois éditeur de logiciels et fabricant de plates-formes. Au début de ce marché, la production, la vente et la distribution sont assurées par des petites sociétés, issues « d’aventures solitaires ». Mais uploads/Industriel/ berry-brougere-digital-play-interaction-technology-culture-marketing-kline-dyer-witheford-depeuter.pdf

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