Les Systèmes Productifs Localisés Un bilan de la littérature Claude COURLET, Pr

Les Systèmes Productifs Localisés Un bilan de la littérature Claude COURLET, Professeur d’université, IREPD, Université Pierre Mendès France :BP 47, 38040 Grenoble Cedex 1 Introduction Depuis une vingtaine d’années, de nombreux travaux ont montré l’intérêt de l’introduction de l’espace pour la compréhension des phénomènes économiques. L’élément spatial devient une caractéristique intrinsèque des concepts économiques (avantages comparatifs, rendements croissants, trajectoires technologiques…). L’espace n’est plus le cadre dans lequel s’inscrivent ou que dessinent les phénomènes économiques, mais un facteur parmi d’autres de leurs modes d’organisation et de leur dynamique. On peut distinguer plusieurs types de travaux dans ce cheminement en direction d’une intégration croissante de l’espace dans l’analyse économique, en fonction de leur vision faible ou forte de l’espace. Les premiers travaux, partant des problèmes de localisation des activités, considèrent l’espace comme un élément passif qui entre dans le calcul économique des agents en raison de ses caractéristiques propres ( la distance, par exemple) Le second type de recherches adopte une vision plus active de l’espace en faisant émerger le territoire comme un centre de décisions économiques ayant des répercussions sur les agents dans le but de les attirer : c ‘est la thématique de la concurrence des territoires. Enfin, des recherches qui ont eu, comme celles sur les districts industriels, un certain retentissement, pouvant être regroupées autour de la notion de Système Productif Localisé (SPL), considèrent le territoire comme un type d’organisation possédant ses logiques propres de reproduction et de développement. Ce texte se propose de livrer un bilan de la littérature relative à ce dernier groupe de travaux. Dans une première partie il décrit rapidement les origines de la notion de SPL pour aborder dans un second temps la démarche de construction de celle-ci. Ensuite, le texte s’attache à expliciter davantage la notion en montrant, d’une part, qu’elle est la traduction de phénomènes originaux de développement localisé (troisième partie) et , d’autre part, qu’elle peut être interprétée comme forme généralisée d’organisation productive territorialisée. 2 I les origines de l’analyse : le district industriel La notion de district industriel représente dans la littérature économique récente l’un des axes majeurs à partir desquels s’est cristallisé la réflexion consacrée aux relations entre dynamique industrielle et dynamique territoriale. Hérité de l’analyse marshallienne, le concept de district trouve son origine dans deux principales sources complémentaires : l’une, essentiellement théorique issue d’une relecture de l’œuvre d’A. Marshall et notamment d’une partie de ses travaux consacrés plus spécifiquement à l’analyse des faits industriels ; l’autre, plus empirique, qui nous vient principalement de l’Italie, relative à l’étude des formes spatiales des processus d’industrialisation diffuse apparues dans les régions du centre et du nord-est de l’Italie au cours des années soixante et soixante-dix. 1 L’analyse d’Alfred Marshall L’intérêt de Marshall pour le district industriel est lié à l’étude de la localisation des firmes. La localisation des activités est abordée au chapitre X du livre IV des principes de l’économie politiques (1898) et de manière récurrente dans « Industry and Trade » (1919) en particulier au chapitre VI du livre II (pp. 440 à 449). Marshall traite de l’industrie concentrée dans certaines localités qu’il désigne par le terme « d’industrie localisée » . Dans cette analyse, il cherche à voir en quoi la concentration industrielle est une condition nécessaire à la réalisation de la division du travail, facteur principal de la loi de productivité croissante. Il investit ainsi une lecture croisée de l’organisation économique à travers sa dimension technique et spatiale et suggère la possibilité de l’existence d’un mode d’organisation efficace qui dévie du clivage marché/hiérarchie bien avant que celui-ci apparaisse dans l’analyse économique. Dans le cadre de son analyse des faits économiques, Marshall examine « le sort des groupements d’ouvriers qualifiés qui se forment dans les limites étroites d’une ville manufacturière ou d’une région industrielle très peuplée » (Marshall, 1898, p. 465). 3 L’analyse de la localisation de Marshall est originale en ce sens qu’elle accorde peu d’importance aux causes premières exogènes de la localisation contrairement à beaucoup de travaux sur le sujet y compris les plus récents. Ainsi si les conditions physiques (caractère du climat et du sol, existence de mines et de carrière, accès facile en terme de transport), la présence des cours des princes ou rois peuvent jouer un rôle, mais en définitive tout dépend de l’usage que fait l’homme de ces avantages. Deux grands types d’avantages retiennent son attention. Une première série d’avantages est liée au rassemblement de ressources humaines spécifiques, notamment à travers la constitution d’un marché local pour un même type de qualification. Cette première série d’avantages renvoie à l’environnement social ; des forces économique grâce à la constitution d’une « atmosphère industrielle »1 facteur d’osmose et de transmission des compétences dans le temps au sein de système : « les avantages que présentent pour des gens adonnés à la même industrie qualifiée, le fait d’être près les uns des autres, sont grands. Les secrets de l’industrie cessent d’être des secrets ; ils sont pour ainsi dire dans l’air, et les enfants apprennent inconsciemment beaucoup d’entre eux ; (…) si quelqu’un trouve une idée nouvelle, elle est aussitôt reprise par d’autres et combinée avec des idées de leur cru ; elle devient ainsi la source d’autres idées nouvelles » (Marshall, 1898, p. 466). Une deuxième série d’avantages est liée à l’interdépendance technique des activités créées par la naissance, « dans le voisinage » d’une industrie principale, d’industries auxiliaires situées techniquement en amont et en aval de celle-ci, au sein d’une même « filière productive » Mais Marshall insiste sur la communication, les échanges d’information, la nécessité du contact personnel entre les branches de production alliées. C’est là l’effet d’économies externes d’agglomération fortement liées à la proximité spatiale. On peut considérer que Marshall fait ici référence aux coûts supportés par une entreprise qui est à la recherche d’un client ou d’un fournisseur. Celle-ci a besoin d’information pour définir et contrôler ses échanges. Le besoin d’information est réduit quand les biens sont standardisés, mais la situation est très différente pour des produits nouveaux et 11 Le terme « atmosphère industrielle » apparaît dans A ; Marshall (1919) : « Industry and Trade », traduction par G. Laduc (1934), Ed. Marcel Giard, Paris, 442p 4 très spécifiques. Ceux-ci impliquent des contacts directs, des face à face entre les agents intéressés pour surmonter les difficultés de communication et réaliser les transactions. Dans ce cas, la nécessité d’avoir des contacts rapides et efficaces augmente les avantages d’une localisation commune des activités. Dans de telles conditions le mécanisme qui gouverne les transactions ne peut être exclusivement le marché. Marshall était conscient des limites de la concurrence : la réalisation normale de nombreuses transactions sur le marché repose sur des relations de connaissances et de confiance réciproque entre les co-contractants. Finalement, les économies externes d'agglomération sont des services gratuits que des entreprises contiguës se rendent mutuellement du fait de leur action sur leur environnement : lutte contre les coûts de transactions, économies d'échelle, formation de la main-d’œuvre, circulation de l'innovation, etc. ... Ces économies externes sont chez Marshall fortement ancrées territorialement et présentent une forte irréversibilité reposant sur les structures historiques et sociales d'un district. Le district est une construction à partir d'avantages créés et non innés (Gaffard, Romani, 1990). Dans cette perspective, l'efficacité d'un système localisé de PMEs serait en grande partie le produit de son inscription socio-territoriale. 2 L’analyse italienne Le point de départ fut sans conteste les travaux de Bagnasco (1977, 1988 ), de Brusco (1982), Garofoli (1981 à 1983a, b) et de Fuà et Zacchia (1985), Trigilia (1986), à propos de la Troisième Italie. A l'opposition devenue classique entre le Nord industrialisé avec de grandes entreprises et un Sud sous-développé et agricole émergeait au sein des régions italiennes du Nord-Est et du Centre, une réalité plus complexe qui se caractérisait par la présence diffuse de petites entreprises s'engageant victorieusement sur le marché mondial à travers une industrie spécialisée. Ces premières études, menées par des sociologues et des économistes régionaux insistaient plutôt sur les dynamiques endogènes de développement et les caractéristiques sociologiques de ces régions comme facteur explicatif de ces dynamiques. C'est avec Becattini (1979, 1987) que l'expression district industriel apparaît. Il remarque que le type d'organisation industrielle de ces régions, mélange de concurrence- émulation-coopération, au sein d'un système de petites et moyennes entreprises, rappelait le concept marshallien de district industriel. 5 Dans son analyse, comme Tönnies (1922), Becattini articule les traits relevant de la configuration proprement économique de l'ensemble d'entreprises et des traits se rapportant au fonctionnement social de la collectivité locale. Ce qui permet de spécifier et de caractériser cette communauté locale, ce n'est pas l'appartenance des individus à un même ensemble d'entreprises, c'est plutôt un ensemble culturel de valeurs communément partagées. Ce système de valeurs permet de circonscrire les conflits d'intérêts à l'intérieur de l'intérêt communautaire inséré dans le complexe de population locale. L'autre versant de la définition du district industriel est la population d'entreprises qui le composent. Celles-ci sont, en général, articulées techniquement les unes sur les autres et contribuent collectivement à une uploads/Industriel/ bilan-literature-spl.pdf

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