CHIMIE PARIS – N° 340 – Mars 2013 6 DOSSIER e déchet, un danger Notre globe − s

CHIMIE PARIS – N° 340 – Mars 2013 6 DOSSIER e déchet, un danger Notre globe − sa faune, sa flore, l’eau, l’air et le sol − est formé d’éléments chimiques dont certains ont un caractère toxique ou dange­ reux dans des conditions courantes. Le nickel par exemple, même à l’état d’alliage avec du fer (acier) dans un boîtier de montre, peut créer un eczéma au seul contact de la peau, et le lithium, qui réagit avec l’eau en produisant un dégagement d’hydro­ gène, s’enflamme spontanément avec l’oxygène de l’air… Le danger peut provenir non seulement des élé­ ments chimiques, mais aussi d’une de leurs nombreuses combinaisons − le National Institute of Standards and Technology (NIST, États-Unis) en répertorie 192 108 ! Par exemple, le carbone et l’azote ne sont pas réper­ toriés, on s’en doute, comme toxiques ou dangereux mais, combinés, ils for­ ment le très toxique cyanure CN-. Les déchets peuvent contenir ces éléments chimiques et leurs compo­ sés compte tenu de leurs propriétés utiles ; le danger d’un déchet peut provenir de surcroît non seulement de sa composition, mais aussi de sa fonction acide, basique, oxydante ou réductrice. Ces types de dangers doivent être complétés par les risques CMR (cancérigènes, mutagènes, re­ protoxiques). Les différents types de risques sont représentés par des pic­ togrammes qui rappellent la grande diversité des risques qu’encourent l’environnement et les êtres humains par contact, inhalation (particules, aérosols…) ou ingestion. La toxicité pour les êtres vivants peut être aiguë, comme à Abidjan (Côte d’Ivoire) en août 2007 : des dizaines de morts et des centaines de personnes intoxiquées à la suite du déversement dans une décharge d’ordures ména­ gères d’un déchet indus­ triel contenant du sulfure d’hydrogène, H2S, des mercaptans de formule générale R-SH avec R=CH3, C2H5…, du crésol, molécules présen­ tant une toxicité aiguë, et de l’hy­ droxyde de sodium. La toxicité peut aussi être lente et insi­ dieuse. Le risque peut être provoqué par des déchets classifiés à carac­ tère non toxique (végétaux…), par exemple lorsqu’ils sont déversés en quantité importante dans une eau de surface et consomment son oxygène, constituant ainsi un risque pour la vie aquatique et les ressources en eau potable d’une collectivité. Le déchet, un obstacle au développement durable Grâce à l’énergie solaire, la nature transforme le gaz carbonique de l’air, l’eau et les minéraux du sol en cellu­ lose, composant important des végé­ taux qui, rappelons-le ici, est un poly­ mère de n = 5 000 environ dont le motif est un dimère de deux molécules de glucose reliées par un OH acétalique d’une molécule et un OH du C4 d’une seconde molécule. Or les végétaux constituent la base de la chaîne ali­ mentaire des êtres vivants, à condition que des substances toxiques ne pol­ luent pas le sol, l’eau et l’atmosphère, empêchant par là ce processus. Valorisation-traitement Une difficulté provient de ce que les déchets, qu’ils soient issus de la pro­ duction de matières, de produits, d’objets ou de leur consommation, peuvent être d’une grande hétéro­ généité physique et chimique, de surcroît aux propriétés variables dans le temps ou d’un lieu à l’autre (la composition des ordures ménagères inclut davantage d’emballages le 26 décembre…). Les déchets : valorisation-traitement Le détenteur à titre personnel ou professionnel d’une matière, d’un produit ou d’un objet en prend soin, compte tenu de la satisfaction ou du profit qu’il compte en tirer. Lorsqu’il veut s’en débarrasser, son comportement risque d’être très différent vis-à-vis de ce qui devient alors un déchet. Et pourtant, un déchet peut non seulement être inesthétique, encombrant, mais aussi dangereux. Philippe PICHAT* L Figure 1 - Certains éléments chimiques sont toxiques (en rouge) ou dangereux (en jaune) dans des conditions courantes. Corrosif Figure 2 - Pictogrammes de dangers. Gaz sous pression Toxicité aiguë Comburant Dangereux pour l'environnement Explosif Risque biologique Extrêmement inflammable Toxique CHIMIE PARIS – N° 340 – Mars 2013 7 DOSSIER Pour optimiser la gestion des diffé­ rents déchets, il est nécessaire de bien connaître au préalable leurs caracté­ ristiques physiques et chimiques par des essais analytiques (fluorescence X, plasma à couplage inductif…). L’usine Sarp Industries de Limay (Yvelines) peut optimiser la valorisation et le traitement de 300 000 t/an de déchets grâce aux quelque 200 000 analyses chimiques ef­ fectuées chaque année. En fonction du résultat de ces analyses, une évalua­ tion technico-économique est effectuée, puis une décision est prise. Sont alors ef­ fectués une valorisation thermique – vente de vapeur à une centrale électrique voisine –, une valorisation matière – carburants diesel à partir d’huile de friture, eau industrielle, ferraille, nickel –, des traitements thermiques (1 100 °C), physico-chi­ miques (précipitation d’hydroxydes métalliques insolubles au moyen d’un résidu de chaux provenant de la fabrication de l’acétylène), biolo­ giques (aérobie). Prenons le cas des matières plas­ tiques de type polyéthylène (C2H4)n, d’un usage si généralisé et si di­ vers dans notre vie personnelle et professionnelle. Leur valorisation peut être effectuée de plusieurs façons. • Récupération : c’est leur sépara­ tion, par exemple de déchets indus­ triels banaux (DIB) ou de déchets municipaux. À l’usine de Ludres (Lor­ raine) plus de 50 % des déchets col­ lectés sont valorisés, soit sous forme de matières premières secondaires pour l’industrie (27 %) − matières plas­ tiques non chlorées, papiers-cartons, bois, métaux ferreux et non ferreux −, soit sous forme de combustibles de substitution utilisés en chaufferie, cimenterie… (25 %). L’usine a une ca­ pacité de traitement de 110 000 t/an pour un investissement de 14,5 M€. • Recyclage : c’est leur réintroduction, en l’état, généralement dans une ex­ trudeuse pour fabriquer de nouveaux objets. Du polyéthylène « vierge » peut leur être éventuellement ajouté. • Recyclage « chimique » : c’est la dé­ polymérisation de polyéthylène par thermolyse à une température telle que soit obtenu un liquide. Ce dernier est soit additionné à du « brut » dans une raffinerie de pétrole, soit utilisé comme carburant diesel. Le schéma de la figure ci-dessous rappelle les précisions suivantes : - Un déchet peut donner lieu soit à une valorisation, soit à un traitement, en fonction du prix des matières pre­ mières dont il est constitué, de sa lo­ calisation géographique et des tech­ niques disponibles. - On doit s’efforcer de traiter des dé­ chets par des déchets, par exemple des « acides » par des « bases ». L’augmen­ tation du prix des matières premières favorise, on s’en doute, la valorisation des déchets. Le schéma rappelle aussi qu’il y a des flux de matières entre le traitement et la valorisation ; il n’y a pas de valorisation sans une certaine production de déchets, directe ou indi­ recte, provenant de la consommation de « réactifs » ou d’énergie. Il existe des entreprises spéciali­ sées dans la gestion des déchets, y compris toxiques et dangereux. Par exemple, Sarp Industries, créée dans le but de protéger les ressources en eau potable en France, a maintenant une dimension internationale. Perspectives Il y a indéniablement un effort de fait pour que les nouveaux produits contiennent moins d’éléments dan­ gereux et soient plus facilement recyclables. Toutefois, au niveau planétaire, plusieurs raisons pour­ raient rendre la gestion actuelle des déchets encore plus délicate dans les années à venir : • L’augmentation de la production de déchets due à la poussée démo­ graphique en Asie, Afrique, Amé­ rique du sud et Amérique centrale. • L’augmentation de l’urbanisation avec la formation de mé­ galopoles. Compte tenu de l’exiguïté de son logement et du peu d’espace de ran­ gement dont il dispose, le citadin jette (toutes propor­ tions gardées) plus que son ancêtre campagnard qui pouvait faire de la valorisa­ tion de proximité. • La croissance d’une classe moyenne, désireuse d’ac­ quérir des moyens indivi­ duels de locomotion, des appareils contenant une proportion non négligeable de matières ayant un ca­ ractère toxique ("PC", télé­ phones, écrans plats…). Conclusion La valorisation-traitement des déchets est une activité économique en pleine croissance. Leur quantité augmentant autant au niveau de la consomma­ tion qu’au niveau de la production, il est fondamental que notre santé et notre environnement en soient protégés. L’expérience de ces dernières années montre que l’exigence législative, réglementaire et administrative en matière de protection des ressources en eau potable, de l’air et du sol aug­ mente le coût du traitement des dé­ chets et favorise en conséquence leur valorisation. Les déchets constituent un gisement de matières premières accessibles ré­ gionalement. Seule leur analyse phy­ sico-chimique permet une évaluation technico-économique significative orientant vers leur valorisation ou leur traitement. Ce choix dépend de l’offre et de la demande, tributaires elles- mêmes de la conjoncture écono­ mique régionale et internationale. Philippe Pichat*, ingénieur et docteur ès sciences, participe à la mise en place de procédés industriels de valorisation et de traitement, y compris ultimes, de déchets toxiques et dangereux (philippe.pichat@gmail.com). Cet article est paru dans l’Actualité Chimique n° 359 de janvier 2012. Figure 4. Figure 3 - Dans l’usine de Ludres, l’identification et le tri des déchets industriels banaux (DIB) sont entièrement automatisés. uploads/Industriel/ les-dechets-valorisation-et-traitement.pdf

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