Tiers-Monde Les industries industrialisantes et les options algériennes Gérard
Tiers-Monde Les industries industrialisantes et les options algériennes Gérard de Bernis Citer ce document / Cite this document : Bernis Gérard de. Les industries industrialisantes et les options algériennes. In: Tiers-Monde, tome 12, n°47, 1971. Le tiers monde en l'an 2000. pp. 545-563; doi : https://doi.org/10.3406/tiers.1971.1802 https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1971_num_12_47_1802 Fichier pdf généré le 01/04/2019 DEUX STRATÉGIES POUR L'INDUSTRIALISATION DU TIERS MONDE LES INDUSTRIES INDUSTRIALISANTES ET LES OPTIONS ALGÉRIENNES par Gérard Destanne de Bernis* L'investissement annuel de l'Algérie représentait 5 % de sa production intérieure en 1963 et 29 % en 1969. L'investissement industriel passait aux mêmes dates de 23 à 51 % de l'investissement total. En 1969, plus de 45 % de cet investissement total (13 % de la production intérieure) vont aux seuls secteurs des hydrocarbures, de la pétrochimie, de la sidérurgie et de la mécanique. L'année 1969 n'a rien d'exceptionnel. En effet, le Plan quadriennal (1 970-1 973) prévoit un investissement total de 27,7 milliards de dinars, soit plus de 3 5 % de la production intérieure de la période, dont 45 % pour l'industrie. De cet investissement industriel de 1 2,4 milliards de dinars, les hydrocarbures, la métallurgie et la mécanique, et la chimie recevront 66 % auxquels s'ajoutent encore 12 % pour les mines et l'électricité. L'essentiel du reste consacré aux industries de transformation (22 %) ira aux matériaux de construction (8 %), compte tenu du retard accumulé dans ce domaine, et aux textiles (5 %). Cet effort vigoureux et systématique de construction d'un important secteur industriel a été accompli — et n'a pu l'être que — parce que, depuis 1962, l'Algérie a poursuivi méthodiquement la conquête de son indépendance économique réelle. En 1962, la situation économique de l'Algérie se caractérisait par une absence totale de « pouvoir » sur l'appareil productif installé sur son territoire et par le niveau très faible * Institut de Recherche économique et de Planification de Grenoble. 545 т. m. 47 36 GÉRARD DESTANNE DE BERNIS de développement de ses propres forces productives. Cette situation résultait directement de l'intégration quasi totale de son économie à celle de la France et, dans le même temps, elle expliquait une dépendance qui risquait de devenir permanente. Elle ne pouvait envisager une modification profonde de ses liens de dépendance à l'égard de l'extérieur que dans la mesure où, dans le même temps, elle se donnait des bases industrielles réelles et organisait sa prise de pouvoir effectif sur son appareil de production. Chacun de ces deux aspects d'une même politique, réalisé progressivement par étapes successives, se renforçait mutuellement, chaque étape sur une voie permettant de franchir une nouvelle étape sur l'autre et ensemble lui permettant de modifier la nature de ses liaisons avec l'extérieur. Dans le même temps, les progrès en indépendance renforçaient les autres éléments de cette politique unique (i). Nous ne nous occuperons ici que des voies dans lesquelles l'Algérie a orienté le développement de son industrie (2), mais nous devions noter la signification générale du contexte hors duquel ces options n'auraient pas leur sens. Elles ont été rendues possibles par tout le reste de la politique algérienne et leur résultat doit aussi s'apprécier par l'efficacité ainsi donnée à ces autres éléments : il est trop évident que l'Algérie n'aurait jamais pu soutenir son dossier dans les récentes négociations avec la France si elle n'avait pu s'appuyer sur toutes ses réalisations antérieures. Nous devons toujours garder présent à l'esprit le risque d'isoler des éléments absolument interdépendants. (1) Nous rappelons pour mémoire les principales étapes de cette prise de pouvoir sur l'appareil productif : biens vacants, récupération des terres de colonisation, les principales vagues de nationalisations (les mines en 1965, les sociétés pétrolières anglo-saxonnes en juin 1967, 45 entreprises et l'ensemble du marché pétrolier en mai-juin 1968, la Sinclair en 1969, les filiales de Shell, Philips, Sofragel et Amif le 15 juin 1970) et la création des sociétés nationales. Parallèlement, l'Algérie prenait le contrôle de ses structures monétaires et financières (création de la Banque Centrale d'Algérie le Ier janvier 1963, création du dinar algérien le 10 avril 1964, instauration d'un contrôle des changes avec les pays de la zone franc dès le 19 octobre 1963, nationalisation des diverses banques en 1966 et 1967, puis regroupement en 1969 avec la création de la Banque Nationale d'Algérie, de la Banque Extérieure et du Crédit populaire, refus de suivre la dévaluation française de 1969, contrôle du commerce extérieur). (2) Quoiqu'il soit essentiel et tienne la première priorité dans le Plan quadriennal, nous ne parlerons pas du programme de formation de cadres, de techniciens et de travailleurs qualifiés pour nous en tenir aux options industrielles essentielles. Mais il est important de noter que l'Algérie a toujours cherché à accompagner sa politique d'investissement d'un effort systématique de formation technique et professionnelle et de scolarisation (les consommations de développement ne peuvent être séparées de la constitution du capital fixe). 546 DEUX STRATÉGIES POUR L'INDUSTRIALISATION Ne pouvant envisager de rendre compte des options algériennes par un simple récit de type historique, nous regrouperons ces options sous trois rubriques : une structure industrielle cohérente et intravertie, l'utilisation systématique du dynamisme interne de la liaison agriculture- industrie, une politique indépendante de financement. I. — Une structure industrielle cohérente et intravertie Lors de son indépendance en 1962, l'Algérie se caractérise essentiellement par son extraversion (aussi bien agricole qu'industrielle) et par sa désarticulation interne (1) : les régions sont mal reliées, chaque secteur est surtout dépendant de l'extérieur par ses inputs importés ou son output exporté. Ceci a été maintes fois analysé (2). La seule réponse efficace tenait dans la mise en place d'une « structure industrielle cohérente » (3) : celle-ci peut précisément se définir comme une matrice inter- industrielle « noircie », c'est-à-dire dont les différents secteurs sont interreliés entre eux par leurs inputs et leurs outputs, ce qui implique la présence de secteurs de production de biens d'équipement et de produits intermédiaires destinés à une consommation productive interne. La mise en place d'une telle structure industrielle cohérente ne peut se faire qu'à partir d'industries que l'on peut qualifier à? industrialisantes, si l'on entend par là celles dont la fonction économique fondamentale est d'entraîner dans leur environnement localisé et daté un noircissement systématique de la matrice interindustrielle et des fonctions de production, grâce à la mise à la disposition de l'entière économie d'ensembles nouveaux de machines qui accroissent la productivité du travail et entraînent la restructuration économique et sociale de l'ensemble considéré en même temps qu'une transformation des fonctions de comportement au sein de cet ensemble. Cette recherche paraît caractériser les options algériennes quant à l'allocation intersectorielle des investisse- (1) Cf. F. Perroux, Trois outils pour l'analyse du sous-développement, in Cahiers de ri.S.E.A., série F, n° 1 (Paris, polycopié, 1952). (2) En particulier, dans les deux ouvrages collectifs rédigés en 1962 et 1963, sous la direction du Pr F. Perroux, L' 'Algérie de demain, Paris, Presses Universitaires de France, 1962; Problèmes de l'Algérie indépendante, Paris, Presses Universitaires de France, 1963. (3) II n'est pas besoin de souligner que cette expression est directement inspirée de la définition de l'industrialisation donnée par F. Perroux et que tout particulièrement les lecteurs de cette revue connaissent bien : « la restructuration de tout un ensemble économique et social sous la pression d'un système cohérent de machines ». 547 GÉRARD DESTANNE DE BERNIS ments, quant au choix des techniques et quant aux structures institutionnelles. i. U allocation intersectorielle de V investissement Celle-ci est doublement essentielle, à la fois en ce que la structure réelle de l'investissement détermine, de période en période, les propensions moyenne et marginale à l'investissement dans une économie qui cherche à sauvegarder son indépendance (i) et en ce que tous les modèles plurisectoriels, y compris ceux de la croissance équilibrée à la von Neumann par l'intermédiaire des turnpikes, s'accordent à reconnaître la priorité au secteur de production des biens de production. Les tableaux proposés par W. Leontief des coefficients de capital intersectoriels pour les Etats-Unis, comme les travaux d'Hoffmann, nous permettent d'établir de manière précise la liste des industries qui sont à la base du processus d'industrialisation (2). Nous y trouvons : 1. « Le bloc des quatre secteurs qui fournit des biens de capital aux autres secteurs » (Y. Younes) : équipement industriel, machines-outils, moteurs et turbines, outillage; 2. Les grands secteurs de l'industrie chimique : la grande industrie chimique minérale (soufre et dérivés, électrochimie) et la fabrication d'engrais azotés, pour la chimie minérale; les grands produits de base, les grands intermédiaires, les matières plastiques, le caoutchouc synthétique pour la chimie organique; 3. Au cas où on ne considérerait pas que la production d'énergie accompagne la construction du secteur industriel, elle doit être incluse, étant entendu que ce n'est pas la production d'énergie qui, en soi, est industrialisante, mais ce qui peut se trouver à l'amont ou à l'aval de l'énergie, soit les grandes innovations technologiques introduites par la construction des grands centres énergétiques, soit les industries grosses consommatrices d'énergie (et en particulier l'industrie chimique). L'Algérie n'a pas eu d'abord à construire de centrales électriques, car l'équipement uploads/Industriel/ les-industries-industrialisantes-et-les-options-algeriennes.pdf
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- Publié le Aoû 05, 2021
- Catégorie Industry / Industr...
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