ANDRÉ MAUROIS DIALOGUES sur le COMMANDEMENT A PARIS BER N A R D GRASSET, éditeu

ANDRÉ MAUROIS DIALOGUES sur le COMMANDEMENT A PARIS BER N A R D GRASSET, éditeur M .C M .X X V A LA MÊME LIBRAIRIE Les silences du Colonel Bram ble. Les discours du Docteur O ’G ravy. N i ange ni bête. Les Bourgeois de W ithzeim. A riel ou la vie de Sh elly. . T rad u ctio n : L a femme changée en renard, de David Garnett. DIALOGUES sur le C OMMANDEMEN T PAR ANDRÉ MAUROIS gu* -l& 'Z i- AYÏ0», 4# Ï 8 f ^ ® r A P A R IS BE R N A R D GRASSET, éditeur M. CM. XXV cet ouvrage a paru précédem m ent dans l es « cahiers VEnTS » PUBLIÉS A LA LIBRAIRIE BERNARD GRASSET, SOUS LA DIRECTION DE DANIEL HALÉVY ; LE TIRAGE A ÉTÉ DE SIX MILLE SEPT CENT QUARANTE EXEMPLAIRES. DONT QUARANTE EXEM­ PLAIRES SUR PAPIER VERT LUM IÈRE NUMÉROTÉS I à XL | CENT EXEMPLAIRES SUR PAPIER VÉLIN PUR FIL LAFUMA NUMÉROTÉS DE XLI à C.XI. | ET SIX MILLE SIX CENTS EXEM­ PLAIRES SUR PAPIER VERGÉ BOUFFANT NUMÉROTÉS DÉ 141 à G740 ; plus dix exem plaires sur pa pier vélin p u r. fil CRÈME LAFUMA, NUMÉROTÉS II. C. 1 à H. C. 10 ET CINQ CENTS EXEMPLAIRES DE PRESSE NUMÉROTÉS I EXEMPLAIRE DE PRESSE 1 à 500. EXCEPTIONNELLEMENT IL A ÉTÉ TIRÉ QUINZE EXEMPLAIRES SUR PAPIER DE CHINE NUMÉROTÉS CHINE 1 à 15 ; CINQUANTE EXEMPLAIRES SUR PAPIER JAPON NUMÉROTÉS JAPON 1 à 5 0 1 SOIXANTE-CINQ EXEMPLAIRES SUR PAPIER MADAGASCAR LAFUMA NUMÉROTÉS MADAGASCAR 1 à 65 ; CENT VINGT EXEMPLAIRES SUR PAPIER HOLLANDE VAN GELDER NUMÉROTÉS HOLLANDE 1 à 120 ; ET CINQUANTE EXEMPLAIRES SUR PAPIER D’ARCHES NUMÉROTÉS ARCHES A à AZ, RÉSERVÉS A MONSIEUR ÉDOUARD CHAMPION, POUR LA SOCIÉTÉ DES MÉDECINS BIBLIO­ PHILES ET LES BIBLIOPHILES DU PALAIS. T o u s droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. Copyright by Bernard Grasset 1924 I N M E M O R I A M J. A.-M. Dialogues entre Aîonsieur R ..., projeteur de philosophie dans un lycée de Paris et le Lieutenant C..., du y*™ dragons, chef de poste de Bou-Salah (Æ oyen A tlas). DIALOGUES SUR LE COMMANDEMENT PREMIER DIALOGUE L e 20 A vril 1923, à Parut, chez Æonsieur R... Il y a deux sortes de causes : l’une nécessaire, l’autre divine. Platon. (L e lieutenant sonne à la porte du philo­ sophe, qui vient ouvrir.) « LE PHILOSOPHE (joyeusement ). Ah ! Voici le Conquérant. LE LIEUTENANT Le Conquérant, mon très cher maître, arrive de Marrakech, que d’autres ont conquis, tout étonné de se voir au pays des Roumis... Je suis venu par avion et le changement est brusque. LE PHILOSOPHE (le faisant entrer). Vos visites sont rares et précieuses. Depuis que la guerre, nous arrachant tous deux à nos classes de Saint- Louis, fit de l ’élève un lieutenant et du maître un homme de troupe, c’est à peine si je vous ai vu... Pourtant, à l’instant même où vous avez sonné, votre image occupait mon esprit. LE LIEUTENANT C’est ce que j ’aurais pu vous dire plus d’une fois si vous étiez venu me surprendre dans mon bled. Souvent, le soir, je choisis un de vos livres, je m’étends sur un tapis près de mon chien, et j ’argumente contre vous. Plus je vis, moins je partage vos idées, mais plus j ’admire votre caractère et c’est au fond ce qui importe. Pour­ quoi pensiez vous à moi ? LE PHILOSOPHE (s'asseyant près du feu , tandis que le lieutenant debout, s’adosse à la cheminée). Eh bien ! C’était un livre aussi qui me faisait souhaiter votre pré­ sence. L ’auteur y parle des choses de l’armée et en particulier du comman­ dement, avec beaucoup de scepti­ cisme. Vous savez que j ’ai été soldat de deuxième classe pendant cette guerre. Le comique obtenu aux dé­ pens des chefs me divertit. J ’aime le Koutousow de Tolstoï, qui dort pen­ dant les conseils et obtient la victoire par l’immobilité ; j ’aime le Joffre que peint Pierrefeu et sa massive inertie. Mais je me méfie de mon jugement quand il est troublé par mes pas­ sions. Tout en souhaitant au fond de mon cœur que mon auteur eût raison, je me demandais cette nuit : « Que dirait le Conquérant ? Ne trouverait-il pas de bons arguments ? » Et je les cherchais moi-même. Mais vous voici ; je puis renoncer à cette « conversation des lobes de mon cer­ veau » et devenir sans scrupule l’avo­ cat du Diable. LE LIEUTENANT (s’asseyant en face du philosophe). Que dit le Diable ? LE PHILOSOPHE Il dit qu’à la guerre le hasard est maître, que le chef propose, que l’événement dispose. Il montre que les plans les mieux formés échouent par quelque accident imprévisible, qui fait réussir les plus absurdes. Il dit que le génie militaire est une idée de civils apeurés et que les règles de la stratégie sont à la portée d’un cerveau d’enfant. Il dit que c’est une étrange folie que de vouloir qu’un grand général soit en même temps un grand esprit. Peut-on rêver métier plus simple ? Il n’y a jamais que quatre solutions : Rester sur place, battre en retraite, enfoncer le centre ou tourner l’aile. Mais le vocabulaire technique masque adroitement cette pauvreté. Il m’arrivait de lire pendant la guerre les articles d’un stratège. « Soit une ligne XY, écrivait-il, une armée A en deçà de cette ligne et une armée B au delà. Quand on a l’habitude de ces problèmes, on voit que les deux armées pour se rencon­ trer devront traverser la ligne XY. » Je ne sais rien de plus militaire que cette tranchante précision dans l’é­ noncé de vérités premières. Devant l’évidence ainsi galonnée, l’esprit civil se met au garde à vous. LE LIEUTENANT (souriant ). Ne croyez-vous pas que tout art et non pas seulement celui des mili­ taires apparaîtrait sous cet aspect puéril si vous prétendiez le réduire en formules ? Vous me prenez au dépourvu et il faudrait y réfléchir, mais combien de situations élémen­ taires peut traiter un romancier ? Y en a-t-il une douzaine ? Qu’est-ce que Madame Bovary ? L ’histoire d’une femme adultère. Qu’est-ce qu'Anna Karénine ? L ’histoire d’une femme adultère. Qu’est-ce que Tan- nenberg ? Une bataille de Cannes. Qu’est-ce que la bataille de Weygand en Pologne ? Une bataille de la Marne. Mais Tannenberg est aussi différent de Cannes que Madame Bovary d’Anna Karénine. « Art simple et tout d’exécution », vous dit Napo­ léon. Mais n’est-ce pas vrai de tous les arts ? Que peut contenir un Traité de la Peinture ? Des phrases sur les pigments colorés étalés sur une surface plate. Cela vaut-il mieux qu’un traité sur l’offensive et la défen­ sive ? C’est le peintre qui fait le tableau, comme c’est le général qui fait la bataille. Avez-vous lu les Thibault ? Vous y verrez le récit d’une opération exécu­ tée, à l’improviste, par un homme qui est chirurgien-né. Il y emploie des objets ordinaires : une planche, des ciseaux de couturière, des pin­ ces, une lampe à pétrole, mais il la fait, et il réussit, dans des conditions où les autres auraient hésité ou échoué. Il me semble que tout est là. Il y a des hommes qui font les cho­ ses et les mènent à bien, des hommes qu’accompagnent, partout où ils vont, l’ordre, la clarté, le succès ; il y a des hommes qui portent malheur. Rien n’est plus contraire à l’idée du hasard. Le hasard accorderait suc­ cès et défaite tantôt à un général, tantôt à un autre. Mais César a gagné cinquante batailles. LE PHILOSOPHE Il faudrait y regarder de près. César raconte ce qu’il veut. Il est probable qu’à Rome même, plus d’un centurion mécontent disait : « César ? Un homme qui a eu de la chance. Je l’ai vu au Rubicon ; il était ner­ veux. Quant à la Gaule, c’est La- biénus et le simple légionnaire qui ont tout fait. » LE LIEUTENANT A quoi je vous répondrai une fois encore par un mot de l’Empereur : « Ce n’est pas l’Armée Romaine, c’est César qui a conquis la Gaule » et j ’essaierai de vous le prouver tout à l’heùre. Mais pourquoi chercher des exemples lointains ? Pendant cette guerre, n’avons-nous pas tous connu des chefs qui réussissaient et des chefs qui avaient le mauvais œil ? Il y avait des colonels qui allaient toujours à l’objectif, d’autres qui n’y allaient jamais. Des hommes comme Pétain, Mangin, Fayolle, ont avancé parce que, toutes choses égales, ils obtenaient plus de résultats que les autres. Pétain en 14 était colonel, Fayolle, général de brigade en re­ traite. Ce n’est pas le hasard qui les a tirés de cette obscurité pour les mener au premier rang. Ce n’est pas non plus la faveur. Au contraire, Pétain avait uploads/Industriel/ maurois-andre-dialogues-sur-le-commandement.pdf

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