GIORGIO AGAMBE OPUS DEI ARCHÉOLOGIE DE L’OFFICE Homo Sacer, II, 5 Traduit de l

GIORGIO AGAMBE OPUS DEI ARCHÉOLOGIE DE L’OFFICE Homo Sacer, II, 5 Traduit de l’italien par Martin Rueff ÉDITIOS DU SEUIL 25, bd Romain-Rolland, Paris XIVe Extrait de la publication L’ORDRE PHILOSOPHIQUE Titre original : Opus Dei Éditeur original : Bollati Boringhieri editore © original : Giorgio Agamben, 2011 ISBN original : 978-2-02-107446-8 ISBN 978-2-02-10 6- © Éditions du Seuil, janvier 2012, pour la traduction française Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. www.seuil.com 744 8 Extrait de la publication Pour assurer la cohérence d’ensemble avec le reste du texte, et sauf indications contraires, les citations d’œuvres étrangères disponibles en français ont été révisées par le traducteur. Sommaire Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Liturgie et politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Seuil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Du mystère à l’effet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Seuil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Généalogie de l’officium . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Seuil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Les deux ontologies ou comment le devoir est entré dans l’éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 Seuil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Index des noms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 11 Introduction Opus Dei est le terme technique qui désigne dès le VIe siècle, dans l’Église catholique de langue latine la liturgie, à savoir « l’exercice de la fonction sacerdotale de Jésus-Christ… dans lequel le culte public intégral est exercé par le corps mystique de Jésus-Christ, à savoir par le chef et par ses membres » (Constitution de la sainte liturgie du 4 décembre 1963). Cependant, le terme « liturgie » (du grec leitourgia, « prestation publique ») est relativement moderne. Avant que son usage ne s’étende progressivement vers la fin du XIXe siècle, on trouvait à sa place le terme officium, dont la sphère sémantique n’est pas facile à définir et que rien, en apparence du moins, ne semblait destiner à une telle fortune théologique. Dans Le Règne et la Gloire, l’enquête portait sur le mystère de la liturgie et pour l’essentiel sur la face qu’il tourne vers Dieu, à savoir sur sa dimension objective et glorieuse ; dans ce volume, la recherche archéologique porte en revanche sur les sacerdoces eux-mêmes, à savoir sur les sujets à qui incombe, pour ainsi dire, le « ministère du mystère ». Et tout comme, dans Le Règne et la Gloire, nous avions essayé d’éclairer le « mystère de l’économie » construit par les théologiens en renversant une expression paulinienne en elle-même transparente, il s’agit ici d’arracher le mystère liturgique à l’obscurité et au vague de la littérature moderne sur l’argument en le restituant Extrait de la publication O P U S D E I A R C H É O L O G I E D E L ’ O F F I C E 12 à la rigueur et à la splendeur des grands traités médiévaux d’Amalaire de Metz et de Guillaume Durand. En vérité, la liturgie est une matière si peu mystérieuse qu’on peut dire au contraire qu’elle correspond à la tentative la plus radicale de penser une pratique absolument et intégralement effectuelle. Le mystère de la liturgie est, en ce sens, le mystère de l’opérativité et il faut comprendre cet arcane si on veut saisir l’influence énorme que cette pratique en apparence refermée sur elle-même a exercée sur la manière dont la modernité a conçu son ontologie comme son éthique, sa politique comme son économie. Comme il arrive souvent dans une recherche archéologique, celle-ci aussi nous a conduits bien au-delà de la sphère dont nous étions partis. Comme l’atteste la diffusion du terme « office » dans les secteurs les plus variés de la vie sociale, le paradigme que l’Opus Dei a offert à l’action humaine s’est révélé pour la culture séculaire de l’Occident un pôle d’attraction étendu et constant. Plus efficace que la loi parce qu’il ne peut être transgressé ; plus réel que l’être parce qu’il ne consiste que dans l’opération par laquelle il se fait réalité ; plus effectif que toute action humaine, parce qu’il agit ex opere operato, indépendamment des qualités du sujet qui le célèbre, l’office a exercé sur la culture moderne une influence si profonde – à savoir souterraine – que nous ne sommes plus en mesure de saisir sa portée. Or non seulement la conceptualité de l’éthique kantienne et celle de la théorie pure du droit de Kelsen (pour nommer seulement deux moments certainement décisifs de son histoire) en dépendent complètement, mais le militant politique et le fonctionnaire d’un ministère s’inspirent du même paradigme. En ce sens, le concept d’office comporte une transformation décisive des catégories de l’ontologie et de la praxis dont l’importance reste à mesurer. Dans l’office, être et praxis, à savoir ce que l’homme fait et ce que l’homme est, entrent dans une zone d’indistinction, où l’être se résout dans ses effets pratiques et où, dans une parfaite circularité, il est ce qu’il doit Extrait de la publication I N T R O D U C T I O N (être) et il doit (être) ce qu’il est. Opérativité et effectualité définissent en ce sens le paradigme ontologique qui a remplacé le paradigme de la tradition classique au cours d’un processus séculaire : en dernière analyse – et c’est la thèse que nous voudrions soumettre ici à la réflexion –, qu’il s’agisse de l’être ou de l’agir, nous n’avons pas aujourd’hui d’autre représentation que l’effectualité. N’est réel que ce qui est effectif et, comme tel, gouvernable et efficace : à ce point l’office, qu’il prenne les apparences modestes du fonctionnaire ou les apparences glorieuses du sacerdoce, a modifié de fond en comble les règles de la philosophie avant de changer celles de l’éthique. Il est possible que ce paradigme subisse de nos jours une crise décisive dont il n’est pas facile de prévoir l’issue. Malgré le regain d’attention pour la liturgie au XXe siècle, regain dont le « mouvement liturgique » dans l’Église catholique d’une part et les imposants cérémoniels politiques des régimes totalitaires d’autre part offrent un témoignage éloquent, nombreux sont les signes qui laissent penser que le paradigme offert par l’office à l’action humaine est en train de perdre son pouvoir d’attraction au moment même où il a atteint sa plus grande expansion. Il était d’autant plus nécessaire d’essayer d’en fixer les caractères et d’en définir les stratégies. Extrait de la publication Extrait de la publication Agir se dit de deux manières : 1) le véritable agir au sens propre, c’est savoir faire passer les choses du non-être à l’être ; 2) produire un effet là où se produit un effet. Al-Kindi L’œuvre d’art est la mise en œuvre de la vérité de l’être. M. Heidegger Extrait de la publication Extrait de la publication 17 1. Liturgie et politique uploads/Industriel/ opus-dei-archeologie-de-l-x27-office-giorgio-agambe 1 .pdf

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