dossier | rennes de papier 50 | Place Publique | mars-avril 2014 Face au gigant

dossier | rennes de papier 50 | Place Publique | mars-avril 2014 Face au gigantisme, l’avalanche de chiffres est de mise. Calmement, Émile Hédan, le directeur industriel de Ouest-France abat ses cartes. Le quotidien (900 000 exemplaires imprimés) avale 45 000 tonnes de papier par an sur ses cinq rotatives de Chantepie et ses deux autres de La Chevrolière, près de Nantes. Un quart de plus si l’on ajoute les autres titres du groupe – essentiellement des hebdomadaires. À noter que cette consommation est en baisse, après avoir connu un pic de 66 000 tonnes en 2007. Après quoi la crise s’étant ins- tallée, la publicité s’en est allée et la pagination en a été diminuée d’autant. Il suffit de regarder combien le cahier des petites annonces diffusé le samedi avec le quotidien a diminué d’épaisseur depuis la crise. 120 tonnes par nuit 45 000 tonnes, mais encore ? Disons 120 tonnes de papier par nuit, donc 120 bobines, puisqu’une bobine pèse une tonne. Si la bobine fait 140 cm de large et pèse 42 g par m2, chacune d’elle déroule une longueur de Presse écrite Ouest-France, un gros avaleur de papier Résumé > Le journal est un gros mangeur de papier. Rennes abritant le premier quotidien de France par le tirage, un petit tour du côté de Ouest-France s’impose pour prendre la mesure de cette « matière première » dont nous restons gourmands. Cela en dépit de la débâcle annoncée du « print », mot désignant dans la bouche des technophiles du numérique le bon vieux papier et sa belle encre. TEXTE > GEORGES GUITTON papier de… 17 km. Si l’on calcule bien, cela fait que Ouest-France dévide chaque jour une bande de papier de 2000 km (la distance Paris-Athènes) ou encore un ruban de 765 000 km par an (presque vingt fois le tour du monde). Le papier ne cessant de s’affiner, la longueur de la bobine a tendance à augmenter. Les papetiers du Nord se rapprochent ! D’où provient ce papier ? De plusieurs énormes usines, de vrais monstres capables de sortir des bandes de papier à 120 km/h. Ces usines sont situées dans un péri- mètre relativement rapproché : Grand-Couronne près de Rouen (Chapelle Darblay), Golbey dans les Vosges, Langerbrugge en Belgique, Aylsford en Angleterre, Perlen en Suisse… Caractéristique de ces sociétés, elles appartiennent presque toutes à des groupes finlandais ou norvégiens. Bien assis sur la tradition forestière, ces papetiers ont compris d’une part que l’exploitation de la fibre de bois était furieusement énergivore. D’autre part que diminuer les coûts de transports et l’empreinte carbone impliquait de rapprocher les centres de produc- tion de ses clients, les journaux. C’est pourquoi les gros papetiers sont désormais implantés au centre de l’Europe, en Belgique, en Allemagne ou en France. On peut se demander pourquoi Ouest-France mul- tiplie le nombre de ses fournisseurs de papier. « Cela permet de faire jouer la concurrence et surtout, en nous évitant d’être dépendants d’un seul producteur, nous devenons moins fragiles en termes d’approvision- nement », explique Émile Hédan en ajoutant : « Il est important aussi que nous ayons plusieurs types de papier sur nos machines. Pour les rotatives sur lesquelles quatre à six bobines roulent en même temps, cela fonc- rennes de papier | dossier mars-avril 2014 | Place Publique | 51 tionne mieux si elles roulent avec des papiers différents. » Dans la liste des pourvoyeurs du quotidien régional, on n’aurait garde d’oublier « le » fournisseur historique auquel Ouest-France achète encore un quart de son ton- nage papier, à savoir la SPPP, la Société professionnelle des papiers de presse. Elle fut créée après-guerre à une époque où les journaux manquaient cruellement de papier. C’est une sorte de centrale d’achat commune à toute la presse française. Jadis elle en était le fournisseur unique. Les temps ont évidemment changé, chacun faisant désormais son marché de son côté. 500 euros la tonne Le coût du papier obéit à la loi de l’offre et de la demande, « avec parfois un jeu de poker menteur qu’il y a intérêt à maîtriser », indique Émile Hédan qui tous les six mois négocie sa commande avec les différents papetiers. Actuellement la tonne tourne autour de 500 à 530 €. Précisons que ces prix sont toujours franco de port. Ces dernières années, la tendance est plutôt à la baisse, les machines papetières étant de plus en plus perfor- mantes. Dans les journaux, on garde un mauvais souvenir du début des années 2000 où la tonne atteignait les 600 €. Le critère pour l’achat du papier n’est pas seulement celui du coût, il est aussi celui de la qualité. Qu’est ce qu’un « bon » papier journal ? « Un papier qui a une bonne imprimabilité, une parfaite « roulabilité » en machine. Il faut surtout qu’à grande vitesse il ne casse pas. Et aussi qu’il se tienne bien. Qu’il soit homogène en épaisseur et en comportement sachant qu’un mauvais papier ne va pas droit et se balade sur la machine ». Si la casse est toujours au rendez-vous et s’il arrive que des papiers ne tiennent pas la machine, globalement la qualité du papier s’est améliorée ces dernières années. Le papier de presse est devenu un produit uniforme. Recyclé à 85 % Et surtout, grande révolution, ce papier n’est plus produit à partir du bois des forêts. Il est re-cy-clé. « Aujourd’hui 95 % des papiers de presse sont issus MARC OLLIVIER, OUEST-FRANCE dossier | rennes de papier 52 | Place Publique | mars-avril 2014 du recyclage », à Ouest-France comme ailleurs. On est loin des premiers essais dictés par le souci éco- logique qui donnaient un papier terne et mal désencré. « En 10 ou 15 ans, les progrès et l’évolution dans ce domaine ont été considérables », reconnaît le direc- teur industriel de Ouest-France. Aujourd’hui des pape- tiers comme UPM (Grand-Couronne) ou Stora Enso (Langerbrugge) produisent un papier à 100 % recyclé. Ce virage industriel représente un énorme bénéfice environnemental. Mais pas seulement. Il a aussi per- mis d’abaisser le coût de la tonne grâce à un processus technique plus performant mais également grâce à la proximité les usines, désormais affranchies de leur implantation près des forêts. Reste qu’il faut acheminer le papier jusqu’aux rotatives de l’usine de Chantepie. Longtemps le fer fut roi. Grâce au rail qui arrive au pied de l’entreprise, un train quotidien peut livrer sa cargai- son d’une centaine de bobines. Sauf que ce n’est plus vraiment le cas, le train peu souple et aux tarifs excessifs est progressivement délaissé au profit des camions glo- balement moins onéreux. Il faut constater qu’en dépit des belles paroles officielles, une vraie politique de fret ferroviaire se fait toujours attendre. La « gâche » retourne chez le papetier Dans l’autre sens, il est à noter que de grosses quanti- tés du papier quittent régulièrement l’usine de Chantepie en direction des récupérateurs puis des papetiers. Il s’agit De l’encre et des plaques Un journal est fait de papier mais aussi d’encre. Le groupe Ouest-France consomme 700 tonnes d’encre noire par an dont 350 pour le seul quotidien. Il faut y ajouter 300 tonnes d’encre de couleur par an. Ce qui fait à peu près 2 tonnes par jour pour fabriquer un Ouest-France. L’encre est un produit pétrolier : à cette huile minérale on ajoute des pigments et des résines venues d’Asie. Les fournisseurs d’encre sont concentrés en deux ou trois sociétés. Ouest-France se fournit chez deux Américains : Flint Group et Sun Chemical. Prix de l’encre : 1,20 € le kg. Autre « consommable », les plaques d’aluminium. Ouest-France en consomme 200 tonnes par an. Dans ce domaine, on parle d’ailleurs de mètres carrés, ce qui fait 220 000 m2 (imaginez une surface complète de 22 ha !) Ces plaques offset font 3/10e de mm d’épaisseur et sont recouvertes d’une couche chimique. C’est sur cette couche que le rayon laser gravera une empreinte de la page de journal. Ces plaques sont ensuite installées sur la rotative où elles impriment le journal en offset. Les plaques sont fabriquées par Kodak. Elles représentent le deuxième budget des produits de base du journal après le papier. La totalité des 200 tonnes annuelles est évidemment recyclée après usage. MARC OLLIVIER, OUEST-FRANCE rennes de papier | dossier mars-avril 2014 | Place Publique | 53 de ce que l’on appelle « la gâche » c’est-à-dire le papier mal imprimé lors du démarrage de chaque impression, le temps que la machine soit parfaitement réglée. Si l’on ajoute à cela les exemplaires invendus du journal, ce sont 8 000 tonnes par an qui ressortent de Chantepie pour être recyclées soit en ouate de cellulose (pour l’isolation) soit en papier journal. Mais le cycle n’est pas infini. Au bout de six ou sept recyclages le papier est épuisé, ses fibres rapetissent et il ne peut plus être utilisé. Un stock de bobines monumental Revenons aux bobines débarquant à Chantepie où leur manipulation et leur gestion sont confiées à une équipe de cinq ou uploads/Industriel/ pp28-ouest-france.pdf

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