Temps, discipline du travail et capitalisme industriel Edward P. Thompson Temps
Temps, discipline du travail et capitalisme industriel Edward P. Thompson Temps, discipline du travail et capitalisme industriel traduit de l’anglais par Isabelle Taudière présenté par Alain Maillard Titre original : Time, Work-Discipline and Industrial Capitalism © E.P. Thompson/ The New Press, 1993 © La fabrique éditions, 2004 pour la traduction française Conception graphique : Jérôme Saint-Loubert Bié/design dept. Révision du manuscrit : Stéphane Passadéos Impression:Floch, Mayenne ISBN: 978-2-35872-111-0 La Fabrique 64, rue Rébeval 75019 Paris la traduction française Conception graphique : Jérôme Saint-Loubert Bié/design dept. Révision du manuscrit : Stéphane Passadéos Impression:Floch, Mayenne ISBN: 2-913372-42-2 La Fabrique éditions 64, rue Rébeval 75019 Paris lafabrique@lafabrique.fr Diffusion : Les Belles Lettres SOMMAIRE E.P. Thompson. La quête d’une autre expérience des temps Temps, discipline du travail et capitalisme industriel E.P. Thompson La quête d’une autre expérience des temps par Alain Maillard « Temps, discipline du travail et capitalisme industriel » est à l’origine un long article paru en décembre 1967 dans Past and Present, la revue-phare des historiens britanniques1. Il est devenu immédiatement un texte de référence pour les « temporalistes », chercheurs en sciences sociales analysant la diversité des temps et des rythmes ; et plus largement, pour tous ceux qui aspirent à changer les régimes temporels de travail contemporains2. L ’auteur le réédita en 1991 dans un recueil intitulé Customs in Common3 (littéralement Coutumes en commun). Il rappela dans l’introduction que cet essai, à l’instar de L’Économie morale de la foule dans l’Angleterre du XVIIIe siècle4, faisait suite à La Formation de la classe ouvrière anglaise5. Thompson y explore les coutumes des mondes du travail au XVIIIe et à l’orée du XIXe siècle, dans les villes et les campagnes de son pays, mais cette fois sous l’angle des temps. Ces coutumes ont souvent été défendues lors des rébellions populaires face aux conséquences inhumaines des innovations économiques et technologiques du capitalisme industriel. Celui-ci a bouleversé les formes d’organisation traditionnelle du travail en lui imposant une discipline fondée sur des horaires obligatoires et monotones, des cadences toujours plus régulières, accélérées et synchronisées, mesurées par des horloges et des montres toujours plus précises. La classe ouvrière, en train de se faire, résista aux nouvelles normes temporelles, puis les assimila sans jamais s’y adapter complètement. Thompson confronte les expériences des temps vécues au quotidien par les petits paysans, artisans et ouvriers de cette époque. Il utilise des enquêtes ethnologiques sur le temps dans les sociétés « primitives » pour conceptualiser les écarts. Simultanément, cette plongée dans le passé nourrit un débat polémique avec les courants « modernistes » des sciences sociales et des socialismes d’alors. L ’étude critique de la transition des anciennes aux nouvelles cultures temporelles, durant le XVIIIe siècle, nous aide à mieux comprendre les relations entre travail et loisirs, les contradictions Nord/Sud et les impasses de la raison économique… Elle permet aussi d’esquisser une politique des temps alternative. Le capitalisme historique, ou les modes de développement économique et social, ne sont pas réductibles à un essor de la production des biens et de l’outillage technologique, illustré par des tableaux statistiques et des courbes de croissance. Ces processus sont vécus par des populations dont les façons de penser et de sentir, de dire et de faire restent étrangères aux critères des économistes. Ce constat de la différence culturelle entre, par exemple, les pays industrialisés et ceux qui le sont faiblement s’applique aussi à l’Europe d’hier. On ne peut plus, expliquait Thompson dans les années 1960, regarder les cultures dites populaires ou plébéiennes du XVIIIe siècle dans le miroir des sociétés présentes et n’y voir que des vestiges d’un monde périmé, voué à disparaître au profit d’une inéluctable modernisation. L ’évolutionnisme unilinéaire est lié au fétichisme de l’économique et de la technique. Les théories du développement ou encore la dualité infra/super-structure des marxistes orthodoxes en sont imprégnées. Thompson reconsidère les relations entre le social et le culturel pour sortir de ces vulgates : « La transition a nécessairement des répercussions sur la culture tout entière : la résistance au changement et l’acceptation du changement proviennent de la culture dans son ensemble. Et cette culture exprime en elle-même les systèmes de pouvoir, les rapports à la propriété, les institutions religieuses, etc. – autant d’éléments qu’on ne peut négliger sans édulcorer les phénomènes et réduire l’analyse à des banalités. » Les historiens les plus novateurs apprenaient alors des anthropologues à appréhender différemment le passé et les archives : le lointain, l’autre, ne se profilent pas seulement sur les terrains exotiques des ethnologues. L ’Anglais d’hier est aussi « le même et l’autre ». Observer en détail, de façon décentrée et distanciée, ses pratiques ordinaires, au travail, en famille, au village, ses savoirs et ses croyances, ses rites festifs…, autrement dit le vécu par les individus de leur société, s’avère indispensable. Thompson a été ainsi qualifié de « marxiste culturel » avec Raymond Williams6. Il sait que « culture » est un mot-valise, source de malentendus et de dérives « culturalistes » 7. Son intérêt pour la dimension culturelle des rapports sociaux ne le conduit pas à ériger les cultures en réalités substantielles ou en systèmes purement symboliques. Thompson se tourne vers les coutumes, les cultures populaires, sans les essentialiser : en montrant comment elles se sont historiquement construites et déconstruites, en identifiant les tensions entre les classes sociales, les sexes, les générations, qui les traversent de l’intérieur et de l’extérieur ; en n’omettant pas d’expliciter le sens éthique et politique d’une telle démarche. La question de la mesure du temps était posée dans ce cadre. Thompson cherche à connaître la façon dont l’éleveur, le marin-pêcheur, l’artisan, l’ouvrier-paysan puis les premières générations de travailleurs salariés percevaient le temps avant et pendant la révolution horlogère en Grande- Bretagne. Quelle relation entre le « travail » et la « vie » (« work » and « life ») se dessinait dans leur conception du temps ? Comment en ont-ils éprouvé le divorce lorsque la discipline capitaliste du travail industriel s’imposa à eux ? Pour conceptualiser la différence de régime temporel entre les sociétés anciennes et les sociétés industrielles mécanisées, Thompson oppose la notion de mesure du temps « orientée par la tâche » (task-oriented) à celle de travail évalué en unités de temps (timed labour). Selon lui, l’idée d’orientation par la tâche ressort des analyses ethnologiques issues d’enquêtes de terrain menées dans plusieurs aires culturelles : celles d’Edward E. Evans-Pritchard chez les Nuer au Soudan, de Pierre Bourdieu auprès des paysans kabyles en Algérie ou d’Alfred I. Hallowell et d’Edward T. Hall sur des peuples indiens aux États-Unis d’Amérique… L ’alimentation, la conduite des troupeaux au pâturage, la traite, etc. constituent les repères temporels des éleveurs. Les travaux des champs (labours, semailles, moissons…), inséparables des cycles saisonniers et des vicissitudes météorologiques, déterminent les temps et les rythmes des agriculteurs. Ceux des pêcheurs reposent sur diverses activités maritimes et côtières dont certaines sont tributaires des marées, des conditions atmosphériques… Sur un plan général, les paysans et les marins de la vieille Angleterre étaient selon lui indifférents au temps de l’horloge. Du moins tant que leur labeur visait à satisfaire directement les besoins de la communauté et dépendait peu du marché ou de l’utilisation d’une main-d’œuvre salariée. Les exigences économiques étaient aussi morales et religieuses. « Orienté par la tâche », chacun estime le temps en fonction de ce qu’il a à faire sur son lieu d’occupation, dans l’espace domestique ou villageois. Il en conclut que cette configuration est plus « compréhensible » parce qu’elle repose sur une « nécessité objective » et une temporalité plus qualitative. Quand bien même existe-t-il des formes de mesure quantitative du temps (outre les cycles cosmiques, la durée d’une récolte, d’une prière, de cuisson d’un aliment peuvent servir d’étalon…), celles-ci restent commandées par le sens des pratiques humaines et se conjuguent mieux avec la temporalité concrète saisie en particulier grâce aux événements vécus. Le « travail » et la « vie » ne seraient pas aussi disjoints que dans la société industrielle ; on perçoit autrement l’écoulement du temps : « la journée de travail est plus ou moins longue selon la tâche, et il n’y a guère de conflit entre travailler et “passer le temps de la journée” ». Sous l’emprise du temps mesuré par l’horloge, le marchand puritain, le mercantiliste d’hier ou l’homo œconomicus d’aujourd’hui, n’y voient que « perte de temps » et « manque de diligence ». La diversité des tâches entraîne des irrégularités dans les conduites temporelles. Thompson évoque le cas d’un fermier tisserand méthodiste. Le journal de ce dernier révèle la variété de ses occupations. Le 25 janvier 1783 par exemple, « il tisse deux verges, se rend au village voisin et s’acquitte de “menus travaux autour et dans la cour, et dans la soirée écrit une lettre” ». Dans une autre période, il « effectue des livraisons à façon avec une charrette à cheval, ramasse des cerises, aide à construire la digue d’un moulin, participe à une réunion baptiste et assiste à une pendaison publique ». L ’intensité uploads/Industriel/ temps-discipline-du-travail-et-capitalisme-industriel-edward-p-thompson.pdf
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- Publié le Aoû 07, 2021
- Catégorie Industry / Industr...
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