La structuration du texte dans l’interprétation : du mode linéaire au mode tabu

La structuration du texte dans l’interprétation : du mode linéaire au mode tabulaire (l’exemple des échanges sur les forums Internet) Text structuring in interpretation: from linear to tabular mode (the case of Internet forum discussions) Katarzyna Wołowska1 Abstract: The aim of the article is to consider some theoretical aspects regarding the issue of two modes of interpretation, linear and tabular (with emphasis on the latter), as these are illustrated in Internet discussion forums. As the structure of an online discussion is fundamentally different from that of typical written texts or live oral discussions, what we are dealing with here is a hybrid form of discourse (i.e. spoken language in written form), which has an certain impact on its interpretation. The use of various strategies of text structuring (cyclic repetition of the same quotes, external links, non-chronological references to previous entries) favours, or even forces, an interpretation in tabular mode, which, depending on the circumstances, may have a selective or a globalizing character. Key words: interpretation, text, structure, linear mode, tabular mode, verbal interaction, Internet forum discussions. 1. Préliminaires : la perspective interprétative Le point de vue interprétatif sur la langue et sa description présuppose d’attribuer, plus ou moins explicitement, un rôle important au destinataire du message linguistique, considéré comme une instance autonome et créative de la communication. Dans cette optique, opposée traditionnellement à la perspective énonciative, la place centrale est attribuée au texte qui constitue à la fois le lieu où s’effectuent les principales opérations linguistiques et le point de départ pour leur analyse. Plus précisément, l’analyse interprétative a pour but d’envisager le texte du point de vue du destinataire qui, 1 Université Catholique de Lublin Jean Paul II, Institut de Philologie Romane ; wolowska@ kul.pl. Studii de lingvistică 5, 2015, 249 - 265 Katarzyna Wołowska 250 lui, procède à la (re)construction de son contenu sémantique lors du processus complexe de l’interprétation, en prenant en compte aussi la structure susceptible d’éclairer certains aspects du sens véhiculé. L’objectif du présent article est d’envisager le processus d’interprétation selon deux modes de son déroulement, le mode linéaire et le mode tabulaire, qui d’un côté s’opposent par leur nature, mais de l’autre s’avèrent complémentaires dans la pratique interprétative. Pour illustrer la problématique abordée, nous nous concentrerons sur un type particulier de production langagière, à savoir les échanges verbaux menés sur les forums Internet ; ceux-ci nous paraissent en fait un échantillon représentatif de la communication virtuelle, si répandue de nos jours, dont l’hybridité formelle appelle une certaine redéfinition (et/ou extrapolation) de la notion de texte. 2. Le texte et le discours : quelques repères théoriques La problématique du texte et de ses rapports avec le discours (les deux notions n’étant pas univoques) a fait couler beaucoup d’encre dans le cadre de différentes approches linguistiques représentées par de nombreux travaux théoriques dont il serait impossible d’établir ici une liste exhaustive. Les définitions du texte, entendu le plus généralement comme « une suite linguistique autonome, orale ou écrite, produite par un ou plusieurs énonciateurs dans une situation de communication déterminée » (Maingueneau 1996 : 81), peuvent privilégier soit le mode de sa production (« tout discours fixé par l’écriture » (Ricœur 1986 : 137)), soit sa structure formelle soumise au critère de la cohésion (« séquence bien formée de phrases liées qui progressent vers une fin » (Slakta 1985 : 138)), soit, enfin, sa cohérence sémantique (« suite signifiante (jugée cohérente) de signes entre deux interruptions marquées de la communication » (Weinreich 1973, apud Charaudeau & Maingueneau 2002 : 570-572)). Les définitions du texte peuvent aussi adopter explicitement le point de vue analytique (l’« ensemble des énoncés linguistiques soumis à l’analyse, […] un échantillon de comportements linguistiques qui peut être écrit ou parlé » (Dubois et al. 2007 : 482)). Parmi les propriétés du texte censés le spécifier par rapport aux concepts d’énoncé et de discours, on cite surtout deux, à savoir sa structuration forte et son autonomie relative à l’égard du contexte (cf. Maingueneau 1996 : 82) – même si ces critères s’avèrent bien souvent insuffisants dans la pratique de l’analyse de faits linguistiques réellement produits. Situant notre réflexion dans l’optique interprétative esquissée plus haut, nous adoptons plutôt la définition proposée par F. Rastier, selon qui le texte est « une suite linguistique empirique attestée, produite dans une pratique sociale déterminée, et fixée sur un support quelconque » (1996 : 19). Dans cette perspective, le texte La structuration du texte dans l’interprétation : du mode linéaire au mode tabulaire 251 est considéré comme « un énoncé (produit d’un acte d’énonciation) » (ibid. : 33), ce qui l’oppose (automatiquement et traditionnellement) à l’acte (d’énonciation) ou, de manière moins évidente, au discours. Ce dernier – considéré dans un premier sens comme « l’activité de sujets inscrits dans des contextes déterminés » (Maingueneau 1996 : 28) – englobe alors l’énoncé (en cours de sa production) et la situation de communication (énoncé + énonciation)2. Pourtant, selon Rastier (2005 : en ligne), « on ne peut séparer texte et discours, ni théoriquement, ni méthodologiquement », parce que « les textes et les discours (au pluriel !) se trouvent [...] exactement au même niveau ontologique : par exemple, le discours littéraire est fait de tous les textes littéraires » (ibid.). Dans cette perspective, le discours est défini comme un « ensemble d’usages linguistiques codifiés attaché à un type de pratique sociale » (Rastier 2001 : 298), qu’on spécifie à l’aide d’un adjectif (p. ex. discours juridique, médical, religieux). Dans l’acception que nous allons utiliser dans cet article, le texte sera défini comme une unité de communication (et d’analyse) formellement délimitable, qui constitue le produit de l’acte d’énonciation et fait partie d’un discours. Cela implique la nécessité de prendre en compte non seulement sa structure inhérente, i.e. ses éléments constitutifs et les rapports qui les unissent, mais aussi son contexte discursif qui englobe l’intertexte, le contexte générique, les conventions de la pratique sociale, ainsi que tout facteur pragmatique pertinent pour l’interprétation. Le texte produit par l’énonciateur (« texte-source » (Rastier 1987 : 106)) apparaît donc comme un support à partir duquel le destinataire procède à l’interprétation du sens véhiculé, l’effet final de celle-ci étant déjà un autre texte (« texte- cible »), crucial dans la mesure où « le plus ou moins de signification, à supposer qu’elle puisse se quantifier, n’appartient pas au texte, mais à son interprétation » (Rastier 1996 : 33). 3. Les échanges verbaux sur les forums Internet : texte ou discours ? A la lumière de ce qui vient d’être dit, l’échange verbal qui nous intéresse ici, c’est-à-dire celui qu’on mène sur un forum Internet, appelle tout d’abord une définition précise de sa nature. Plus précisément, il s’agit de trancher si c’est un texte (produit) ou s’il relève plutôt du discours (acte). Or, les paramètres formels qui permettent de le décrire de manière pertinente suggèrent une forme mixte (cf. tableau 1) : 2 Cf. aussi Bartmiński & Niebrzegowska-Bartmińska où le texte est défini comme « le produit linguistique d’un acte (d’actes) de communication », et le discours comme « un événement communicatif » (2009 : 32). Katarzyna Wołowska 252 PRODUIT (TEXTE) ACTE (DISCOURS) forme écrite fixé sur un support temps de préparation long accessible à l’interprète dans sa totalité en amont caractère oralisé modifiable en amont (a posteriori) ouvert en aval (non achevé) expressivité spontanée (émoticônes, ponctuation) co-production en direct malentendus (résolvables en direct) Tableau 1 : Les paramètres formels pertinents de l’échange verbal sur un forum Internet Ce qui est indubitable, c’est que ce type d’échange présente une forme écrite : sa structure de base (représentée par un topic) se compose d’une suite de posts écrits par des usagers, rangés selon la date et l’heure de leur publication, fixés sur un support virtuel pleinement identifiable (page web sur un serveur), ce qui permet d’avoir un accès permanent aux posts déjà publiés (totalité en amont). Il s’agit donc là de traits caractéristiques qui font penser plutôt au texte comme produit de l’acte d’énonciation ; cela est vrai surtout dans le cas d’un post de forum considéré séparément à condition qu’il constitue une unité de sens complète3. En effet, on pourrait classer ce dernier comme un texte au sens le plus traditionnel, vu qu’il est pensé et réalisé par un énonciateur précis qui, avant de le publier, dispose d’un temps relativement long pour le préparer et le fixer par l’écriture en travaillant, s’il le veut, minutieusement sa forme définitive. En extrapolant cette constatation sur la totalité du topic (composé de posts individuels), on peut défendre la thèse selon laquelle une conversation de forum Internet est un type de texte à caractère dialogal / polylogal, subordonnable aux mêmes critères d’analyse que tout autre texte4. Cependant, comme on le voit dans le tableau 1, d’autres paramètres pertinents signalent qu’il s’agirait là plutôt d’un acte discursif saisi en cours de sa production. Tout d’abord, malgré sa forme écrite, l’échange verbal sur Internet a un caractère oralisé, ce dont témoigne son expression linguistique (grammaire, lexique, orthographe) propre au discours oral : il s’agit uploads/Industriel/ wolowska.pdf

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