Photo: Bank Al Maghrib SPECIAL 016 Economie|Entreprises Août-Septembre 2011 Par

Photo: Bank Al Maghrib SPECIAL 016 Economie|Entreprises Août-Septembre 2011 Par Ghassan Wail El Karmouni Un siècle de capitalisme marocain L a connaissance de l’histoire est une clé incon- tournable pour la compréhension de la situation économique et de ses évolutions. Dans ce dos- sier spécial «100 ans de capitalisme marocain», nous vous proposons, sans prétendre à l’exhaustivité, quelques éléments de cette histoire et l’analyse de leurs implications sur le Maroc actuel. L’avènement du protectorat et les multiples mutations qu’il va apporter est sans aucun doute un des faits les plus marquants de l’histoire politique, économique, sociale et culturelle du Maroc contemporain. Que ce soit l’instauration d’une industrie, de la banque centrale de l’Etat, des multiples administrations coloniales, des services publics, ou un maillage d’infrastructures physiques, le Maroc va relativement intégrer l’économie moderne. Cette modernité ne supprimera pas pour autant de nombreux aspects de l’archaïsme des structures du pays avant la colonisation. Pire, le protectorat laissera intacte certaines de ces structures créant de la sorte un dualisme et une dépendance dont les dynamiques sont toujours patentes aujourd’hui. L’indépendance du Maroc va tendre à continuer l’œuvre modernisatrice lancée pendant 40 ans, tout en essayant de gagner l’indépendance et la marocanisation de l’économie. Les différents gouvernements vont se succéder avec leurs plans économiques sans pour autant remettre en cause profondément le legs colonial. Aujourd’hui encore, le capitalisme marocain souffre d’un certain nombre d’inadéquations que près de 60 ans d’indépendance n’ont pas permis de dépasser. 017 Août-Septembre 2011 Economie|Entreprises 018 Economie|Entreprises Août-Septembre 2011 Les liens entre l’introduction du capi- talisme au Maroc et le protectorat sont incontestables. Principalement agraire, le mode de production du Maroc précolonial, va être profondément transformé par ce choc étranger, surtout par l’introduction du protectorat français. Cette transformation se fera à travers plusieurs canaux en ten- tant d’intégrer l’économie nationale dans la sphère de l’économie métropolitaine à travers la «mise en valeur de l’outre-mer impérial». De nombreuses mutations vont successivement être apportées aux structures traditionnelles pour fi nalement engendrer une forme de dualisme qui marquera, à l’in- dépendance, du Maroc, non seulement les structures de l’Etat, mais aussi les structures économiques, sociales et même spatiales. La dualité Bled Siba/Bled l’Makhzen va laisser place à la centralité de l’Etat au prix d’un dualisme de ses composantes: économie moderne/économie traditionnelle; Maroc utile/Maroc inutile; administration colonia- le/Makhzen… Une dualité qui, dans cer- tains aspects, marque encore le capitalisme marocain actuel. Le dualisme dans l’administration «La mission» fondamentale qui était as- signée au «Protectorat», était de réformer l’Etat marocain. Dès l’article premier du Traité de Fès de 1912, les termes étaient claires. Celui-ci constatait l’accord entre les deux parties sur la nécessité d’introduire des réformes, notamment économiques et fi nancières. Cet accord stipulait aussi à tra- vers son article IV que ces réformes seraient édictées par le Sultan sur proposition du gouvernement français. Prenant note de cet accord, mais aussi s’inspirant de leurs expé- riences passées en Algérie et en Tunisie, les autorités coloniales vont veiller à ce que «la conception du Protectorat est celle d’un pays gardant ses institutions et s’administrant lui-même avec ses orga- nes propres, sous le simple contrôle d’une puissance européenne, laquelle, substituée à lui pour la représentation extérieure, prend gé- néralement l’administration de son armée, de ses fi nances, le dirige dans son développement économique. Ce qui domine et caractérise cette conception, c’est la formule-contrôle opposée à la formule-ad- ministration directe», peut-on lire dans la circulaire émise en 1920 par le Maréchal Lyautey. Malgré les multiples dépassements que connaîtra par la suite cette doctrine, ses conséquences vont être déterminantes sur la morpho- logie que prendra le pays. En effet, l’une des principales conséquen- ces est le maintien du «Makhzen chérifi en» au côté d’un système administratif et économique colonial. Cette séparation des rôles va de fait créer ce que les économistes du développement appellent le dualisme, aussi bien des structures que des modes de production. Un makhzen traditionnel, bien que mis en avant et relooké par l’œuvre du protectorat, va se faire accompagner par des «adminis- trations néo chérifi ennes». «Parallèlement à la mise en place des institutions coloniales tra- ditionnelles, Lyautey et ses hommes s’attelèrent donc à un subtil travail de bureaucratisation et de modernisation des rouages inter- nes du Makhzen par simplifi cation et spécialisation: à l’Etat colo- nial revenait les réformes économiques, fi scales, administratives et militaires, au Makhzen tout ce qui était lié au sacré et qui touchait à l’équilibre de la société», explique Béatrice Hibou dans «Maroc: d’un conservatisme à l’autre». Directions des fi nances, des travaux publics, de l’agriculture et des Les 3 premiers Résidents généraux du Maroc avec leurs femmes à Paris en 1932. Archives de la Banque d’Etat du Maroc 1935. UN SIÈCLE DE CAPITALISME MAROCAIN Du protectorat au Libéralisme Après Casablanca, les Français débarquent à Kénitra annonçant le début de la colonisation militaire qui dura jusqu’en 1935. 1907 - 1911 020 Economie|Entreprises Août-Septembre 2011 forêts, du commerce et de la marine mar- chande, de la production industrielle et des mines, de l’instruction publique, ainsi que celle de la santé publique et de la famille, en tout 7 directions en plus du bureau du plan vont émerger, dès 1912, pour donner lieu au noyau de l’administration française du Maroc. Selon Hibou, ce dualisme sera également mis en place dans les modes de gestion éco- nomiques. Ainsi, les grands travaux notam- ment, vont contribuer au renforcement de la segmentation de l’économie, majoritaire- ment fi nancés, dès 1914, par les banques de la métropole puis, après la Seconde Guerre mondiale, par le budget public. Les lignes de chemins de fer ou les routes étaient avant tout conçues dans le cadre d’une économie impériale, au bénéfi ce des banquiers euro- péens, des entrepreneurs français et des colons installés au Maroc. Toujours selon l’auteur, les barrages bénéfi cièrent avant tout aux grandes fermes des colons et à l’expor- tation, même si au départ, les autorités colo- niales entendaient promouvoir des investis- sements qui soient profi tables à l’ensemble de la population. De même la «makhzani- sation» de certaines ressources naturelles procède d’un double objectif: prémunir ces ressources de l’exploitation privée étrangère (même marocaine) autre que l’autorité co- loniale, mais aussi doter l’administration coloniale de ressources à même de fi nancer le budget public. Le cas le plus emblémati- que est la création de l’Offi ce chérifi en des phosphates (OCP) en août 1920 par dahir qui donne le monopole de l’exploitation des phosphates à l’Etat ou le Bureau de recher- Mohammed V, Hassan II et le Résident général Labonne, en 1946. UN SIÈCLE DE CAPITALISME MAROCAIN Du protectorat au Libéralisme che et de participation minière (BRPM) en décembre 1928 qui permet des participations publiques dans les découvertes minières autres que les phosphates sans en avoir le monopole. Des institu- tions qui resteront des «vaches à lait» aussi bien pour l’administra- tion coloniale que pour le Maroc indépendant. La mise en place de l’infrastructure Comme l’infrastructure institutionnelle, la mise en place d’un système d’infrastructures physique est primordiale dans tout pays capitaliste. Le Maroc ne dérogera pas à cette règle et son équipe- ment par la colonisation se fera au pas de charge pour accélérer l’ex- ploitation de ses ressources. La première ligne de chemin de fer se fera entre Fès et Tanger, à la suite d’un accord passé entre la France et l’Espagne. La Compa- gnie franco-espagnole du Tanger-Fez fut constituée en juin 1916. En juin 1923, s’ouvrit la section Meknès-Petitjean (Sidi Kacem), en octobre la section Meknès-Fez; la section Sidi Kacem-Tanger Réforme fi scale L ’action du protectorat concernera un autre dom aine clé: la fi scalité. En 1912, la fi scalité chérifi enne selon G eorge Hatton, dans «Les enjeux fi nan- ciers et économ iques du Protectorat (1936-1956)», «com portait plusieurs strates successives dont chacune étaient tém oin d’une étape de l’évolution de l’em pire chérifi en au cours du siècle précèdent». Il s’agissait des anciens im pôts coraniques, les im pôts perçus en application des accords com m er- ciaux conclus entre le M aroc et les puissances coloniales et fi nalem ent les im pôts nouveaux prévus par l’Acte d’Algesiras (im pôts sur les propriétés bâtis, sur le com m erce et les droits d’enregistrem ent et tim bres). A vec le protectorat, fut m is en place une adm inistration fi scale de type m étro- politain et une fi scalité sim ple et rentable où les im pôts indirects prédom inent les im pôts directs. «furent ainsi crées ou m odifi és: en 1915 et 1916 le tertib [im pôt foncier indexé sur les revenus agricoles], le droit d’enregistrem ent et de tim bres et les taxes intérieures de consom m ation (TIC) sur les alcools et les sucres. (… ); l’im pôt des patentes fut créé en 1920 ainsi que l’im pôt sur les plus values», énum ère Hatton. Après la deuxièm e guerre m ondiale et la chute de 30% des recettes des droits de douanes et la division par 5,5 des recettes de la TIC entre uploads/Ingenierie_Lourd/ 100-ans-de-capitalisme-au-maroc 1 .pdf

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