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12/02/2021 Derrida en castellano - Lettre à un ami japonais https://redaprenderycambiar.com.ar/derrida/frances/lettre_ami.htm 1/6 Derrida en castellano Derrida en francés Nietzsche Heidegger Principal En francés Textos Comentarios Restos Fotos Cronología Bibliografía Links Lettre à un ami japonais Jacques Derrida Cette lettre, qui fut d’abord publiée, comme elle y était destinée, en japonais, puis dans d’autres langues, parut en français dans Le Promeneur, XLII, mi-octobre 1985. Toshihiko Izutsu est le célèbre islamologue japonais. Texto en castellano Cher Professeur Izutsu, (...) Lors de notre rencontre, je vous avais promis quelques réflexions — schématiques et préliminaires — sur le mot «déconstruction». Il s’agissait en somme de prolégomènes à une traduction possible de ce mot en japonais. Et pour cela, de tenter au moins une détermination négative des significations ou connotations à éviter si possible. La question serait donc: qu’est-ce que la déconstruction n’est pas? ou plutôt devrait ne pas être? Je souligne ces mots («possible» et «devrait»). Car si on peut anticiper les difficultés de traduction (et la question de la déconstruction est aussi de part en part la question de la traduction et de la langue des concepts, 12/02/2021 Derrida en castellano - Lettre à un ami japonais https://redaprenderycambiar.com.ar/derrida/frances/lettre_ami.htm 2/6 du corpus conceptuel de la métaphysique dite «occidentale»), il ne faudrait pas commencer par croire, ce qui serait naïf, que le mot «déconstruction» est adéquat, en français, à quelque signification claire et univoque. Il y a déjà, dans «ma» langue, un sombre problème de traduction entre ce qu’on peut viser, ici ou là, sous ce mot, et l’usage même, la ressource de ce mot. Et il est déjà clair que les choses changent d’un contexte à l’autre, en français même. Mieux, dans les milieux allemand, anglais et surtout américain, le même mot est déjà attaché à des connotations, inflexions, valeurs affectives ou pathétiques très différentes. Leur analyse serait intéressante et mériterait ailleurs tout un travail. Quand j’ai choisi ce mot, ou quand il s’est imposé à moi, je crois que c’était dans De la grammatologie, je ne pensais pas qu’on lui reconnaîtrait un rôle si central dans le discours qui m’intéressait alors. Entre autres choses, je souhaitais traduire et adapter à mon propos les mots heideggeriens de Destruktion ou de Abbau. Tous les deux signifiaient dans ce contexte une opération portant sur la structure ou l’architecture traditionnelle des concepts fondateurs de l’ontologie ou de la métaphysique occidentale. Mais, en français, le terme «destruction» impliquait trop visiblement une annihilation, une réduction négative plus proche de la «démolition» nietzschéenne, peut-être, que de l’interprétation heideggerienne ou du type de lecture que je proposais. Je l’ai donc écarté. Je me rappelle avoir cherché si ce mot «déconstruction» (venu à moi de façon apparemment très spontanée) était bien français. Je l’ai trouvé dans le Littré. Les portées grammaticale, linguistique ou rhétorique s’y trouvaient associées à une portée «machinique». Cette association me parut très heureuse, très heureusement adaptée à ce que je voulais au moins suggérer. Permettez-moi de citer quelques articles du Littré. «Déconstruction: Action de déconstruire./Terme de grammaire. Dérangement de la construction des mots dans une phrase. “De la déconstruction, vulgairement dite construction”, Lemare, “De la manière d’apprendre les langues”, ch. 17, dans Cours de langue latine. Déconstruire: 1. Désassembler les parties d’un tout. Déconstruire une machine pour la transporter ailleurs. 2. Terme de grammaire [...] Déconstruire des vers, les rendre, par la suppression de la mesure, semblables à la prose./Absolument. “Dans la méthode des phrases prénotionnelles, on commence aussi par la traduction, et l’un de ses avantages, c’est de n’avoir jamais besoin de déconstruire”, Lemare, ibid. 3. Se déconstruire [...] Perdre sa construction. “L’érudition moderne nous atteste que, dans une contrée de l’immobile Orient, une langue parvenue à sa perfection s’est déconstruite et altérée d’elle-même, par la seule loi de changement, naturelle à l’esprit humain”, Villemain, Préface du Dictionnaire de l’Académie[i].» Naturellement il va falloir traduire tout cela en japonais, et cela ne fait que reculer le problème. Il va sans dire que si toutes ces significations énumérées par le Littré m’intéressaient par leur affinité avec ce que je «voulais-dire», elles ne concernaient, métaphoriquement, si l’on veut, que des modèles ou des régions de sens et non la totalité de ce que peut viser la déconstruction dans sa plus radicale ambition. Celle-ci ne se limite ni à un modèle linguistico-grammatical, ni même à un modèle sémantique, encore moins à un modèle machinique. Ces modèles eux-mêmes devaient être soumis à un questionnement déconstructeur. Il est vrai qu’ensuite, ces «modèles» ont été à l’origine de nombreux malentendus sur le concept et le mot de déconstruction qu’on était tenté d’y réduire. 12/02/2021 Derrida en castellano - Lettre à un ami japonais https://redaprenderycambiar.com.ar/derrida/frances/lettre_ami.htm 3/6 Il faut dire aussi que le mot était d’usage rare, souvent inconnu en France. Il a dû être reconstruit en quelque sorte, et sa valeur d’usage a été déterminée par le discours qui fut alors tenté, autour et à partir de De la grammatologie. C’est cette valeur d’usage que je vais essayer maintenant de préciser et non quelque sens primitif, quelque étymologie à l’abri ou au-delà de toute stratégie contextuelle. Deux mots encore au sujet du «contexte». Le «structuralisme» était alors dominant. «Déconstruction» semblait aller dans ce sens puisque le mot signifiait une certaine attention aux structures (qui elles-mêmes ne sont simplement ni des idées, ni des formes, ni des synthèses, ni des systèmes). Déconstruire, c’était aussi un geste structuraliste, en tout cas un geste qui assumait une certaine nécessité de la problématique structuraliste. Mais c’était aussi un geste anti-structuraliste — et sa fortune tient pour une part à cette équivoque. Il s’agissait de défaire, décomposer, désédimenter des structures (toutes sortes de structures, linguistiques, «logocentriques», «phonocentriques» — le structuralisme étant surtout dominé alors par des modèles linguistiques, de la linguistique dite structurale qu’on disait aussi saussurienne —, socio-institutionnelles, politiques, culturelles et surtout, et d’abord, philosophiques). C’est pourquoi, surtout aux États-Unis, on a associé le motif de la déconstruction au «poststructuralisme» (mot ignoré en France, sauf quand il «revient» des Etats-Unis). Mais défaire, décomposer, désédimenter des structures, mouvement plus historique, en un certain sens, que le mouvement «structuraliste» qui se trouvait par là remis en question, ce n’était pas une opération négative. Plutôt que de détruire, il fallait aussi comprendre comment un «ensemble» s’était construit, le reconstruire pour cela. Toutefois l’apparence négative était, et reste, d’autant plus difficile à effacer qu’elle se donne à lire dans la grammaire du mot (dé-), encore qu’elle puisse suggérer aussi une dérivation généalogique plutôt qu’une démolition. C’est pourquoi ce mot, à lui seul du moins, ne m’a jamais paru satisfaisant (mais quel mot l’est-il?) et doit toujours être cerné par un discours. Difficile à effacer ensuite parce que, dans le travail de la déconstruction, j’ai dû, comme je le fais ici, multiplier les mises en garde, écarter finalement tous les concepts philosophiques de la tradition, tout en réaffirmant la nécessité de recourir à eux, au moins sous rature. On a donc dit, précipitamment, que c’était une sorte de théologie négative (ce qui n’était ni vrai ni faux, mais je laisse ici ce débat[ii]). En tout cas, malgré les apparences, la déconstruction n’est ni une analyse ni une critique, et la traduction devrait en tenir compte. Ce n’est pas une analyse, en particulier parce que le démontage d’une structure n’est pas une régression vers l’élément simple, vers une origine indécomposable. Ces valeurs, comme celle d’analyse, sont elles-mêmes des philosophèmes soumis à la déconstruction. Ce n’est pas non plus une critique, en un sens général ou en un sens kantien. L’instance du krinein ou de la krisis (décision, choix, jugement, discernement) est elle-même, comme d’ailleurs tout l’appareil de la critique transcendantale, un des «thèmes» ou des «objets» essentiels de la déconstruction. J’en dirai de même pour la méthode. La déconstruction n’est pas une méthode et ne peut être transformée en méthode. Surtout si on accentue dans ce mot la signification procédurière ou technicienne. Il est vrai que, dans certains milieux (universitaires ou culturels, je pense en particulier aux Etats-Unis), la «métaphore» technicienne et méthodologique qui semble nécessairement attachée au mot même de 12/02/2021 Derrida en castellano - Lettre à un ami japonais https://redaprenderycambiar.com.ar/derrida/frances/lettre_ami.htm 4/6 «déconstruction» a pu séduire ou égarer. D’où le débat qui s’est développé dans ces mêmes milieux: la déconstruction peut-elle devenir une méthodologie de la lecture et de l’interprétation? Peut-elle se laisser ainsi réapproprier et domestiquer par les institutions académiques? Il ne suffit pas de dire que la déconstruction ne saurait se réduire à quelque instrumentalité méthodologique, à un ensemble de règles et de procédures transposables. Il ne suffit pas de dire que chaque «événement» de déconstruction reste singulier, ou en tout cas au plus près possible de quelque chose comme un idiome et une signature. II faudrait aussi préciser que la déconstruction n’est même pas un acte ou une opération. Non seulement parce qu’il y aurait en elle quelque chose de «passif» ou de «patient» (plus passif que la passivité, dirait Blanchot, que la passivité telle qu’on l’oppose à l’activité). Non seulement parce qu’elle ne revient pas à un sujet (individuel uploads/Ingenierie_Lourd/ derrida-j-lettre-a-un-ami-japonais.pdf

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