Communications La grande syntagmatique du film narratif Christian Metz Citer ce

Communications La grande syntagmatique du film narratif Christian Metz Citer ce document / Cite this document : Metz Christian. La grande syntagmatique du film narratif. In: Communications, 8, 1966. Recherches sémiologiques : l'analyse structurale du récit. pp. 120-124; doi : https://doi.org/10.3406/comm.1966.1119 https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1966_num_8_1_1119 Fichier pdf généré le 26/05/2018 Christian Metz La grande syntagmatique du film narratif Ce texte constitue la seconde partie d'un exposé oral prononcé le 2 juin 1966 à Pesaro (Italie), dans le cadre d'une Table Ronde dont le thème était : « Pour une nouvelle conscience critique du langage cinématographique. » (Cette Table Ronde faisait elle- même partie du Deuxième Festival du Cinéma nouveau, Pesaro, 28 mai-5 juin 1966.) L'exposé avait pour titre global : « Considérations sur les éléments sémiologiques du film. » L'origine orale de ce texte explique le style des lignes qui vont suivre. Il y a une grande syntagmatique du film narratif. Un film de fiction se divise en un certain nombre de segments autonomes. Leur autonomie n'est évidemment que relative, puisque chacun ne prend son sens que par rapport au film (ce dernier étant le syntagme maximum du cinéma). Néanmoins, nous appellerons ici « segment autonome » tout segment filmique qui est une subdivision de premier rang, c'est-à-dire une subdivision directe du film (et non pas une subdivision d'une partie du film). Dans l'état actuel de normalisation relative du langage cinématographique, il semble que les segments autonomes se distribuent autour de six grands types, qui seraient ainsi des « types syntaxiques » ou, mieux encore, des types syntagma- tiques K Sur ces six types, cinq sont des syntagmes, c'est-à-dire des unités formées de plusieurs plans. Le sixième est fourni par les segments autonomes consistant en un seul plan, c'est-à-dire les plans autonomes. 1. La scène reconstitue, par des moyens déjà filmiques une unité encore ressentie comme a concrète » et comme analogue à celles que nous offre le théâtre ou la vie (un lieu, un moment, une petite action particulière et ramassée). Dans 1. Il existe plusieurs manières de présenter le « tableau » des grands syntagmes filme ques, plusieurs degrés de formalisation. Le niveau qui est ici présenté correspond à uni étape intermédiaire de la formalisation, relativement proche encore de l'empire cinématographique ainsi que des analyses des théoriciens classiques du cinéma (analyses d'ailleurs très incomplètes, même à leur niveau; voir les diverses a tables de montage »). Cette étape, rendue indispensable par l'état actuel de la sémiologie du cinéma (discipline naissante), devra être dépassée au profit d'une formalisation plus complète qui fera mieux apparaître les choix réels (c'est-à-dire plus ou moins inconscients) devant lesquels se trouve placé le cinéaste à chaque point de la chaîne filmique. Cette formalisation plus complète ne signifiera pas un changement des opinions professées quant au langage cinématographique, mais un perfectionnement du méta-langage sémio- logique (travail en cours). 120 La grande syntagmatique du film narratif la scène, le signifiant est fragmentaire (plusieurs plans, qui ne sont tous que des « profils » — Abschattungen — partiels), mais le signifié est ressenti comme unitaire. Tous les profils sont interprétés comme prélevés sur une masse commune, car la « vision » d'un film est en fait un phénomène plus complexe, mettant en jeu constamment trois activités distinctes (perceptions, restructurations du champ, mémoire immédiate) qui se relancent sans cesse l'une l'autre et travaillent sur les données qu'elles se fournissent à elles-mêmes. Les hiatus spatiaux ou temporels à l'intérieur de la scène sont des hiatus de caméra, non des hiatus diégétiques. 2. La séquence construit une unité plus inédite, plus spécifiquement filmique encore, celle d'une action complexe (bien qu'unique) se déroulant à travers plusieurs lieux et « sautant » les moments inutiles. Exemple-type : les séquences de poursuite (unité de lieu, mais essentielle et non plus littérale; c'est « le lieu de la poursuite », c'est-à-dire la paradoxale unité d'un lieu mobile). A l'intérieur de la séquence, il y a des hiatus diégétiques, bien que réputés insignifiants, du moins au plan de la dénotation (les moments sautés sont « sans importance pour l'histoire »). C'est ce qui différencie ces hiatus de ceux que signale le fondu au noir (ou quelque autre procédé optique) entre deux segments autonomes : ces derniers sont réputés sur-signifiants (on ne nous en dit rien, mais on nous laisse entendre qu'il y aurait beaucoup à dire : le fondu au noir est un segment filmique qui ne donne rien à voir, mais qui est très visible). Contrairement à la scène la séquence n'est pas le lieu où coïncident — ne serait-ce qu'en principe — le temps filmique et le temps diégétique. 3. Le syntagme alternant (exemple-type : ce qu'on appelle « montage parallèle » ou « montage alterné » selon les auteurs) ne repose plus sur l'unité de la chose narrée mais sur celle de la narration, qui maintient rapprochés des rameaux différents de l'action. Ce type de montage est riche en connotations diverses, mais il se définit d'abord comme étant une certaine manière de construire la dénotation. Le montage alternant se divise en trois sous-types si l'on choisit comme pertinence la nature de la dénotation temporelle. Dans le montage alternatif, le signifié de l'alternance est, au plan de la dénotation temporelle, l'alternance diégétique (celle des « actions » présentées). Exemple : deux joueurs de tennis, chacun étant « cadré » au moment où la balle est à lui. Dans le montage alterné, le signifié de l'alternance est la simultanéité diégétique (exemple : les poursuivants et les poursuivis). Dans le montage parallèle (exemple : le riche et le pauvre, la joie et la tristesse), les actions rapprochées n'ont entre elles aucun rapport pertinent quant à la dénotation temporelle, et cette défection du sens dénoté ouvre la porte à tous les « symbolismes », pour lesquels le montage parallèle est un lieu privilégié. 4. Le syntagme fréquentatif (exemple : très longue marche à pied dans le désert traduite par une série de vues partielles reliées par des fondus-enchaînés en cascade) met sous nos yeux ce que nous ne pourrons jamais voir au théâtre ou dans la vie : un processus complet, regroupant virtuellement un nombre indéfini d'actions particulières qu'il serait impossible d'embrasser du regard, mais que le cinéma comprime jusqu'à nous l'offrir sous une forme quasiment unitaire. Par-delà des signifiants redondants (procédés optiques, musique, etc.), le signifiant distinctif du montage fréquentatif est à chercher dans la succession rapprochée d'images répétitives. Au niveau du signifiant, le caractère vectoriel du temps, qui est propre au « narratif » (séquences ordinaires), a tendance à 121 Christian Metz s'affaiblir, parfois à disparaître (retours cycliques). D'après les signifiés, on peut distinguer trois types de syntagmes fréquentatifs : le fréquentatif plein brasse toutes les images dans une grande synchronie, à l'intérieur de laquelle la vecto- rialité du temps cesse d'être pertinente. Le semi-fréquentatif est une suite de petites synchronies, il traduit une évolution continue à progressivité lente (un procès psychologique dans la diégèse, par exemple) : chaque « flash » est ressenti comme prélevé sur un groupe d'autres images possibles, correspondant à un stade du procès; mais par rapport à l'ensemble du syntagme, chaque image vient se ranger à sa place sur l'axe du temps : la structure fréquentative ne se déploie donc pas à l'échelle du syntagme entier, mais seulement de chacun de ses stades. Le syntagme en accolade consiste en une série de brèves évocations portant sur des événements relevant d'un même ordre de réalités (exemple : des scènes de guerre) ; aucun de ces faits n'est traité avec l'ampleur syntagmati- que à laquelle il aurait pu prétendre; on se contente d'allusions, car c'est l'ensemble seul qui est destiné à être pris en compte par le film. Il y a là un équivalent filmique (balbutiant) de la conceptualisation. 5. Le syntagme descriptif s'oppose aux quatre types précités en ceci que dans ces derniers la succession des images sur l'écran (= lieu du signifiant) correspondait toujours à quelque forme de rapport temporel dans la diégèse (= lieu du signifié). Ce n'étaient pas toujours des consecutions temporelles (exemple : montage alternant dans sa variante parallèle, montage fréquentatif dans sa variante « pleine »), mais c'étaient toujours des rapports temporels. Dans le syntagme descriptif, au contraire, la succession des images sur l'écran correspond uniquement à des séries de co-existences spatiales entre les faits présentés (on remarquera que le signifiant est toujours linéaire et consécutif, alors que le signifié peut l'être ou ne pas l'être). Ceci n'implique nullement que le syntagme descriptif puisse s'appliquer seulement à des objets ou à des personnes immobiles. Un syntagme descriptif peut fort bien porter sur des actions, pourvu que ce soient des actions dont le seul type de rapports intelligible soit le parallélisme spatial (à quelque moment du temps qu'on les prenne), c'est-à-dire des actions que le spectateur ne peut pas mettre mentalement bout à bout dans le temps (Exemple : un troupeau de moutons en marche : vues des moutons, du berger, du chien, etc.). Bref, le syntagme descriptif est le seul syntagme dans lequel les agencements temporels du signifiant uploads/Ingenierie_Lourd/ metz-christian-la-grande-syntagmatique-du-film-narratif.pdf

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