HAL Id: halshs-00696680 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00696680 Sub

HAL Id: halshs-00696680 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00696680 Submitted on 1 Oct 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Un proverbe comme ’conservatoire botanique’ : le sésame en pays soninké (Sénégal, Mali, Mauritanie) Monique Chastanet To cite this version: Monique Chastanet. Un proverbe comme ’conservatoire botanique’ : le sésame en pays soninké (Sénégal, Mali, Mauritanie). Nikoué GAYIBOR, Moustapha GOMGNIMBOU et Dominique JUHE- BEAULATON (éd.). L’écriture de l’histoire en Afrique. L’oralité toujours en question, Karthala, p. 427-450, 2013. <halshs-00696680> 24 Un proverbe comme « conservatoire botanique » Le sésame en pays soninké (Sénégal, Mali, Mauritanie) Monique CHASTANET1 Comme l’ont montré de nombreux travaux sur l’histoire de l’Afrique, sources orales et sources écrites s’éclairent souvent mutuellement. J’en donnerai un exemple avec un proverbe soninké, qui témoigne de pratiques agricoles et alimentaires disparues depuis le milieu du XXesiècle. Une certitude, tout d’abord, la plante évoquée par ce proverbe est du sésame. Mais pendant longtemps je l’ai ignoré, n’ayant pu observer le végétal en question et ne disposant que de son appellation en soninké et en peul. C’est l’histoire de l’identifcation de cette plante que je vais raconter, « identifcation » plus historique que botanique... Tout commence donc par un proverbe, recueilli au début des années 1980 dans un village soninké de la haute vallée du Sénégal. C’est la confrontation de ce proverbe et de différents témoignages avec des sources écrites (archives, récits de voyage et autres publications) qui m’a permis de retracer l’histoire d’une ancienne ressource végétale et de reconstituer un usage aujourd’hui disparu, entre agriculture et cueillette. Mes premières enquêtes, menées au Sénégal, ont été complétées par d’autres, en Mauri- tanie et au Mali, ainsi que plus récemment à Paris, parmi des ressortis- sants sénégalais. De cette façon, j’ai pu appréhender, dans ses grandes lignes, une histoire du sésame dans la région soninkée du haut Sénégal entre le début du XVIIIe et le milieu ou la fn du XXesiècle, selon les espèces concernées. Et à partir de là, m’interroger sur les raisons de cette disparition. 1. Historienne, chargée de recherche au CNRS, CEMAf-Université Paris I. Je remercie A. Fournier, D. Juhé-Beaulaton, C.-H. Perrot, C. Seignobos et C. Wagué pour leur lecture attentive. 428 L’ÉCRITURE DE L’HISTOIRE EN AFRIQUE Figure 1. Les États du haut Sénégal (XVIIIe-XIXe siècle) Source: M. Chastanet. UN PROVERBE COMME « CONSERVATOIRE BOTANIQUE » 429 Questions autour d’un proverbe Avant de présenter ce proverbe, qui joue un rôle mémoriel bien malgré lui, il faut préciser qu’en milieu soninké les proverbes sont rarement investis d’une portée historique, cette fonction étant plutôt dévolue aux récits et aux généalogies2. Toutefois d’autres sources orales peuvent jouer le rôle de « lieux de mémoire »: c’est le cas, par exemple, des noms de famine qui constituent des repères chronologiques pour les Soninkés tout en témoignant de certaines caractéristiques des crises alimentaires (fac- teurs, gravité, stratégies de survie). On peut considérer que ces appella- tions relèvent d’une véritable construction mémorielle, à la différence du proverbe dont je vais parler, même si dans ce contexte l’expression « lieux de mémoire » ne renvoie pas, comme en France, à la formation d’une identité nationale (Chastanet, 2013: 275-283). Au cours d’une enquête au Gooy, ancienne province de l’État soninké du Gajaaga située aujourd’hui au Sénégal (voir fgure 1), on me cita un proverbe3 faisant intervenir une plante que je ne connaissais pas et qui n’était plus utilisée depuis un certain temps. Faute de pouvoir l’observer, j’ai réuni des informations sur son aspect et ses usages. J’ai poursuivi mes recherches dans d’autres régions soninkées, au Gidimaxa (Mauritanie) et au Xañaaga (Mali)4, mais sans jamais parvenir à voir la plante en question. Les différents témoignages me parurent de prime abord très contradictoires, évoquant tantôt une plante cultivée, tantôt une plante de cueillette. J’expliquais alors ces divergences par le souvenir confus que cette plante, une fois disparue, avait laissé dans les esprits. J’avais recueilli son nom en soninké et en peul, mais je ne trouvais ces termes dans aucun dictionnaire ou lexique. Plusieurs années passèrent, sans information nouvelle à ce sujet5. Voici ce proverbe: « Ucce gabe an na menenŋen futon kita ». 2. Dans d’autres sociétés africaines, des proverbes peuvent se référer à des événe- ments historiques, comme chez les Anyi-Ndenye de Côte d’Ivoire (Perrot, 1982: 21). 3. En soninké, c’est le mot taali, plur. taalini, qui désigne proverbes ou devinettes. Note sur la transcription des termes soninkés: e, pré; u, pou; c, tiare; g, gare; h, anglais hat; j, dialogue; ñ, pagne; ŋ, camping; q, qaf arabe; r, r roulé; s, glace; w, anglais water; x, jota espagnole; y, yaourt. Le n est prononcé m devant les consonnes b, m et p. Les voyelles longues sont redoublées. 4. Le Xañaaga est situé à l’ouest de Nioro. Mes principaux informateurs au Gajaaga, dans la région de Bakel, ont été S. Dembélé, W. Kanouté, K. Koulibaly, D. Tall et B. Tounkara. Il faut citer aussi M. Ane et D. Fofana pour le Gidimaxa et M. K. Traoré pour le Xañaaga. 5. J’en ai discuté avec plusieurs collègues connaissant bien le pays soninké ou le Sahel. Aucun n’a pensé au sésame ni à des plantes voisines, à l’exception d’Y. Péhaut que je remercie pour ses suggestions: parmi plusieurs hypothèses, il a évoqué le « faux sésame », Ceratotheca sesamoides, dont je parlerai plus loin. 430 TITRELIVRE Il signife, au sens littéral, « Il faut beaucoup de temps pour avoir du couscous de menenŋe », ou encore « Cela demande beaucoup de temps pour préparer du couscous avec du menenŋe », les graines de cette plante étant très petites. Un malade peut dire ce proverbe à quelqu’un qui, pour le réconforter, évoque sa guérison prochaine: il exprimera ainsi ses doutes et son incertitude sur l’amélioration de son état de santé. C’est un peu l’équivalent de l’expression française « De l’eau s’écoulera sous le pont avant que n’advienne telle ou telle chose... ». Selon certains de mes informateurs, ce proverbe serait plutôt utilisé par les femmes puisqu’il fait passer son message à travers une référence à la nourriture6. Précisons que le couscous, futo, est un plat très valorisé en pays soninké. À base de farine de mil, de sorgho ou de maïs, il demande une longue préparation et constitue généralement le repas du soir (Chas- tanet, 2010: 172 et 178). On ne fait pas de couscous avec du menenŋe, cette association symbolisant ici une chose très diffcile à réaliser, voire impossible. Des Peuls du Boundou, présents lors du recueil de ce proverbe, me dirent que cette plante s’appelait beliwelengel chez eux ainsi qu’au Fouta Toro. Au Gajaaga et dans les autres régions soninkées citées plus haut, les personnes qui m’en parlèrent dans les années 1980 avaient pour le moins une cinquantaine d’années. Les gens plus jeunes ignoraient tout de ce proverbe, de cette plante et de ce nom. D’après mes enquêtes, le menenŋe m’est apparu tantôt comme une plante de cueillette, tantôt comme une plante cultivée. Dans ce dernier cas, on s’en souvenait comme d’une culture d’appoint qui aurait disparu, selon les villages, dans les années 1940 ou 1950. Il pouvait être cultivé par les hommes ou par les femmes, mais ses usages le rapprochaient plutôt des cultures féminines. Selon certains, les femmes en faisaient venir sur des sols sableux: une ligne ou deux dans leurs champs d’arachide, plante dont il partageait le cycle végétatif, c’est-à-dire trois ou quatre mois. Selon d’autres, on le cultivait sur des sols argileux. Ainsi au Gajaaga, dans la région de Bakel, un de mes informateurs se rappelait que dans les années 1940 deux femmes de son village en cultivaient avec du fonio, fuñanŋe, sur un bon sol argileux qu’il situait précisément. Sa mémoire associait le fonio, culture marginale dans cette région7, au menenŋe, alors culture résiduelle. On m’a décrit cette plante le plus souvent comme un arbuste, dont les fruits étaient des gousses ou des capsules contenant de très petites graines. Une informatrice m’en a parlé plutôt comme d’une « herbe », ce qui ferait 6. Sur la polysémie des proverbes en Afrique, leur sens littéral et leurs signifcations symboliques, en fonction du contexte de leur énonciation, voir notamment Bonnet (1982), Chastanet (2002: 203-204) et Perrot (1982: 21). 7. Cette plante nécessite un climat plus humide (PROTA). En revanche le « fonio sauvage », ensemble de graminées spontanées appelées jaaje en soninké (Panicum sp., Digitaria sp., etc.), jouent un rôle fondamental en cas de famine. Au point que l’expres- sion « battre le jaaje » peut désigner toute activité de cueillette en temps de pénurie (Chas- tanet, 1991: 262 et 270). UN PROVERBE COMME « CONSERVATOIRE BOTANIQUE » uploads/Ingenierie_Lourd/ art-sa-same.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager