La figure de l’architecte-ingénieur antique Dans l'histoire de la technique, la
La figure de l’architecte-ingénieur antique Dans l'histoire de la technique, la figure de l'ingénieur moderne n'émerge que très progressivement. Pourtant, l'art de l'ingénieur remonte à la plus haute Antiquité : on cite souvent la première pyramide de Saqarah, construite autour de 2700 avant J.-C. par Imhotep, architecte, médecin et ministre du pharaon Djézer. En Grèce, dès le VIe siècle, Eupalinos de Mégare perce un canal souterrain à Samos, Chersiphron construit l'Artémision d'Éphèse et Mandroklès jette un pont de bateau sur le Bosphore. Les noms d'ingénieurs se multiplient pendant l'Antiquité classique Certains sont associés à des réalisations fameuses en architecture et génie civil : au Ve siècle, Hippodamos, l'urbaniste de Milet et du Pirée, et Ictinos, l'architecte du Parthénon ; au IVe siècle, Philon d'Athènes, l'architecte de l'arsenal du Pirée et Deinocratès de Rhodes, l'urbaniste d'Alexandrie. Mais la plupart nous sont connus pour leurs contributions aux progrès des techniques de siège : c'est le cas, au Ve siècle, d'Artémon de Clazomène, passé au service des Athéniens, et surtout des «mécaniciens» de Philippe de Macédoine (Polyeidos), d'Alexandre le Grand (Diadès, Charias et Poseidonos) et de Démétrios Poliorcète (Épimachos d'Athènes et Hégétor de Byzance), au IVe siècle. À ces spécialistes de l'architecture et du génie civil et militaire, il convient d'ajouter quelques grands noms de la science grecque, qui se seraient préoccupés aussi bien d'arts mécaniques que de philosophie et de mathématiques, tels Thalès de Milet, au VIe siècle, et les pythagoriciens Archytas de Tarente et Eudoxe de Cnide, à la fin du Ve siècle1. Mais c'est au souvenir du musée et de la bibliothèque d'Alexandrie que l'historiographie associe le plus souvent la figure de l'ingénieur antique. À côté de savants comme Euclide, Ératosthène de Cyrène ou Aristarque de Samos, des technologues vinrent travailler à Alexandrie sous la protection des Ptolémées. On connaît mal Ctésibios, considéré comme le fondateur de l'école alexandrine de mécanique (vers 270), et un peu mieux Philon de Byzance, dont l'oeuvre nous ait en grande partie parvenue (vers 225)2. Les historiens rattachent souvent Archimède (287-212) à l'école d'Alexandrie, de manière peut-être un peu arbitraire : originaire de Syracuse, il aurait séjourné en Égypte, d'où il aurait rapporté l'invention de la vis qui porte son nom. Alexandrie accueillit sans doute bien d'autres «ingénieurs», mais on ignore tout de leur activité ; la tradition 1Archytas serait le premier à avoir composé un traité de mécanique (Diogène Laerce, VIII, 82-83). Il aurait inventé une colombe mécanique en bois (Aulu Gelle, Attiques X, 12, 9) 2 Carra de Vaux, "Le livre des appareils pneumatiques et des machines hydrauliques par Philon de Byzance", Académie des inscriptions et belles-lettres, tome 38, (1903), pt 1. des grands «ingénieurs» savants de la période hellénistique, affaiblie dès la fin du IIIe siècle, ne survit d'ailleurs que difficilement à la conquête romaine. Les auteurs techniques du Ier siècle av. J-C., Athénée le mécanicien et Vitruve, tout comme Héron d'Alexandrie, qui écrivit probablement à la fin du Ier siècle ap. J.-C.3, se contentent, pour l'essentiel, de résumer l'oeuvre des technologues hellénistiques. À partir du IIe siècle ap. J-C., on peut dire que la littérature d'ingénieurs disparaît, les seuls documents écrits sur la technique, hormis les compilations d'auteurs anciens, émanant dorénavant d'administrateurs, comme Végèce. Ce tableau chronologique sommaire, tiré des synthèses récentes consacrées à la technologie antique 4, ne nous donne cependant qu'une idée superficielle et déformée de l'activité des ingénieurs grecs. Il faudrait certes, en suivant les spécialistes, analyser en détail le contenu des œuvres, mais ce ne serait pas suffisant : les sources écrites dont nous disposons, traités techniques souvent tardifs et incomplets et témoignages de seconde main de fiabilité douteuse, sont non seulement lacunaires mais surtout fondamentalement biaisées par le fait qu'elles donnent une représentation exclusivement savante ou littéraire des pratiques et des modes de pensée techniques. En général, les commentateurs surestiment gravement, croyons-nous, l'importance, dans le domaine technique, des quelques personnalités d'envergure dont la tradition écrite nous a conservée le souvenir. Les inventions de la poulie par Archytas ou de la vis et du palan par Archimède, par exemple, ne nous paraissent guère plus crédibles que celle de la scie par Dédale5. Du point de vue matériel, l'Antiquité classique poursuit, sans solution de continuité, l'oeuvre des grandes civilisations orientales qui l'ont précédée 6 . Des inventions nouvelles, parfois d'importance, comme la roue hydraulique au Ier siècle av. J-C., enrichissent le système technique, elles ne le bouleversent pas. Rien ne laisse supposer, d'ailleurs, sauf en quelques secteurs dont nous reparlerons plus loin, que la source de l'innovation technique ait changé dans la Grèce antique : c'est encore le métier, la technè, au plus près des choses, toujours obscur, souvent 3 Voir Carra de Vaux, "Les mécaniques ou l'élévateur de Héron d'Alexandrie sur la version arabe de Qusta ibn Luqa", Journal asiatique, 9e série (1893), tome 1, pp. 386-472, tome 2, pp. 152-192, pp. 193-269, pp. 420-514/. Voir Héron d’Alexandrie, Les mécaniques ou l’élévateur des corps lourds, Paris, Les Belles-Lettres, 1988. 4 Voir A. G. Drachmann, The mechanical technology of greek and roman antiquity. A study of the literary sources, Copenhague et Londres, 1963 ; J. G. Landels, Engineering in the ancient world, London, Chatts and Winders, 1978 ; K. D. White, Greek and roman technology. Aspects of greek and roman life, Londres, 1984 ; Donald Hill, A history of engineering in classical and medieval times, Londres et Sidney, Croom Helm, 1984 ; . 5 L’invention de la vis par Archimède est défendue par A. G. Drachmann, The screw of Archimedes in Actes du 8e congrès d’histoire des sciences, 1958, pp. 940-943. 6 Voir Moses I. Finley, Economie et société en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, coll. Textes à l’appui, 1984, pp. routinier, parfois inventif. Pour notre part, nous rechercherions l'invention des poulies, des moufles et des palans plutôt du côté des chantiers de construction navale grecs ou phéniciens que dans les oeuvres perdues d'Archytas et Archimède. De manière générale, seule l'archéologie, comme le montrent déjà quelques découvertes, permettra d'éclairer l'histoire des progrès techniques dans l'Antiquité. Si nous revenons à nos ingénieurs, nous voyons qu'il faut considérer les sources avec circonspection. Le mieux est de distinguer nettement, du moins autant qu'il est possible, la réalité socio-professionnelle des métiers de conception et de direction technique dans le monde gréco-latin de ses représentations dans la culture savante, étant entendu que les deux points de vue se complètent. L'émergence de la figure de l'ingénieur suppose à la fois un certain degré de division et d'organisation du travail, dépassant les formes purement artisanales de production, et une rationalisation déjà importante des modes de pensée technique. Ces conditions ne sont remplies qu'exceptionnellement dans le monde antique, et plus généralement, dans toutes les civilisations traditionnelles. Les seuls secteurs dans lesquels se dégage progressivement dans l'Antiquité un type de concepteur technique sont la construction monumentale d'une part, la construction des machines de guerre et le génie militaire de l'autre. Il s'agit, dans les deux cas, d'activités liées directement au développement de l'État, pour lesquelles des moyens exceptionnels peuvent être mobilisés, aussi bien en termes de force de travail que de compétences techniques. Qu'il soit civil ou militaire, l'«ingénieur» antique est donc un constructeur, que les grecs désignent sous le terme générique d'architektôn, repris par les romains sous la forme architectus, architecte. La compétence étendue de l'architektôn est attestée par de nombreux témoignages. Vitruve, par exemple, a construit aussi bien des bâtiments publics (une basilique à Fano) que des machines de siège. Mais il semble bien que, dans le complexe de pratiques qui constitue le fonds du métier de l'architecte, la construction des engins de guerre occupe une place spécifique et qu'il existe, au moins après 300, des ingénieurs spécialisés, désignés souvent sous le nom de mechanopoioi - en latin mechanici ou machinatores -, qui conçoivent et réalisent ces machines pour le compte des rois hellénistiques, puis des armées romaines7. Ces dignes héritiers du rusé Ulysse, inventeurs d'expédients - mechanai en grec, machinae en latin -, développent une véritable technologie, qu'ils appliquent non seulement à l'art de la guerre mais aussi à l'art de cour, en inventant pour leurs maîtres des automates, des jouets surprenants, des machineries de théâtre, etc. 7 Voir Yvon Garland, Rezcherches de poliorcétique grecque, Paris, de Boccard, 1974, en particulier pp. 207-211. Faute de documents probants, il est difficile de préciser la condition des architectes grecs et romains. Si l'on ne dispose que de peu de certitudes, on peut néanmoins avancer quelques hypothèses vraisemblables. En premier lieu, l'architecte appartient pleinement au monde des entrepreneurs, maîtres maçons et charpentiers, qui travaillent sur les chantiers. Le mot grec architechtôn désigne d'ailleurs, à l'origine, le maître-charpentier. La profession se transmet en général par tradition familiale, souvent de père en fils, et il existe de véritables dynasties de techniciens, comme celle des sculpteurs-architectes des grands tombeaux de Pétra, au Ier siècle ap. J.-C. Les pères, d'après Vitruve, instruisent eux-mêmes leurs enfants et leurs proches8. La formation se fait ainsi par initiation auprès d'un maître architecte et apprentissage sur le chantier, comme dans tous les métiers du bâtiment. uploads/Ingenierie_Lourd/ la-figure-de-l-x27-architecte-ingenieur-antique.pdf
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- Publié le Fev 21, 2022
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