Langue française Les Éléments de syntaxe structurale, de L. Tesnière Michel Arr
Langue française Les Éléments de syntaxe structurale, de L. Tesnière Michel Arrivé Citer ce document / Cite this document : Arrivé Michel. Les Éléments de syntaxe structurale, de L. Tesnière. In: Langue française, n°1, 1969. La syntaxe. pp. 36-40; doi : https://doi.org/10.3406/lfr.1969.5395 https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1969_num_1_1_5395 Fichier pdf généré le 04/05/2018 LES ÉLÉMENTS DE SYNTAXE STRUCTURALE DE LUCIEN TESNIÈRE 1. La syntaxe de Tesnière est-elle structurale? La question peut sembler paradoxale. Elle ne mérite pas moins d'être posée. Malgré le titre de l'ouvrage, la théorie de Tesnière n'est structurale que selon le sens donné par l'auteur au mot structure : sens qui n'est pas celui qu'avait le terme dans la pratique linguistique de l'époque x, ni celui qu'il a pris dans la réflexion contemporaine — encore que, nous le verrons plus loin, il soit sans doute plus proche de celui-ci que de celui-là. Au demeurant, nous ne faisons guère que reprendre, à propos du terme même de structure, ce que disait M. Benveniste à propos des méthodes employées : « L'intervention constante de plusieurs langues à la fois fait qu'on a souvent l'impression d'une syntaxe ou d'une stylistique comparée plutôt que structurale au sens où on l'entend aujourd'hui 2. » Dès la préface même de l'ouvrage, M. Fourquet insistait de son côté sur les divergences entre les analyses de Tesnière et celles de la linguistique structurale de son temps : « Pendant que Tesnière s'attaquait à une œuvre de réalisation immédiate, la linguistique structurale se développait autour de lui dans un autre sens, celui des constructions théoriques » (p. 4). Quel est donc le sens donné par Tesnière aux termes structure et structural? Il n'a nulle part cherché à le définir explicitement. Mais il est possible de le dégager d'un certain nombre d'occurrences pertinentes. Il semble d'abord que pour Tesnière l'adjectif structural soit consubstantiellement attaché à la notion même de syntaxe : dès les 1. Les Éléments, publiés à titre posthume en 1959 chez Klincksieck, étaient en réalité à peu près terminés depuis 1950. En outre, Tesnière avait élaboré certains aspects de sa méthode depuis 1934 (« Gomment construire une syntaxe », Bulletin de la Faculté des Lettres de Strasbourg, mai-juin 1934). 2. Compte rendu des Éléments, BSLP, t. LVI, 1960, pp. 20-23. 36 premières lignes de l'ouvrage (p. 11), il donne implicitement pour équivalentes les trois notions de syntaxe, syntaxe structurale et étude de la phrase. Si la syntaxe ne peut être que structurale, ce n'est pas pour des raisons méthodologiques : c'est simplement parce que la phrase, objet de la syntaxe, est une structure. La structure de la phrase à son tour n'est autre que la hiérarchie des connexions : t L'étude de la phrase, qui est l'objet propre de la syntaxe structurale, est essentiellement l'étude de sa structure, qui n'est autre que la hiérarchie de ses connexions » (p. 14). Le problème est évidemment de savoir quelle est la nature des connexions. C'est sur ce point que l'enseignement de Tesnière reste peut-être un peu confus. Il prend d'abord soin de distinguer avec rigueur le plan structural et le plan sémantique : « Le plan structural est celui dans lequel s'élabore l'expression linguistique de la pensée. Il relève de la grammaire et lui est intrinsèque. Le plan sémantique au contraire est le domaine propre de la pensée, abstraction faite de toute expression linguistique. Il ne relève pas de la grammaire, à laquelle il est extrinsèque, mais seulement de la psychologie et de la logique » (p. 40, mots soulignés par Tesnière). Passons sur ce que cette distinction peut avoir de sommaire. A tout le moins permet-elle à Tesnière de poser le principe de l'indépendance du structural et du sémantique : « Le plan structural et le plan sémantique sont donc théoriquement entièrement indépendants l'un de l'autre. La meilleure preuve en est qu'une phrase peut être sémantiquement absurde tout en étant structuralement correcte » (p. 41) 3. Mais il précise peu après que cette indépendance des deux plans n'est qu'une « vue théorique de l'esprit » : « Dans la pratique les deux plans sont en fait parallèles, parce que le plan structural n'a d'autre objet que de rendre possible l'expression de la pensée, c'est-à-dire du plan sémantique » (p. 42). Ainsi, les connexions structurales sont doublées par des connexions sémantiques. Quant aux centres mis en relations par les connexions, ils sont eux aussi dédoublés en centres structuraux et centres sémantiques. A côté de la notion strictement structurale de nœud, Tesnière fait donc intervenir la notion plus complexe de nucleus : « Nous définirons le nucleus comme l'ensemble dans lequel viennent s'intégrer, outre le nœud structural proprement dit, tous les autres éléments dont le nœud est comme le support matériel, à commencer par les éléments sémantiques » (p. 45). 3. On reconnaît ici le problème abordé par les grammaires génératives en termes de grammaticalitéjinterprétabilité. Voir N. Ruwet, Introduction à la grammaire generative, pp. 59 et suiv., et, particulièrement à propos de Tesnière, p. 372. 37 Puis, par un glissement progressif, il substitue la notion de nucleus à celle de nœud à titre d'unité structurale : « Le nucleus est donc en dernière analyse l'entité syntaxique élémentaire, le matériau fondamental de la charpente structurale de la phrase, et en quelque sorte la cellule constitutive qui en fait un organisme vivant » (p. 45). [Structurale souligné par l'auteur de l'article.] A partir de ce moment de l'ouvrage, c'est la notion de nucleus, et non plus celle de nœud, qui est retenue comme point de départ des analyses de Tesnière. On voit de quelle façon des éléments sémantiques ont été intégrés à une notion originellement structurale : la structure de la phrase chez Tesnière, c'est un composé complexe de relations structurales et de relations sémantiques. On comprend pourquoi les structuralistes formalistes ont pu s'étonner d'une telle attitude : ainsi M. Benveniste, qui est surpris de « ne trouver dans ce gros livre terminé en 1954 aucun écho des discussions d'où s'est dégagée depuis 1945 une conception plus formelle de la description 4 ». Mais du même coup, on comprend pourquoi les recherches sémantiques récentes ont pu reprendre des notions tesnié- riennes, par exemple la notion d'actant 5. Ainsi, par un curieux retour des choses, la syntaxe de Tesnière, après avoir été contestée par les structuralistes de son temps, se trouve aujourd'hui réutilisée par ceux des structuralistes contemporains qui s'intéressent à l'analyse du contenu. Au risque de quitter pour un instant le domaine de la grammaire, il est indispensable de signaler que la notion d'actant telle qu'elle est définie, entre autres, par A.-J. Greimas (Sémantique structurale, pp. 130-131 et passim) a subi par rapport à la notion de Tesnière une double modification : elle a été transposée du niveau de la phrase au niveau de l'énoncé, et a été dépouillée de tout ce qui, chez Tesnière, la rattachait encore, quoique de façon lâche, à une conception formelle des relations syntaxiques : d'où, chez Greimas, la possibilité d'une articulation catégorique du système des actants. 2. La syntaxe de Tesnières est-elle transformationnelle? L'un des meilleurs comptes rendus des Éléments, celui de l'historien de la linguistique R.H. Robins, se termine par une comparaison entre la notion de translation et le « Chomsky's somewhat similar concept of transformation 6 ». Plus récemment, Bl. Grunig 7, puis N. Ruwet 8, qui 4. Loc. cit., p. 22. 5. « Les actants sont les êtres ou les choses qui, à un titre quelconque et de quelque façon que ce soit, même au titre de simples figurants et de la façon la plus passive, participent au procès » (p. 102). 6. « Syntactic analysis », Archivům linguisticum, t. XIII, 1961, pp. 78-79. 7. « Les théories transformationnelles. Préliminaires : les transformations naïves », La Linguistique, 2, 1965, pp. 1-24. 8. Op. cit., pp. 228-231 et passim. 38 s'appuie sur une démonstration donnée par M. Gross 9, ont également cherché à apprécier la valeur du concept de translation par rapport à celui de transformation. Enfin, un article de Jan Sabrsula 10 pose explicitement de façon, disons-le, beaucoup trop brutale, l'équivalence entre les deux notions : « les notions de transformation (ou de translation, selon Tesnière) sont assez larges » (p. 54). A vrai dire, Tesnière n'est pas le premier à avoir utilisé la notion de translation : pour nous en tenir aux auteurs de langue française du xxe siècle, on la trouve déjà, sous le nom de transposition, chez Bally n, et même, de façon sans doute moins attendue, chez Léon Clédat 12, qui lui donne le nom de « changement de fonction ». Mais il est incontestable que c'est chez Tesnière que la translation est utilisée pour la première fois de façon systématique pour rendre compte d'un très grand nombre de faits grammaticaux. La translation, on le sait, consiste à faire passer un « mot plein » d'une catégorie grammaticale dans une autre catégorie grammaticale (voir, notamment, p. 364). Ainsi, « dans le groupe le livre de Pierre, le substantif Pierre devient syntaxique- ment un adjectif épithète au même titre que rouge dans le uploads/Ingenierie_Lourd/ lfr-0023-8368-1969-num-1-1-5395.pdf
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- Publié le Jul 17, 2021
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