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Le Courrier des Balkans > Articles > Patrimoine : « il est urgent de sauver l’architecture moderniste socialiste (...) Patrimoine : « il est urgent de sauver l’architecture moderniste socialiste » Courrier des Balkans | Correspondance particulière | dimanche 1er novembre 2015 De la fin des années 1950 à la chute du Mur de Berlin, c’est toute une architecture moderniste qui s’est inventée dans le Bloc de l’est pour créer un habitat fonctionnel aux formes minimalistes. Ce patrimoine est aujourd’hui mis à mal par la transition et volontairement oublié par les nouveaux pouvoirs qui voudraient effacer ces traces d’un passé honni. Le Courrier des Balkans a rencontré Dumitru Rusu, le président de l’ONG B.A.C.U., dont le combat est la préservation de ces monuments historiques. Par Jovana Papović © B.A.C.U. Le collectif B.A.C.U (bureau d’art et de recherche urbaine) a officiellement été fondé en 2014, mais ses membres collaborent déjà depuis mars 2012. Le collectif regroupe des architectes, curateurs, plasticiens et chercheurs roumains et moldaves, intéressés par la conservation et la restauration de la culture urbaine et du patrimoine architectural de leurs pays. Leur premier projet concernait la restauration d’immeubles vétustes dans le centre historique de Chișinău. Le Courrier des Balkans a rencontré l’architecte Dumitru Rusu, qui est à la tête du collectif, pour parler de leur plateforme de recherche « Socialist Modernism » qui a pour le but – la revitalisation, la préservation et la conservation des constructions architecturales datant de la période socialiste. « Nous considérons que les édifices de style moderniste socialiste ont une grande valeur historique pour toute l’Europe de l’est », affirme Dumitru Rusu. Le Courrier des Balkans (CdB) : Quand vous parlez de l’architecture moderniste socialiste érigée entre 1957 et 1989, de quelles démarches d’architectes s’agit-il exactement ? Si l’on comprend le modernisme en architecture comme un style caractérisé par le décor minimal, les lignes géométriques et une tendance générale à la subordination de la forme au prédicat fonctionnel, quelles seraient les caractéristiques de ce mouvement spécifiques au bloc de l’est ? Dumitru Rusu (D. R.) L’architecture de la période socialiste, plus exactement les tendances modernistes de cette époque, comme un concept, sont de plus en plus véhiculés ces derniers temps, en divers contextes de la spécialité. Notre projet « Socialist Modernism » est une Plateforme de recherche lancée par moi-même [1] et Stefan Rusu [2], qui s’intéresse aux tendances modernistes de l’Europe de l’Est, aujourd’hui insuffisamment explorées. Localement, ce phénomène architectural a été ignoré par nos confrères, mais aussi par les autorités publiques. Ces tendances ont englobé les territoires de l’ancien bloc socialiste : Roumanie, Moldavie, Allemagne de l’Est, Pologne, Hongrie, Serbie, Croatie, Macédoine, etc. Nous essayons de comprendre comment le modernisme socialiste s’est développé dans ces pays en le replaçant dans le contexte plus large de l’Europe de l’Est. Le modernisme en architecture a commencé à prendre forme dans les sociétés capitalistes d’Europe occidentale et il se manifeste sous un ensemble de principes de base comme – l’idée « form follows function » (la forme suit la fonction), l’utilisation de matériaux de production de masse, une esthétique industrielle, la simplicité des formes et l’élimination des détails inutiles. En Europe de l’est, ce style a réussi à s’imposer grâce aux efforts d’architectes qui n’hésitaient pas à s’en servir pour aller au-delà des limites du système politique. Nous souhaitons revitaliser cet héritage pas seulement pour des raisons symboliques, mais parce que nous croyons que ces éléments architecturaux ont réussi à s’imposer comme des remparts contre les exigences idéologiques et à construire l’espace urbain collectif. Les boulevards, les bâtiments d’utilité publique, les unités de vie et les monuments nous permettent de nous projeter dans le contexte social et culturel de la période socialiste. Le quartier de Pantelimon e Bucarest © B.A.C.U. CdB : Il y a beaucoup de controverses autour de ce type d’édifices architecturaux, certains prétendent qu’ils célèbrent leur rigidité totalitaire tandis que d’autres revendiquent leur objectif humaniste qui visait à offrir aux gens un habitat décent tout en respectant l’environnement. Quels sont selon vous les concepts idéologiques qui ce cachent derrière ce mouvement ? D. R. : Notre projet est dédié à l’histoire de l’architecture moderniste socialiste. On plaide pour la sauvegarde et la préservation des bâtiments emblématiques, qui malheureusement, sont associés à une idéologie totalitaire. C’est exactement l’aspect que nous voudrions clarifier : nous voulons prouver que l’architecture de cette période est précieuse et qu’il est possible de se référer à la période socialiste sans forcément être partisan de la politique qui était menée à cette époque. CdB : Quels sont les bâtiments qui ont particulièrement attiré votre attention ? Pouvez-vous nous donner des exemples de cet héritage singulier ? D. R. : Nous travaillons actuellement à la préservation de quatre bâtiments emblématiques de Moldavie, à Chișinău, mais nous comptons élargir notre action sur la Roumanie d’abord, puis sur la Bulgarie. Nous travaillons à faire reconnaître ces bâtiments comme monuments historiques en passant par le programme Héritage socialiste, qui fait partie du Conseil international des monuments et des sites ICOMOS pour le XXe siècle. Le premier bâtiment est le Romanita, une tour de logements collectifs pour les petites unités familiales dessinée par Oleg Vronski et construite aussi entre 1978 et 1986. La tour est encore habitée aujourd’hui. Le second bâtiment est le Cirque d’État de Chișinău construit entre 1978 et 1981 et qui est actuellement dans un état de délabrement avancé. L’édifice a été conçu par les architectes Ala Kirichenko, Simion Shoihet, Anatol Colotovkin. Les deux autres bâtiments sont des hôtels, l’Hôtel National (Интурист), conçu par l’architecte O. Gorbuntov et construit en 1974 (en phase d’être démoli) et le Cosmos hôtel, dont le statut légal reste irrésolu, conçu par B. Banykin, I. Kolbayeva et construit en 1983. le Cirque d’État de Chișinău construit entre 1978 et 1981 © B.A.C.U. CdB : Après la chute des régimes communistes, quelle a été la réaction des population envers ces biens architecturaux ? Y a-t-il eu beaucoup de vandalisme et de destructions ? D. R. : En Moldavie et en Roumanie, beaucoup d’immeubles et de monuments socialistes ont été détruits (les monuments à l’effigie de Marx et Engels, de Lénine ou encore des monuments à l’honneur des héros révolutionnaires, etc.). Beaucoup de lieux publics sont dans un état de délabrement avancé (les bâtiments publics, parcs, l’architecture de loisirs comme les restaurants, les magasins, les stades, les piscines, etc.), mais beaucoup d’entre eux ont aussi été démolis. En Moldavie, Palais de la jeunesse Gagarin, quelques bâtiments mentionné plus haut - Romanita, Cirque d’État de Chișinău et en Roumanie : Quartier Gheorgheni de Cluj-Napoca, Quartier Nord de Ploiesti, Institut de Mathématique de Bucarest Simion Stoilov, Telecom et Poste de Cluj-Napoca. Le vandalisme est encore à l’heure aujourd’hui et nous nous efforçons de surveiller ces processus grâce à notre Association B.A.C.U. CdB : Quelle est l’attitude des États à l’égard de la préservation de cet héritage ? D. R. : Nous estimons que les principaux responsables de la dégradation de ces biens architecturaux sont les autorités locales et les gouvernements qui favorisent un agenda néo-libéral. Tous échouent systématiquement depuis deux décennies à reconnaître le patrimoine et la valeur historique de ces bâtiments et ils refusent de classer monuments historiques. En Moldavie par exemple, l’Hôtel National est depuis plus de neuf ans en phase de démolition forcée par le propriétaire actuel ; le Cosmos Hôtel est quant à lui entouré de constructions parasitaires qui détruisent son apparence première tandis que son statut légal reste irrésolu. En Allemagne de l’Est, le Palais de la République démolie en 2008, et remplacé par la reconstruction d’un palais royal du XVe-XVIe siècle. Tous les centres des plus importantes villes de l’Est de l’Allemagne ont subi un nettoyage idéologique comme nous l’avons montré dans note recherche présentée en août 2015 dans l’Exposition Bauhaus, Dessau, Allemagne]]. En Pologne, l’immeuble Emilia à Varsovie a été retiré de la liste des monuments historiques après une requête de son propriétaire qui souhaite le détruire pour construire une tour à son emplacement. En Roumanie, les habitants construisent souvent des isolations thermiques inadéquates et des verrières sur leurs balcons, sans se soucier de l’apparence globale de leur immeuble. Les habitants changent aussi les couleurs des façades des immeubles, ce qui leur donne une apparence complètement dépareillée et chaotique, comme en témoigne le complexe architectural du quartier de Pantelimon à Bucarest. Il ne s’agit là que de quelques exemples, mais la liste est longue. Il y a un ressentiment très fort dans la société envers l’architecture de cette période, à cause de la politique mise en œuvre par les autorités socialistes. On pourrait dire, dans beaucoup de cas, qu’elle est seulement vue avec un prisme idéologique, comme le résultat de politiques défectueuses. La tour de logements collectifs Romanita à Chișinău © B.A.C.U. CdB : Votre collectif s’efforce d’agir localement, de mettre en place des régulations et une législation, mais également de créer des programmes de préservation de cette architecture. Pouvez-vous nous décrire votre travail de terrain ? D. R. : Nous travaillons actuellement uploads/Ingenierie_Lourd/ patrimoine-il-est-urgent-de-sauver-l-x27-architecture-moderniste-socialiste.pdf
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- Publié le Sep 04, 2021
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