1 ■ KAIER AR POHER N°69 - Juin 2020 Prophètes de Basse-Bretagne - 1ère partie C

1 ■ KAIER AR POHER N°69 - Juin 2020 Prophètes de Basse-Bretagne - 1ère partie Christian Souchon Qu’est-ce qu’un vouga ? Il y a quelques années, Pierre-Yves Quémener, bien connu des lecteurs du Kahier ar Poher, publiait un article consacré aux « Pérégrinations de saint Vouga ». Il y exposait comment l’hagiographe Albert Le Grand, dans son recueil de 1637 sur les Saincts de la Bretagne Armorique, avait fusionné sous ce même nom deux légendes distinctes : celle du Léonard, saint Vouga honoré à Saint-Vougay et celle du Cornouaillais, saint Bechew de Tréguennec. L’abbaye de Landévennec s’appropria le culte de ce dernier et l’implanta en un troisième lieu, Priziac en Poher où, sous l’appellation de saint Beho, il devint un symbole d’appartenance communautaire comme l’atteste la fréquence de ce prénom sur les registres de baptêmes de cette paroisse. Vouga est un nom inattendu et facile à retenir. En lisant l’article susmentionné, il m’est revenu qu’il figurait de façon tout à fait énigmatique dans le registre des baptêmes d’Edern, au détour de 4 vers moyens-bretons précédés d’une traduction française, inscrits dans ce livre en date du 14 février 1628 : Goude glao bras arnou noas a dra sur Meur a vouga1 varvel a druillou. Hac en o bro a changeo stil Rac muy e quit cant mil a vresillo 1 vouga, dans le texte breton = croquemitaine, fantôme effrayant. Un peu avant seize-cent-trente Les vouga à la barbe jausne payront la rante Un beau Gaston moult besoignera, Et la croix rouge de couleur changera Geoffroy de Monmouth, Historia Regum Britanniae, manuscrit de la seconde moitié du XIIe siècle (détail) Bibliothèque nationale de France KAIER AR POHER N°69 - Juin 2020 ■ 2 En examinant ce texte de plus près, on se rend vite compte que l’emploi du mot vouga, dans la traduction française, résulte d’une mauvaise interprétation. Mais cette association d’idées permettait de plonger dans un univers bien particulier, celui des prophéties populaires et de constater qu’il existe dans toute la Basse-Bretagne des prophéties de ce genre. On les attribue à différents personnages qui ont nom Philippe Normant, le roi Stéphane, sans oublier un certain Guinclan qui occupe une place à part. Ce type de formules mystérieuses se rencontre chez un peu tous les prophètes dans le Poher, à Edern, Priziac, Motreff, Langonnet… ou dans le proche Vannetais et justifie de leur consacrer quelques pages ; les lecteurs du Kaier ar Poher qui auraient entendu parler de telles prophéties dans leur jeunesse sont invités à enrichir ce dossier. Une tradition ancienne Ces vaticinations jouent un rôle important dans l’imaginaire collectif, en particulier celtique. L’ouvrage dont est issue en dernière analyse toute la matière de Bretagne, le texte rédigé en latin entre 1135 et 1138 par le Gallois Geoffroy de Monmouth et intitulé Histoire des rois de Bretagne, ne comporte pas moins de 74 Prophéties de Merlin qui servent de prolepse narrative au livre en évoquant de manière voilée et allusive les grandes lignes du récit qui les suit. Dans une étude qu’il consacra en 1861 à Myrdhinn ou l’enchanteur Merlin, Théodore de La Villemarqué, auteur du Barzhaz Breizh, souligne l’influence historique, politique et littéraire qu’ont exercée lesdites prophéties. Ce texte est du plus grand intérêt, même si son auteur omet de signaler ce qu’il doit aux commentaires en latin de Francisque Michel, l’éditeur, en 1837, de la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth. C’est ainsi qu’on y apprend que la Prophétie 32, « Alors du bois chenu sortira une vierge qui arrêtera le fléau … » et quelques autres furent invoquées à charge lors du procès de Jeanne d’Arc (1431). Par ailleurs, Merlin possède dans les communes de Louargat et de Tréglamus un épigone avec lequel il a beaucoup de traits communs. Il s’agit du fameux Guinclan, rebaptisé Gwenc’hlan par La Villemarqué qui lui consacre le premier chant du Barzhaz de 1839, personnage réputé enseveli sous le Ménez Bré. C’est par lui que nous commencerons ce tour d’horizon. 3 ■ KAIER AR POHER N°69 - Juin 2020 Les Prophéties de Gwenc’hlan Le Guinclan des dictionnaires En 1834, les érudits bretons s’intéressaient à un mystérieux manuscrit : Les prophéties de Guinclan ( Guiclan ou Guinclaff ) considéré comme disparu, depuis la Révolution, de l’abbaye de Landévennec. Selon les dires du bénédictin Dom Louis Le Pelletier et du capucin Grégoire de Rostrenen, ce manuscrit y était conservé autrefois. Tous deux auteurs de dictionnaires bretons avaient, l’un fait des citations, l’autre mentionné l’existence de ce texte. Dom Louis le Pelletier (1663-1733) est l’auteur d’un Dictionnaire étymologique de la langue bretonne publié en 1752, après sa mort et dans lequel il mentionne avoir eu entre les mains, à l’abbaye de Landévennec, ledit manuscrit où il avait trouvé des mots pour son dictionnaire ; né au Mans, il n’était pas bretonnant de naissance. Dom Taillandier rédigeant la préface de l’ouvrage posthume avait indiqué, page VIII : « le plus ancien [monument écrit en langue bretonne] qu’ait trouvé Dom Pelletier est un manuscrit de l’année 1450, qui est un recueil de prédictions d’un prétendu prophète nommé Gwinglaff. Il a tiré quelques secours de la vie de saint Guénolé, premier abbé de Landévennec... » Gwinglaff est effectivement cité à trois reprises dans ce dictionnaire aux mots : bagad /troupe, gnou /notoire et orzail /batterie, corruption dit Le Pelletier du français assaillir. Avant que l’ouvrage ne soit publié, Grégoire de Rostrenen (1667-1750) avait fait paraître, en 1732, son Dictionnaire Celto-Breton où il citait ce même Guinclan : • Dans l’introduction où il donnait la liste des...auteurs dont [il s’était] servi pour composer ce dictionnaire : « Ce que j’ai trouvé de plus ancien sur la langue... bretonne a été le livre manuscrit en langue bretonne des Prédictions de Guinclan, astronome breton très fameux encore aujourd’hui parmi les Bretons qui l’appellent communément « le prophète Guinclan «. Il marque au commencement de ses prédictions, qu’il écrivait l’an de salut deux cent quarante (240), demeurant entre Roc’h-Hellas et le Porzh-Gwenn : c’est au diocèse de Tréguier, entre Morlaix et la ville de Tréguier. » Aujourd’hui ces localités s’appellent le Grand Rocher qui surplombe la baie de Saint-Michel- en-Grève et Port-Blanc en Penvénan. • À l’article Guinclan, page 480 du dictionnaire : « Guinclan, prophète breton, ou plutôt astrologue qui vivait dans le IIIème siècle, [et] dont j’ai vu les prédictions en rimes bretonnes à l’abbaye de Landévennec entre les mains du R.P. Dom Louis Le Pelletier. » Sa lecture ne dut pas être très attentive, car il ajoute : « [Il] était natif de la comté de Goélo en Bretagne Armorique et prédit aux environs de l’an de KAIER AR POHER N°69 - Juin 2020 ■ 4 grâce 240, ( comme il le dit lui-même), ce qui est arrivé depuis dans les deux Bretagnes [dans la traduction bretonne de l’article : ‘en Armorique et en Grande Bretagne’]. » La contradiction avec le futur dictionnaire de Dom Le Pelletier dut lui être signalée, peut-être par ce dernier, car six ans plus tard, dans sa Grammaire Celto-Bretonne (1738), il la corrige partiellement : « Il s’est glissé...dans mon Dictionnaire...une très grosse [erreur] : C’est au mot Guinclan dont j’ai marqué les prédictions à l’an 240, au lieu qu’il faut mettre 450. » L’erreur n’était plus que de 1000 ans ! Les commentateurs qui s’intéresseront à Guinclan par la suite retiendront cette date : l’an 450. C’est le cas de Cambry dans son Voyage dans le Finistère (1797) et de l’abbé de La Rue dans ses Recherches sur les ouvrages des bardes de la Bretagne armoricaine dans le Moyen Âge (1815). Le Gwynglaff du « Dialogue avec le roi Arthur » En 1924, l’écrivain et linguiste Francis Gourvil (1889-1984) découvrit près de Morlaix un dictionnaire manuscrit de Le Pelletier daté de 1716 et contenant 247 vers intégralement copiés par lui-même constituant la fameuse prophétie, sous le titre « Dialog etre Arzur, Roe an Bretounet ha Gwynglaff / Dialogue entre Arthur, roi des Bretons et Guinclan », suivi des mots « L’an de Notre Seigneur Mil quatre cent et cinquante. » Un copiste mal avisé avait raturé le mot « mil », ce qui explique l’erreur du père Grégoire, mais pour critiquer cette rature, le savant Dom Pelletier attirait l’attention sur les mots français dont ce texte est truffé, au nombre desquels « canol » pour « canons ». En voici les 31 premiers vers avec une traduction empruntée à mon site2 : 2 http://chrsouchon.free.fr/arzurroe.htm L’église de Landévennec Estampe de Félix Benoist (1818-1866) publiée par Henri Charpentier, imprimeur éditeur à Nantes. Musée de Bretagne. 5 ■ KAIER AR POHER N°69 - Juin 2020 Le texte de ce « Dialogue » où Guiclan ne figure pas comme auteur, mais comme acteur, est structuré comme suit, selon l’analyse publiée par R. Largillière dans les Annales de Bretagne ( tome 38, 1929 ) : • Vie de Gwynglaff, être à demi sauvage, n’ayant d’autre abri que les arbres des forêts dans lesquelles il errait couvert d’une cape rousse. Il connaissait l’avenir. Ce thème de l’homme sauvage est aussi uploads/Litterature/ 02-prophetes-de-basse-bretagne-k69-test2.pdf

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