Orientation lacanienne III, 8. Jacques-Alain Miller Première séance du Cours (m

Orientation lacanienne III, 8. Jacques-Alain Miller Première séance du Cours (mercredi 9 septembre 2005) I Nous revoilà donc pour une nouvelle de nos années studieuses. Je me suis trouvé ce dimanche, ailleurs, présenter une petite articulation que je vais vous reproduire au tableau. Je l'ai réduite au plus simple, vu le temps dont je disposais et le plus simple s'est trouvé être une succession d'oppositions binaires dont j'ai dit qu'elles avaient à se superposer et que me manquait pour se faire la compagnie du tableau noir, que je retrouve ici, à sa place, et donc je vais l’utiliser pour inscrire au moins ce petit repère qui pourra nous resservir. Symptôme Sinthome vérité jouissanc désir pulsion tuché automato manque trou manque-à-être être sujet parlêtre fantasme corps J'opposais le symptôme au sinthome, je répercutais cette opposition sur vérité et jouissance, dans la mesure où le symptôme, le sinthome qu'a choisi Lacan pour introduire ce terme se prête à tout sauf à un déchiffrement de vérité. Personne n’a l’idée de déchiffrer dans ces termes ce qui a pris forme d’œuvre d'art dans Finnigans Wake, par exemple. Cette dichotomie, je la retrouvais dans l’usage que nous avons des termes freudo-lacaniens, en opposant désir et pulsion. Là aussi, si on se repère sur l'opération de déchiffrement, cette opération a un sens concernant le désir et donc c e n'est pas un terme qu'on met en jeu quand il s’agit de saisir ou d’apprendre quelque chose de la pulsion. Je crois qu'on peut même mettre ici un couple dont je n’avais pas parlé, l’automaton – c’est plutôt le contraire - au fond on veut se servir de l'opposition que Lacan a introduite dans son Séminaire XI, c’est plus près d’ici qu’il est question de rencontres, que ici. C'est bien ce qui nous fait difficulté à lire Finnigans Wake ; il faut vraiment y mettre beaucoup de sien pour qu'une rencontre se produise et qui détraque l’automaton que j'ai indiqué ici. J'ai encore aligné le manque et le trou, le manque de signifiant, d'un signifiant, à la différence du trou central des ronds de ficelle, par exemple. J’y ajoutais le manque-à-être, qui définit le sujet lacanien, je l'opposais à l’être du sinthome et j’y récupérais cette opposition pour montrer qu'elle vaut entre sujet, sujet du manque-à-être et le parlêtre, introduit par le dernier Lacan. Au fond, le sujet, quand nous l'utilisons, c'est une fonction ponctuelle et évanouissante, c'est une position qui n'implique aucun être sinon sa défalcation si je puis dire, alors que le parlêtre dispose d’une assise bien plus importante et j’essayerai de … tout à l'heure, j'ajouterai à mon … l'opposition entre le fantasme et le corps, surtout parce que l'usage que nous faisons du fantasme nous barre pendant tout un temps les … du terme de corps, de son instance. Eh bien, ce petit tableau, si on voulait ici durcir ces oppositions - dans le texte de Lacan elles se nouent de façon plus subtile - si nous voulions durcir ces oppositions, nous pourrions dire que nous voyons … surgir une autre psychanalyse que celle que nous connaissons et sur laquelle nous nous J.-A. MILLER, - Orientation Lacanienne III,8 - Cours n°1 - 9/11/2005 - 2 repérons. Une psychanalyse en partie double, et pourquoi ne pas aller jusque-là, deux Lacan, par un effet de diplopie. Dimanche, cet effet, je l'ai assigné à un effort de Lacan pour penser ce qu'il y a d'impensé dans son propre discours. Il nous est familier de repérer et de nous ébaubir de la continuité des Séminaires de Lacan qui remettent en question tel ou tel élément pour ouvrir une nouvelle voie, eh bien ça va jusqu'à ce qu'on puisse dire qu'il n'a pas voulu laisser aux autres, aux lecteurs, le soin de le - entre guillemets – « dépasser » et que dans chaque Séminaire, il se dépasse lui-même : besoin de personne pour ce faire. Cet effort pour penser son impensé, pour le prendre à son compte, le fait passer lui-même à l'envers de son propre enseignement. Et de rire du vain effort de déchiffrer en termes de vérité le sinthome ou de ne penser que manque là où il y a trou et de ne se référer au sujet que là où il faut manier une catégorie plus lourde, plus consistante que le sujet. À vrai dire la dichotomie du sujet du parlêtre est féconde, elle serait féconde à nous montrer des différences, certainement essentielles ; ce qui m'a retenu une fois que j'ai eu prononcé ça ce dimanche, c’est que j'ai trouvé ça, cette idée là, de deux Lacan, je l'ai trouvé très borgésienne, de Borges. Et ça m’a fait relire le conte qui ouvre le recueil de fictions, ce conte, qui s'appelle « Tlön, Uqbar, Orbus Tertius », et j'ai trouvé ce pourquoi j'avais eu dimanche soir l'envie de lire ce conte : c’est qu'on y trouve la description d’une bibliothèque, des livres qui circulent dans un espace créé par une conspiration, un espace imaginaire créé par une conspiration et qui, petit à petit, infiltre la réalité ordinaire. De ces livres imaginaires, il est dit : « Les livres de nature philosophique contiennent invariablement la thèse et la contre thèse et le pour et contre rigoureux d'une doctrine. » La phrase qui vient après, je vous la dirais en espagnol, avant de la traduire : « Un libro que no en sierra su contra-libro es considerado incompleto. » « Un livre qui ne contient pas son contre-livre est considéré comme incomplet. » J'ai retrouvé là l’énoncé, enfin, que je cherchais, et que, au fond, l'enseignement de Lacan est si complet qu'il inclut le contre-enseignement. Il n'a laissé à personne la charge de diffuser son contre-enseignement. Il se pourrait que, pourquoi pas ? Cet enseignement ait lui-même la structure d'un conte. Là, je me suis référé à un petit texte que je me suis promis de traduire un jour, je crois pouvoir le faire puisque j'en ai rencontré l'auteur, qui est aussi argentin, comme Borges, et qui s'appelle Piglia, Ricardo Piglia. Piglia Et qui nous donne une thèse, même plusieurs thèses, sur le conte. Il isole ça - tout ça tient en très peu de pages - il isole ça comme thèse, qu’un paradoxe est toujours au centre d'un conte ou d'une nouvelle. Et que, pour qu’il soit opérant, pour que cette pièce de littérature soit opérante l’intrigue est toujours paradoxale. Le paradoxe, ce serait ici que Lacan, le même qui a fait l'éloge de la parole comme constitutive du sujet en vienne à la disqualifier comme une parlotte du parlêtre. De la fonction de la parole exaltée à la parlotte au contraire dépréciée. L'exemple de Piglia il va le pêcher dans les carnets de Tchekhov, supposant qu'il y a là le noyau d'un conte. Voilà la note : « Un homme à Monte-Carlo. Il va au casino, gagne un million, rentre chez lui, se suicide. » Alors, si c'est là le noyau d'un conte, pour le raconter il faut scinder en deux l'histoire tordue. D'un côté l'histoire du jeu, de l'autre celle du suicide. D'où la première thèse de Piglia qu'un conte a toujours un caractère double et raconte toujours deux histoires à la fois. D'où l'opportunité de distinguer l'histoire qui vient au premier plan et puis l'histoire numéro deux, qui est chiffrée dans les J.-A. MILLER, - Orientation Lacanienne III,8 - Cours n°1 - 9/11/2005 - 3 interstices de l'histoire numéro un. Et à cette fin, on constate que seulement quand se conclut l'histoire, le conte, l'histoire numéro deux apparaît et c'est alors l'effet de surprise. Ce qui lie ces deux histoires, c’est que les éléments, les événements, les mêmes, s'inscrivent pourtant dans deux registres narratifs qui sont à la fois distincts, simultanés et antagonistes. Et la construction même du conte est bâtie sur les points de croisement entre les deux histoires. Avec des inversions telles que ce qui est superflu dans la chaîne de l'histoire numéro un devient au contraire essentiel dans la trame de l'histoire numéro deux. D’où le problème technique : comment raconter une histoire pendant qu’on en raconte une autre ? Et d’où la thèse numéro deux : l'histoire secrète est la clé de la forme du conte. Il n'y a pas de doute que ce regard littéraire est évidemment informé de la psychanalyse, il y a là tous les échos possibles de « Fonction et champ de la parole et du langage. » Il y a, disons, une forme moderne du conte qui transforme cette structure en omettant la surprise finale et en laissant s’enfermer la structure de l'histoire qui laisse là le tracé d'un récit et ainsi la tension des deux histoires ne se résout jamais. C'est ça qu'on considère comme proprement moderne. C'est la soustraction du point de capiton final, qui laisse les deux histoires se poursuivre en tension et précisément dans une tension qui ne se résout jamais. C'est par exemple le cas, dit-il, chez Hemingway qui pousse à son comble l'art de l'ellipse, de uploads/Litterature/ 1-9nov2005.pdf

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