1/11 Le précurseur Ou la sédition à 12 ans Brahim OUCHELH Paris, le 10 mai 2010
1/11 Le précurseur Ou la sédition à 12 ans Brahim OUCHELH Paris, le 10 mai 2010 2/11 CHAPITRE 1 Souvenirs d’enfance Le jeudi noir. Mon père écoutait d’un air grave son ami. Si Allal lui chuchotait dans l’oreille des propos qui ne devaient pas être réjouissants. -Ramasse l’achalandage du dehors, nous lança-t-il, on ferme le magasin. L’ordre était sans appel, Mais pourquoi donc allions nous fermer en ce début d’après midi, un jeudi jour du souk de Salé où nous réalisions la moitié du chiffre d’affaire hebdomadaire? Les autres commerçants de la rue se précipitèrent vers mon père, à la fois ahuris et anxieux. -« le méchouar (palais royal) est assiégé par des blindés et des cavaliers hostiles, », la France porte atteinte au Sultan. C’était le 20 août 1953. L’instit indigne : M’sieu Abbas arpentait en long et en large l’estrade. Il ouvrit la porte de la salle de classe, jeta à plusieurs reprises des coups d’œil à l’extérieur. Nous ne comprenions pas son manège. Il se décida et s’adressa à nous à voix haute : - « Demain, vous mettrez vos meilleurs habits pour venir en classe ».Il se ravisa, sorti dans le couloir et revint pour chuchoter : « que chacun s’habille comme il l’entend ». Je fis part de ces faits à mon père qui resta intrigué; « Tu n’iras pas à l’école demain ». Il se ravisa peu après, l’école lui tenait trop à cœur pour m’en priver même pour un jour. Le lendemain Monsieur Esteve, le directeur, vint nous chercher en personne. Tous les élèves durent se mettre deux par deux et nous nous dirigeâmes vers la Place Bab Bouhajja située devant le siège du Pacha de la ville. Des Mokhaznis nous distribuèrent des drapeaux bleu blanc rouge, mais il n’y en avait pas assez pour tout le monde. Soudain une musique de fanfare militaire retentit, un convoi de voiture s’arrêta au milieu de la place. Un homme habillé en militaire descendit de voiture. Nous étions en train de souhaiter la bienvenue au Général Guillaume, le résident général de France, futur bête noire de tous les Marocains. De retour à la maison, mon père fut ahuri par mon récit. Il en voulait à M’sieur Abbes Seffar, mais surtout, il s’en prenait à lui-même. Son hésitation à m’envoyer à l’école était bien fondée, d’autant qu’à l’époque et ce depuis 1945 il était déjà un partisan actif du Parti de l’Istiqlal. Il avait d’ailleurs failli perde la vie dans cette même place lors des émeutes du 11 janvier 1944. C’était en 1952 en cours préparatoire de « l’école des fils de notables de Salé ». Le légionnaire Ce jour là les magasins étaient fermés, c’était jour de grève. Mon frère Abdelhouahad et moi-même étions libres de la corvée du magasin où nous devions aider notre père durant les vacances d’été. Nous déambulions dans la médina apparemment inerte, mais au coin dune ruelle nous croisâmes un cortège de quelques centaines de personnes visiblement en colère qui criaient : « Ben Youssef ila archih » : (BEN Youssef sur son trône). Nous rejoignîmes le cortège. 3/11 A Bab el Khemis les manifestants stoppèrent net, quant à moi je continuai d’avancer tête baissée. Abdelhouahad me tira brutalement par la chemise : « prend garde! » cria-t-il. En face de nous, un légionnaire, en tenue de combat, se tenait à plat ventre derrière une mitrailleuse. N’tkhattar , on parie qu’il va tirer me lança Abdelouahad toujours aussi provocateur. Les manifestants se retirèrent dans la Médina sans qu’il y eu d’incident. C’était lors des journées du 20 août 1955, anniversaire de l’exil du futur Mohammed V. Les terrifiantes dictées. Cette année là, j’étais en cours moyen 1°année, et j’avais comme institutrice Madame Lheureux. Elle était l’épouse d’un policier corse. Leur vie à Salé en cette période où la résistance prenait pour cibles les Français en uniformes ne devait pas être de toute gaité. Était-ce la cause de son agressivité? Toujours est- il que cette dame de fer manipulait avec dextérité sa grande règle métallique. Cet instrument, pédagogique devenait entre ses doigts un instrument de torture, il s’abattait sur ma tête chaque fois que je trébuchais en dictée. Les exercices d’orthographe devinrent mon cauchemar à un point tel que je me souviens encore avec délice, du texte de Gérôme et Jean Tarault qui m’a valu un zéro habituel mais seulement avec cinq fautes. Malgré mes performances en calcul madame Lheureux me fit redoubler cette classe. Chapitre 2 : Un instituteur pas comme les autres À quelque chose, malheur est bon L’année d’après, étant redoublant j’assumai cet affront avec un sentiment d’injustice. Je me retrouvai dans une classe prise en main par un compatriote : Monsieur Bekkari. Il nous paraissait de grande taille et d’allure filiforme, toujours habillé avec distinction : le costume cravate était de rigueur. Très vite, M’sieu Bekkari devint un personnage intriguant : il avait un moyen de locomotion peu commun : une vespa, et son langage était différent. Il parlait de sport, de jeux olympiques, de natation et de course à pied. Il nous surprit un jour en ramenant en classe un poste de radio qui ne ressemblait pas aux caisses encombrantes que nous avions à nos domiciles. Il nous fit ainsi découvrir le poste transistor, encore volumineux certes, mais fonctionnant sans fil et avec une autonomie évidente. La première audace de Bekkari Abdallah Bekkari introduisit certaines pratiques pédagogiques peu communes dans notre école. Je fus choisi parmi un groupe d’une dizaine d’élèves pour recevoir des cours supplémentaires. Bekkari nous donnait rendez vous au lieu de la prière de l Aïd, Lamsallah situé au cimetière proche. pour des cours qui ne sont pas de rattrapage mais d’une mise à niveau. Des cours de: français, de calcul et même des cours d’arabe, empiétant ainsi sur les prérogatives de notre instituteur d’Arabe attitré. À la fin de l’année il nous présenta un an avant terme à l’examen du certificat d’étude. Cette opération échoua, car certains élèves, furieux de cette discrimination avertirent Monsieur Estève, le directeur qui s’y opposa. 4/11 Monsieur Bekkari ne se considéra pas vaincu. En fin d’année, il obtint de reconduire cette classe pour le niveau supérieur... Chapitre 3 L’Atomic classe C’était un premier octobre. En cette période là, les vacances d’été duraient inlassablement du 30 juin au 1er octobre. Cette fois-ci, nous n’avions pas, comme à chaque rentrée, l’angoisse de savoir qui serait notre instituteur principal. Nous savions que c’était lui, Abdallah Bekkari. Le directeur, Monsieur Estève lui avait accordé le privilège de garder ses élèves le l’année précédente, mais il avait pris soin d’éliminer les grands gaillards de fond de classe, ceux qui persévéraient à venir à l’école pour tenter de décrocher le certificat d’étude, ce sésame qui permettait d’être gendarme flic, ou autre fonctionnaire, œuvrant dans les nouveaux corps constitués du Maroc indépendant. Dès les premières formalités d’appel, Monsieur Bekkari nous fit un discours solennel : « Cette classe sera à nous tous et rien qu’à nous. Nous allons y vivre pendant un an et nous allons en faire un espace agréable. Ce sera notre univers, nous allons la décorer mais surtout nous allons nous charger de sa propreté et de son entretien. SI Zaouïa l’homme à tout faire de l’école n’aura plus à y intervenir. » Monsieur Bekkari y mit les moyens. Le plafond fut transformé en voie lactée avec des étoiles et un hélicoptère qui pendait avec un fil de pécheur, invisible et résistant. Les murs furent garnis de diverses ornementations. Quant au devant de la classe le décor dévoilait les intentions de Monsieur Bekkari : « l’Atomic classe ». Telle fut l’intitulé de la classe inscrit en grand au dessus du tableau. Nous ne doutions pas que Monsieur Bekkari allait nous propulser dans un autre monde. Le monde de la modernité. Au dessus du tableau prenait place l’inéluctable portrait de Mohammed V, d’autant plus solennel que nous avions tous à jamais, été marqués par son retour d’exil, qui eu lieu quelques mois à peine de la rentrée scolaire. Ce portrait du père de la nation cachait aussi l’emblème du pacte que nous allions tous établir avec M. Bekkari: la boule rouge. La convention La préparation de la salle de classe, n’était que le prélude au pacte que nous proposait M. Bekkari. a) La boule rouge : Elle en était l’élément matériel primordial; pour le reste, il s’agissait d’un code de bonne conduite, et d’une échelle de valeurs à laquelle nous devions tous adhérer. La boule rouge était reliée par un autre fil de pêcheur au bureau de l’instituteur. Lorsqu’il tirait le fil, la boule rouge apparaissait et nous devions immédiatement observer un silence total. Si l’un de nous, et c’est arrivé une fois, se hasardait à transgresser cette règle, il devait en subir les conséquences, et une punition brutale s’abattait sur lui. La boule rouge n’a été utilisée de fait que trois ou quatre fois dont deux pour en vérifier l’efficacité. Le reste du temps, le dialogue pouvait s’établir en toute liberté dans uploads/Litterature/ 1-brahim-ouchelh.pdf
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- Publié le Jui 08, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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