THÉÂTRE ET TÉLÉOLOGIE CATHARTIQUE ou LET’S CUT OFF OUR NOSES TO SPITE GOD’S FAC

THÉÂTRE ET TÉLÉOLOGIE CATHARTIQUE ou LET’S CUT OFF OUR NOSES TO SPITE GOD’S FACE Dr Jacques COULARDEAU Université Paris-Dauphine C’est un long voyage au cœur des arts de la scène que nous allons faire à travers dix siècles d’histoire. Tous nos arts poussent leurs racines dans un héritage judéo-chrétien fort ancien, sans parler de la mythologie grecque. L’histoire des dix derniers siècles d’arts dramatiques est marquée par un long parcours progressif d’une acceptation de la téléologie judéo-chrétienne à sa négation absolue au profit d’une téléologie « humaniste » dont la forme ultime est le scientisme naturaliste ou social de Darwin et Marx (et surtout de leurs continuateurs). Depuis une dizaine d’années, sans que jamais la téléologie judéo-chrétienne ne disparaisse complètement, on voit les téléologies scientistes atteindre l’extrême fin de leur développement et laisser la voie à la recherche et l’expression de téléologies plus ou moins imaginaires qui retrouvent les téléologies anciennes ou récupèrent les modèles de celles-ci. Malraux, qui avait vécu la montée progressive des téléologies scientistes, avait bien senti le vide que celles-ci créaient et le manque que les hommes allaient tôt ou tard ressentir. C’est tout le sens de sa déclaration sibylline que le 21ème siècle sera le siècle des religions. Disons d’emblée que l’homme (dès le 19ème siècle au moins), face à la montée des scientismes, a imaginé la science fiction qui permettait de pousser ces scientismes jusqu’à l’absurde. C’est là le sens de H.G. Wells et de Jules Verne. Plus tard ce monde de la science fiction se peuple d’êtres venus d’ailleurs et réduit ainsi le monde humain à un pion sur un échiquier. Cet imaginaire de la science fiction, de l’horreur ou du fantastique, de Fritz Lang à Stephen King (et bien d’autres encore) a entretenu pendant tout ce temps une téléologie non scientiste, non scientifique même, non objective le plus souvent, répondant ainsi au besoin de téléologie non contrôlable et non rationnelle de l’homme. Nous vivons aujourd’hui les prémisses du siècle des religions. Nous allons ainsi parcourir environ vingt-cinq siècles d’histoire humaine occidentale. Nous partirons des bases judéo-chrétiennes de la Bible, Ancien et Nouveau Testament, pour planter le décor. Puis nous passerons au théâtre (même si certains considèrent que la Bible est une mise en scène, sans jeu de mot sur ce dernier item lexical). Le Moyen Âge nous offrira des illustrations de la première phase d’une référence biblique triomphante. Puis les temps baroques nous montreront comment une distanciation progressivement se construit avec une référence à la nature et à la psychologie des personnages. Ensuite nous regarderons de prêt le révélateur « FAUST » de Marlowe à Gounod. Nous y verrons Dieu en train de mourir avant même la notice nécrologique de Hegel écrite en lettres d’or à la cheminée de la philosophie, sans parler de celle de Marx gravée dans le marbre de la stèle funéraire et mortifère de la lutte des classes comme explication finale et absolue du monde. Puis nous suivrons cette mort de Dieu chez le Juif (et cela est capital) Gustav Mahler et le Slave Igor Stravinsky (associé à Jean Cocteau). Nous déboucherons alors sur l’ère du cinéma et sur un monde qui n’a plus de Dieu, mais qui pourtant recherche une téléologie qu’il construit de toutes pièces, avec parfois le vieux modèle de la Genèse au fond des yeux. Et ce cinéma est le livre sacré des auditoires les plus larges qui sont formés, informés et même déformés ou conformés par ces images colorées et animées qu’on leur projette à longueur de journée, et de nuit, sur toutes sortes d’écran. Nous finirons ce voyage avec deux métaphores dramatiques. D’une part Good Bye Lenin, la métaphore de la disparition de la téléologie communiste, marxiste ou stalinienne, comme on veut. D’autre part La Passion du Christ de Mel Gibson, la métaphore du retour en force du modèle téléologique christique. Or ce sont là deux films dont le succès dépasse et de loin les auditoires directement concernés. Notre conclusion essaiera de répondre à la question suivante : Pourquoi des dizaines de millions de femmes et d’hommes de tout âge se précipitent-ils pour voir ces films alors qu’ils ne se définiraient en rien comme communistes ou chrétiens ? Je tiens à faire une dernière remarque avant de commencer. J’essaierai, dans toute la mesure du possible, de ne pas reprendre des œuvres que j’ai déjà utilisées dans des articles précédents, et à défaut de pouvoir remplir cette condition, je prendrai ces œuvres déjà utilisées sous un angle et un éclairage j’espère totalement nouveaux. Ceci implique que je risque fort de faire des raccourcis dans mon parcours, raccourcis Jacques COULARDEAU 1 qui ne peuvent être compris et mis en perspective que dans la mesure où les analyses antérieures sont prises en considération. Cet article est donc la poursuite d’un travail de recherche fondamentale et globale sur la sémiologie dramatique et sur la catharsis portée par les arts de la scène, plus généralement par l’imaginaire. Je renvoie donc mes lecteurs à ces articles antérieurs. I./ LES BASES DE NOTRE CIVILISATION JUDÉO-CHRÉTIENNE : LA CONSTRUCTION DE LA TELEOLOGIE JUDEO-CHRETIENNE. a- La Genèse Ce livre de l’Ancien Testament pose une vision téléologique totale, avec en plus une mise en scène et une mise en dialogue qui en font un archétype de la vision dramatique des hommes, une vision qui ne pose pas le néant au début de la création, une création qui ne se fait pas ex nihilo : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l’abîme et un vent de Dieu agitait la surface des eaux. » (Genèse, 1:1) Cette notion de création ex nihilo n’apparaît que dans le deuxième livre des Macchabées (7:28). La cosmogonie du premier chapitre est construite selon une hiérarchie qui va du plus large ou général au plus petit et particulier, hiérarchie qui est inversée en ce qui concerne la valeur des choses, la dignité des éléments créés : ciel, terre et lumière ; firmament ; terre, mers, verdure, herbes, arbres ; soleil, lune, jour et nuit ; poissons et oiseaux ; bestiaux, bestioles, bêtes sauvages, l’homme et la femme. Cette hiérarchie montante pose un soubassement matériel ternaire : air, terre, eau, qui dicte la nature des êtres vivants animés créés ensuite selon une hiérarchie anthropocentrique : poissons, oiseaux, bestiaux, bestioles, bêtes sauvages, homme et femme. Remarquons d’emblée que cette hiérarchie qui pose la femme comme postérieure à l’homme et on le sait comme faite à partir d’un morceau de l’homme, pose cependant la femme comme l’élément ultime, donc dominant, la couronne de la création, la cerise sur le gâteau, selon les valeurs que l’on peut donner à cette touche finale. Mais page 41, note a, la Bible de Jérusalem va un peu plus loin dans le positionnement second de la femme : « L’hébreu joue sur les mots ‘ishsha pour « femme » et ‘ish pour « homme » », faisant du mot « femme » le dérivé du mot « homme ». (Cela rappelle le Ragnarok de la mythologie nordique qui fait l’inverse : le mot pour « homme » est dérivé du mot pour « femme », comme je l’ai montré dans mon étude pour Duels en scène n°2, 2004 : la tradition biblique fait de la femme l’élément second.) On peut alors se demander si le « péché originel » qui vient de la femme ultérieurement n’est pas le crime suprême car il porte le renversement absolu de la hiérarchie de cette création. C’est le sommet qui « trahit » et non pas un être qu’on pourrait considérer comme secondaire dans cet ordre hiérarchique. Mais tout le premier chapitre est écrit dans un style qui utilise trois discours distincts en ce qui concerne le Créateur. D’abord un discours du récit en tant que tel, au passé simple dans la Bible de Jérusalem, et c’est ce récit qui contient une fonction discursive de Dieu, celle de nomination qui consiste à donner des noms aux choses, mais une nomination généraliste. Dieu nomme les grands éléments de cette création. C’est l’homme qui recevra la mission dans le deuxième chapitre (2:19) de nommer toutes les créatures du monde. Cette fonction est donc limitée dans ce premier chapitre. Notons d’ailleurs que ce premier chapitre ne parle que de Dieu, alors que le deuxième chapitre met en scène Yahvé Dieu. Cet élément montre que les deux chapitres n’ont pas la même valeur dramatique (en plus de ne pas relever de la même période historique d’écriture si on en croit la Bible de Jérusalem du fait justement de ce nom de Dieu dans le deuxième chapitre, à partir du verset 4, deuxième chapitre qui donne un deuxième récit de la création). Ensuite un discours illocutionnaire performatif au subjonctif en français : « Dieu dit : ‘Que la lumière soit’ » renforcé par les suites systématiques en discours de récit qui entérine la réalisation de cette illocution performative : « et la lumière fut. » (1:3). Ce discours disparaît complètement dans le uploads/Litterature/ th-monde-n015.pdf

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