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Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 2013 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 12 juil. 2022 14:55 Études françaises Deux nouveaux mystiques : le sacré selon Bataille et Sartre Serge Zenkine Volume 49, numéro 2, 2013 Jean-Paul Sartre, la littérature en partage URI : https://id.erudit.org/iderudit/1019491ar DOI : https://doi.org/10.7202/1019491ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l’Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Zenkine, S. (2013). Deux nouveaux mystiques : le sacré selon Bataille et Sartre. Études françaises, 49(2), 47–58. https://doi.org/10.7202/1019491ar Résumé de l'article Les relations littéraires entre Jean-Paul Sartre et Georges Bataille, y compris l’article de Sartre sur L’expérience intérieure de Bataille (1943), montrent leurs convergences et divergences sur la question du sacré non-religieux. Sensibles aux expériences extatiques, ils interprètent différemment la connaissance, l’expérience et l’écriture du sacré. Sartre, en critiquant Bataille, cherche à distinguer deux attitudes intellectuelles devant le sacré, intérieure (existentialiste) et extérieure (scientiste) ; Bataille les tient pour inséparables. Sartre, dans ses oeuvres littéraires et philosophiques, isole deux aspects affectifs du sacré (le bonheur et l’angoisse), en les relatant dans différents textes ou dans différents passages d’un texte ; Bataille au contraire les réunit, montrant l’ambiguïté du sacré. Sartre parle du sacré dans des récits bien bâtis ou dans des traités systématiques, tandis que Bataille emploie une écriture fragmentaire, un « sacrifice des mots ». Si le premier traite le sacré théoriquement, à distance, le second le fait pratiquement, se plaçant au coeur de l’absolument autre. Deux nouveaux mystiques : le sacré selon Bataille et Sartre Les rapports entre Georges Bataille et Jean-Paul Sartre, y compris le long article de celui-ci, « Un nouveau mystique » (1943), sur L’expérience intérieure (1943) de celui-là, sont un sujet souvent traité dans la critique. Il suffit de citer le numéro spécial « Sartre — Bataille » de la revue Lignes1, et les articles importants de Jean-Michel Heimonet2 et de Jean-François Louette3, sans compter les analyses contenues dans des ouvrages de portée plus générale. Néanmoins, l’étude des conceptions théoriques et des emplois littéraires du sacré non religieux chez les deux auteurs reste encore à faire. C’est l’enjeu du présent texte, qui distinguera trois aspects du problème : la connaissance du sacré, l’expérience du sacré et l’écriture du sacré. La connaissance du sacré Dans L’expérience intérieure, Bataille a entrepris la description d’une expérience mystique (malgré toutes ses réserves quant à l’emploi de ce dernier terme)4. Sartre avait donc raison de le traiter de « nouveau 1. Lignes 01, nouvelle série, mars 2000. 2. Jean-Michel Heimonet, « Bataille and Sartre : The modernity of mysticism », Dia­ critics, vol. 26, no 2, 1996, p. 59-73. 3. Jean-François Louette, « Existence, dépense : Bataille, Sartre », Les Temps modernes, no 602, 1998, p. 16-36. 4. Les mots expérience mystique se retrouvent plus souvent, et sans réserves d’auteur, dans le livre précédent de Bataille, Le coupable, qui fait partie du même cycle, La somme athéologique. Mais ce dernier livre, bien que rédigé avant L’expérience intérieure, restait inédit en 1943 et ne parut que l’année suivante. serge zenkine 48 tudes franaises • 49, 2 mystique », de quelqu’un qui relatait et expliquait ses contacts avec le sacré, la mystique étant la fréquentation du tout autre, c’est-à-dire du sacré. Sans nier l’authenticité d’une « expérience indéniable5 » vécue par l’auteur, Sartre s’en prend à l’explication de cette expérience : Bataille aurait bien rencontré le sacré, mais il aurait manqué de culture intellec- tuelle pour l’expliquer. La critique est sérieuse, même si l’on se souvient que, selon Bataille, l’expérience intérieure aboutit à un « non-savoir », et par conséquent ne peut pas être traduite en termes cognitifs d’une façon adéquate. Il a parlé, il a tenté de faire cette traduction, il prétend révéler « un champ de coïncidences entre les données d’une connaissance émo- tionnelle commune et rigoureuse et celles de la connaissance discursive6 » ; de cette connaissance, il doit assumer la responsabilité. Sartre détecte chez Bataille une confusion de deux méthodes, deux approches, « deux attitudes d’esprit distinctes qui coexistent chez lui sans qu’il s’en doute et qui se nuisent l’une à l’autre : l’attitude existen- tialiste et ce que je nommerai, faute de mieux, l’attitude scientiste7 ». Autrement dit, ce sont les attitudes interne et externe : l’une subjective, concentrée sur le vécu d’un sujet unique, focalisée sur son « point de vue », l’autre objective et impersonnelle, traitant le même sujet comme un individu parmi d’autres. On ne suivra pas ici tous les arguments allégués par Sartre à l’appui de sa critique. On peut juger de leur bien-fondé non seulement par l’analyse détaillée des textes, mais aussi par les réactions de l’auteur de L’expérience intérieure à la critique sartrienne. Il y a réagi deux fois, la première fois explicitement et la seconde fois implicitement, sans nommer son adversaire. La première réaction, bien connue, est une « Réponse à Jean-Paul Sartre (Défense de L’expérience intérieure) », pla- cée en appendice dans le livre suivant de Bataille, Sur Nietzsche (1945)8. Dans cette défense de son ouvrage, Bataille cite abondamment l’article de Sartre, mais ne fait aucune mention du reproche de confusion entre deux attitudes d’esprit. Au lieu de répondre à cette observation (de même qu’à d’autres faites par Sartre), il avance une objection d’ordre plus général, désarmant toute critique logique et conceptuelle : sa 5. Jean-Paul Sartre, « Un nouveau mystique », dans Critiques littéraires (Situations, I), Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1975 [1947], p. 227. 6. Georges Bataille, L’expérience intérieure, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1973, tome V , p. 11. Dorénavant désigné à l’aide des lettres OC, suivies du tome et du numéro de la page. 7. Jean-Paul Sartre, op. cit., p. 191. 8. Voir OC, tome VI, p. 194-202. 49 deux nouveaux mystiques : le sacré selon bataille et sartre pensée, dit-il, est trop rapide, à l’instar de l’expérience même dont elle rend compte : Ce que dans L’expérience intérieure j’essayai de décrire est ce mouvement qui, perdant toute possibilité d’arrêt, tombe facilement sous le coup d’une critique qui croit l’arrêter du dehors puisque la critique, elle, n’est pas prise dans le mouvement9. On le voit, la thématique du mouvement est accompagnée de celle du dehors/dedans, et l’auteur de L’expérience intérieure s’oppose à son détracteur comme quelqu’un qui est dans le mouvement à celui qui tente d’« arrêter du dehors » ce même mouvement. Il reprend à son compte et réinterprète l’opposition sartrienne pour se défendre. Un an plus tard, cette opposition s’explicite dans un autre texte de Bataille, faisant partie de l’un des premiers numéros de Critique, « Le sens moral de la sociologie » (1946). C’est le compte rendu d’un livre du sociologue Jules Monnerot, Les faits sociaux ne sont pas des choses10. Monnerot avait été l’un des compagnons de Bataille dans l’aventure du Collège de sociologie, en 1937 (peut-être était-il même l’un des fonda- teurs du collège, bientôt retiré du projet), et Bataille commence son compte rendu par des souvenirs personnels de la « génération » à laquelle ils appartiennent tous les deux : dès le début il adopte une perspective intérieure, « participante ». De tous les problèmes considé- rés par Monnerot, il met en valeur celui du sacré, ou plus générale- ment de « l’hétérogène » — une catégorie que le sociologue semblait avoir empruntée à Bataille même, à son article « La structure psycho- logique du fascisme » (1934-1935). D’accord avec Monnerot, Bataille postule la nécessité d’un regard intérieur sur les phénomènes relevant de cette catégorie-là. L’hétérogène, dit-il, n’est pas comme le sacré principalement déterminé du dehors (ainsi par une observation de l’ethnologue semblable à celle du biologue guettant l’insecte), mais de façon générale du dedans et du dehors, quand il s’agit de réactions que nous-mêmes vivons. Et c’est le mérite — et l’intention domi- nante — de Monnerot de nous montrer que les faits sociaux ne peuvent pas être envisagés comme des choses11. 9. Ibid., p. 199. 10. Jules Monnerot, Les faits sociaux ne sont pas des choses, Paris, Gallimard, coll. « Les essais », 1946. 11. OC, tome XI, p. 60. Le mot « sacré » relève ici de la terminologie sociologique, en renvoyant aux phénomènes de comportement observables du dehors. Cette notion ne comprend donc pas l’expérience intérieure : un exemple parmi d’autres du flottement terminologique chez Bataille. 50 tudes franaises • 49, 2 Dans une société, explique Bataille, ne sont pas hétérogènes que des personnages observés à distance par le sociologue — « l’homme des bas-fonds », le forçat ou la prostituée —, ce sont également le poète uploads/Litterature/ 1019491ar-pdf 1 .pdf

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