Emmanuelle Goulard - IEN Lettres Histoire- mai 2020. 1 QUELS USAGES PEDAGOGIQUE

Emmanuelle Goulard - IEN Lettres Histoire- mai 2020. 1 QUELS USAGES PEDAGOGIQUES DE L’AUDIO-LIVRE EN COURS DE FRANÇAIS, AU LYCEE PROFESSIONNEL ? L’AUDIO LIVRE, ENTRE PREJUGES ET VERTUS PEDAGOGIQUES SOUS ESTIMEES. Présent dans les médiathèques, en vogue chez les éditeurs, objet d’événements culturels, en pointe dans les milieux associatifs, l’audio-livre se montre pourtant encore timidement dans les salles de classe. L’incitation à lire, à faire lire les élèves ne rencontre pas chez les enseignants l’engouement social que connait cet objet qui s’est subrepticement introduit dans le monde de la lecture. Suspicion d’illégitimité littéraire ? De béquille scolaire pour contourner le texte ? D’outil exclusivement destiné aux malvoyants, analphabètes ou dyslexiques ? S’agit-il plus simplement de manque de pistes pédagogiques ? De réticences à inciter les jeunes à utiliser encore davantage leur smartphone et passer leur casque ? L’idée commune qu’écouter une histoire n’est pas lire s’est-elle répandue insidieusement ? Que le papier vaudra toujours mieux que le numérique ? A moins que l’audio-livre ne soit perçu comme un pis-aller pour les gens pressés qui prennent les transports en commun, font du jogging et ne peuvent se poser pour lire un « vrai livre » ? Et si, à l’inverse, l’audio-livre était considéré, au-delà du gain bien réel de temps, de mobilité et d’encombrement qu’il offre, comme un support pédagogique apte à développer les compétences de lecture des lecteurs fragiles mais aussi experts ? S’il renouait avec le plaisir de l’enfance d’écouter des histoires ou le plaisir séculaire qu’offraient les aèdes et les conteurs , mais, quelques années ou siècles plus tard, avec de surcroit la possibilité de se constituer une culture littéraire, de fréquenter des textes d’auteurs, de rentrer en littérature pour reprendre cette curieuse expression ? Et si la lecture orale incitait à aller vers le texte, ou l ’inverse le texte à aller vers sa lecture orale, ou si encore le panachage des deux permettait de venir à bout d’une œuvre intégrale un peu longue et difficile pour les élèves ? Et si certains audio-livres étaient d’authentiques créations littéraires et artistiques grâce aux grands acteurs qui leur prêtent leur voix et aux mises en scènes sonores très élaborées qui les accompagnent parfois ? Et si, et si… Emmanuelle Goulard - IEN Lettres Histoire- mai 2020. 2 …Et si, finalement, écouter ou produire des audio-livres possédaient des vertus pédagogiques…  Lesquelles ?  Comment les explorer ? C’est à ces deux questions que tentera de répondre cette réflexion, en évacuant d’emblée les considérations techniques. Il suffit en effet d’un smartphone équipé d’un lecteur de fichiers audio et d’un enregistreur, d’écouteurs dont est déjà équipée une majorité d’élèves. Le logiciel Audacity (libre et gratuit) peut aussi être utile pour créer des audio-livres nécessitant des montages sonores élaborés. De larges bibliothèques d’audio livres gratuits et libres de droits sont à disposition de tous (voir audiothèque en fin du document). Par ailleurs, les activités d’écoute qui nécessitent de la concentration et celles d’enregistrement qui nécessitent du silence, gagneront à être conduites en dehors de la classe, ce qui est une donnée appréciable en temps de confinement et de continuité pédagogique. L’écoute d’un audio livre est en effet plus propice lors des moments de détente, au coucher, pendant les transports, voire en double tâche (à condition que la 2ème tâche ne mobilise ni vigilance, ni concentration connexes). Son écoute se rapprochera ainsi de l’intimité ouatée dans laquelle se retranche avec plaisir le lecteur, peu compatible avec l’environnement scolaire. Initiées en classe, accompagnées par le professeur et scandées en étapes progressives, ces activités pourront ainsi se prolonger en autonomie par le travail personnel des élèves, ou faire l’objet d’un travail en enseignement à distance ce qui peut présenter un atout supplémentaire en cas de circonstances exceptionnelles, cyclones, épidémies ou autres. LA LECTURE « Ecouter une histoire, ce n’est pas lire »… Il faut pour saisir les limites de ce propos revenir rapidement sur les deux grandes catégories de capacités qui constituent la compétence LIRE : Les capacités de bas niveaux : conversion des phonèmes en graphèmes, reconnaissance directe des mots mais parfois encore indirecte pour les faibles lecteurs qui continuent à déchiffrer en reconstituant chaque mot, syllabe après syllabe. Ces lecteurs en très grande difficulté, menacés pour certains par l’illettrisme, utilisent toutes leurs ressources cognitives à ce déchiffrage laborieux et ne disposent plus de ressources Emmanuelle Goulard - IEN Lettres Histoire- mai 2020. 3 suffisantes pour se consacrer aux activités complexes de hauts niveaux. Les capacités de hauts niveaux : compréhension et interprétation qui mobilisent à leur tour des opérations mentales coûteuses en ressources cognitives telles qu’inférer, anticiper, mémoriser, généraliser, spécifier, etc. Ecouter une histoire lue ne mobilise donc pas les capacités de bas niveaux, c’est entendu, mais ce n’est que dans cette acception réductrice de la lecture que peut s’entendre l’idée qu’écouter une histoire, n’est pas lire, car en revanche, l’audio-lecture active les capacités de hauts niveaux, ce qui est sans doute plus inattendu. Que l’histoire soit en effet lue sur papier ou qu’elle soit entendue, elle mobilise pour la comprendre et l’interpréter les mêmes opérations cognitives, les mêmes connaissances lexicales et les mêmes univers de référence. Or comme l’audio livre déleste du déchiffrage, il permet aux élèves en grande difficulté de lecture d’activer les compétences de compréhension et d’interprétation qui sont systématiquement inhibées à la lecture d’un texte écrit. Des exemples d’activités de compréhension sont proposées dans la séquence consacrée à l’audio-lecture de Nam Bok, le hâbleur de Jack London (https://lettres-hg-lp.ac-noumea.nc/spip.php?article57) « Oui, mais s’ils ne lisent jamais de textes, ils n’apprendront jamais à décoder… » Il n’est évidemment pas question d’utiliser l’audio-lecture pour contourner le texte écrit mais bien de s’en servir pour permettre aux élèves en difficulté de travailler des compétences auxquelles seul ce type de lecture ouvre l’accès. Il n’est également pas question d’utiliser exclusivement la lecture orale mais bien comme l’indiquent les programmes de diversifier les modalités et les supports de lectures, en poursuivant parallèlement la consolidation des apprentissages fondamentaux. Cependant, l’audio-livre ne pourrait-il pas venir aussi à la rescousse du déchiffrage, en proposant par exemple des exercices de repérage sur le texte écrit, de phonèmes ou de mots, simultanément lus et entendus ? Ne pourrait-on améliorer la reconnaissance directe de mots et augmenter la fluence, dont on sait qu’elle freine la compréhension en deçà du seuil fatidique de 15000 mots à l’heure, en proposant à l’élève de lire le texte à voix haute, au même rythme que celui qu’il écoute ? Dans cet objectif et pour ce public, l’utilisation d’un prompteur peut constituer un précieux auxiliaire pour enregistrer ou écouter un audio-livre. En accès libre et gratuit (par exemple , http://www.freeteleprompter.org), le prompteur fournira aux élèves les plus en difficulté, un support de lecture dont la vitesse de défilement et la taille des caractères sont ajustables aux capacités de chacun. « Bon, mais alors quelle plus-value pour les élèves déjà bons lecteurs ? » Outre le plaisir de s’entendre raconter une histoire, ce qui n’est déjà pas négligeable, les bons lecteurs pourront se livrer à des lectures analytiques en adoptant les mêmes démarches que celles mises en œuvre sur les textes. On habitue les élèves à formuler des hypothèses de lecture à partir de leurs premières impressions et à les corriger par un retour sur le texte. Un lycéen de la voie professionnelle doit en effet être en mesure de reformuler le sens général d’un texte, de sélectionner en autonomie ce qui lui paraît mériter Emmanuelle Goulard - IEN Lettres Histoire- mai 2020. 4 d’être analysé, et de justifier une interprétation globale en l’étayant par des passages choisis par lui, indiquent les programmes de 1ère et terminale bac pro. Accompagné d’une feuille pour consigner au fil de l’écoute, traces écrites, prises de notes, hypothèses, indices, saillies du texte, l’audio-livre ne favoriserait-il pas cette recherche d’autonomie que visent les nouveaux programmes ? Ne facilitera-t- il pas l’abandon du traditionnel « questionnaire de lecture » qui entraine les élèves à répondre aux questions bien plus qu’à se questionner en les obligeant à emprunter des pistes de lectures imposées ? N’aidera-t-il pas au repérage de passages, aux écoutes successives et aux rétro-lectures dont les élèves sont si peu friands, grâce au chronomètre de défilement et au curseur tactile ? L’écoute de poèmes ou de pièces de théâtre ne se rapprocheront-elles pas davantage des conditions de réception de ces genres oraux par essence? Des assonances, un alexandrin, une stichomythie, ou une anaphore sont sans doute plus aisément identifiables auditivement que textuellement. La notion complexe de double énonciation au théâtre peut être amorcée avec l’audio-livre, tout comme son scénario sonore peut initier la réflexion sur les choix de mises en scène au théâtre ou au cinéma. Quel que soit le genre, la mise en voix peut également contribuer à révéler les sens cachés du texte comme le suggère Dominique Pinon, acteur qui prête sa voix pour la réalisation d’audio-livres, lors d’une interview accordée à l’association La plume de Paoni « Jean Echenoz a un style, des figures de style, des accidents de uploads/Litterature/ l-x27-audio-livre-en-cours-de.pdf

  • 26
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager