I Supplément mensuel Jeudi 4 juin 2015 Paraît le premier jeudi de chaque mois,

I Supplément mensuel Jeudi 4 juin 2015 Paraît le premier jeudi de chaque mois, sauf exception Numéro 108 - IXe année VI. Delphine Minoui, l'Iran dans le sang VII. Jauffret et le continent gris de la vieillesse VIII. Les aventures de Samir Kassir III. Rencontre avec David Vann IV. Christophe Langlois, poète du temps du détour V. Najwa Barakat, aux sources du langage P aru en 1937, It can’t hap- pen here de Sinclair Lewis imaginait la montée du fascisme et l’instauration d’une dictature aux États-Unis. Adapté en français par Raymond Queneau sous le titre Impossible ici, ce roman est considéré comme un exemple de contre-utopie ou dystopie, au même titre que 1984 d’Orwell, et Le meilleur des mondes de Hux- ley. « Impossible ici » ? Nous l’avons longtemps cru, et avons beaucoup ri quand, en juin 2006, la dénom- mée Condoleezza Rice nous a parlé du « Nouveau Moyen-Orient » et de « Chaos créateur »… Et pour- tant ! Neuf ans plus tard, ce qui nous semblait « impossible » et risible se concrétise grâce à une créature baptisée Daech qui sert désormais d’instrument et de fer de lance pour le découpage préconisé par Mme Rice et ses alliés. Sous le Mandat français, la Sy- rie géographique était divisée en cinq États. Aujourd’hui, on assiste de nouveau au dépeçage, à l’atomi- sation de ce pays, devenu mouroir à cause d’un dictateur qui s’est accro- ché au pouvoir quand la révolution syrienne était encore pacifique. Peu à peu, les frontières se redessinent, les lignes établies par les accords Sykes-Picot bougent, tandis que la communauté internationale et le « machin » onusien ferment les yeux sur les milliers de morts et les mil- lions de réfugiés. Dans ce contexte, le Liban acéphale est directement menacé. Par les takfiristes, sans doute. Mais aussi par la « canto- nisation » qui, pendant la guerre, a fait couler beaucoup d’encre et de sang, et qui, dans un avenir proche, risque d’être remise sur le tapis pour déboucher, comme en Syrie, sur trois ou quatre micros-États à base confessionnelle. En dépit de sa volonté de demeurer neutre et de l’attachement de la plupart des Libanais au Pacte national, le pays du Cèdre aura du mal, en l’absence d’un président rassem- bleur, à échapper au processus de balkanisation qui secoue la région : les luttes intestines dans le camp chrétien, le clivage sunnites/chiites et les aventures du Hezbollah dans le bourbier syrien, bien au-delà de nos frontières, contribuent, jour après jour, à fissurer l’édifice natio- nal déjà très sérieusement ébranlé. « Impossible ici » ? Pas si sûr ! Nous vivons une triste époque où la réa- lité dépasse la raison. Alexandre NAJJAR Édito Impossible ici Comité de rédaction : Alexandre Najjar, Charif Majdalani, Georgia Makhlouf, Farès Sassine, Jabbour Douaihy, Ritta Baddoura. Coordination générale : Hind Darwich Secrétaire de rédaction : Alexandre Medawar Correction : Yvonne Mourani Contributeurs : Tarek abi Samra, Fifi abou Dib, Nagib Aoun, Jaques Aswad, Gérard Béjjani, Antoine Boulad, Nada Chaoul, Carole André-Dessornes, Lamia El Saad, Samir Frangié, Mazen Kerbaj, Maya Khadra, Henry Laurens, Aldo Naouri, Jean-Noël Pancrazi, Jean-Claude Perrier, Ramy Zein. E-mail : lorientlitteraire@yahoo.com Supplément publié en partenariat avec la librairie Antoine. www.lorientlitteraire.com Tous les numéros de L'Orient Littéraire sont disponibles en coffrets. Pour toute commande, contactez le 01-384003. G illes Ragache, maître de conférences en his- toire contemporaine, est l’un des meil- leurs spécialistes de la Seconde Guerre mondiale, qu’il a étu- diée sous différentes facettes, y com- pris les moins connues. Il a publié en 2014 un volume sur L’outre-mer français dans la guerre (1939-1945), chez Economica, qui démonte un cer- tain nombre de clichés concernant le ralliement de « l’Empire » français, comme on disait alors, à la France Libre. De même, dans l’un de ses ou- vrages précédents, Les appels du 18 juin (Larousse, 2010), l’historien, se fondant sur une étude minutieuse des sources et archives de l’époque, tord le cou à un certain nombre d’idées reçues, de légendes forgées pour des raisons politiques, puis colportées, passées dans l’opinion, concernant le fameux appel lancé par le Général De Gaulle sur les ondes de la BBC dès juin 1940. « Gaulliste mais pas gaul- lolâtre », il revient, pour L’Orient Littéraire, à l’occasion des 75 ans de l’Appel, sur cet ensemble de vérités et de mythes. Afin que les choses soient claires, pouvez-vous nous préciser qui était exactement Charles De Gaulle en 1940 ? En 1940, De Gaulle a 50 ans. Ancien élève de l’école militaire de Saint-Cyr, il est général de brigade à titre tempo- raire. Un général deux étoiles, donc, pas dans les plus hauts gradés, grade qu’il conservera toute sa vie, non sans coquetterie. Le 5 juin 1940, il a été nommé sous-secrétaire d’État au gou- vernement, rattaché à Paul Reynaud, Président du Conseil, dont il est l’un des deux conseillers militaires, char- gé de faire la liaison avec les Anglais. Germaniste, sachant mal l’anglais, il a à ses côtés Geoffroy de Courcel, un diplomate angliciste qui connaissait aussi le tout-Londres. De Gaulle était l’auteur de plusieurs livres dont l’un, Vers l’armée de métier (1934), avait été rédigé à la demande du maréchal Pétain, un temps son mentor, sous les ordres duquel il avait servi pendant la guerre de 14-18. Les deux hommes se connaissaient bien, mais étaient brouillés depuis le milieu des années 30. De Gaulle était connu de certains cénacles, avait une petite renommée dans certains milieux, mais était incon- nu du grand public. Il avait effectué, dans le cadre de ses fonctions, deux brefs aller-retours à Londres, durant lesquels il avait rencontré Churchill. C’est alors que les événements s’accélèrent ? Le 16 juin, tandis que De Gaulle est rentré à Bordeaux, où s’est réfugié le gouvernement, le président Lebrun ap- pelle le maréchal Pétain à la Présidence du Conseil, à la place de Reynaud. Le sous-secrétaire d’État n’est alors plus rien, et l’officier devrait rejoindre au combat le 4e DCR, son unité de blin- dés. Mais le 17, Pétain prononce à la radio son appel à « cesser le com- bat », alors qu’il y a encore eu des combats jusqu’aux 22 et même 25 juin, dates des deux armistices suc- cessifs. De Gaulle saute dans un avion anglais pour Londres, avec Geoffroy de Courcel, devenant ainsi, de facto, « déserteur ». Dès le jour même, il vou- lait répondre à Pétain à la BBC, il en faisait une affaire personnelle. Mais ça n’a pas été possible. D’où le fameux Appel du lendemain ? Oui, mais, en fait, il y a eu plusieurs « appels du 18 juin ». Le 18, il lit à la radio le premier texte qu’il a écrit et qui a été relu, « censuré » par Churchill. Il ne s’adresse pas aux Français qui combattent encore en France, mais appelle ceux qui le peuvent à le re- joindre à Londres. De cette émission de 2h30, en différé, diffusée en France et en Europe mais pas dans l’Empire, on ne possède pas d’enregistrement, juste le texte écrit, qui n’est pas celui, devenu célèbre depuis, qu’on appelle « L’Appel du 18 juin ». Son impact a été faible, sans aucun doute, mais des extraits en ont été repris dans la presse. De Gaulle déclare : « Demain comme aujourd’hui, je parlerai à la radio de Londres. » Ça a été le cas ? Non ! Du 19 au 22 juin, il est inter- dit d’antenne par les autorités britan- niques. Churchill, qui a aussi parlé à la BBC le 18 juin, vit une période d’incer- titude, il n’est pas sûr d’être suivi par sa majorité. Et que se passe-t-il le 22 juin ? C’est la date de la signature de l’ar- mistice franco-allemand à Retondes. De Gaulle lance de Londres un nou- vel appel, dont on possède cette fois l’enregistrement sonore. C’est celui-ci qui serait le « vrai » Appel du 18 juin. Quant à celui qui a été placardé, mis en timbre-poste, etc., c’est une affiche britannique d’enrôlement, avec un texte différent, plus court, diffusée au mois d’août. C’est elle qui est deve- nue, dans la légende, « l’Appel du 18 juin ». C’était, bien sûr, un disposi- tif de propagande, en accord avec De Gaulle. À ce sujet, l’historien (récem- ment disparu) Jean-Louis Crémieux- Brilhac, qui était à Londres, m’a dit un jour : « Nous étions en guerre, tous les moyens étaient bons. » Qui a entendu l’Appel du 22 juin ? Plus de monde, car cet appel-là a été re- layé, diffusé plusieurs fois. Notamment à destination de l’outre-mer français, un enjeu énorme que se disputaient Pétain et, à Londres, Churchill et De Gaulle. Comment a réagi l’Empire ? De manière complexe et contrastée. Si, dès septembre 1940, les territoires du Pacifique et les Comptoirs de l’Inde rallient la France Libre, créée en août, dans la plupart des autres colonies, plusieurs sentiments se mêlent par- mi les fonctionnaires et les soldats : fidélité au gouvernement légitime et à son chef, Pétain, « le uploads/Litterature/ 1506.pdf

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