Blaise Cendrars. Prose du Transsibérien. « En ce temps-là, jʼétais en mon adole
Blaise Cendrars. Prose du Transsibérien. « En ce temps-là, jʼétais en mon adolescence … » Posted on 23 April 2009 by Loup Kibiloki .entry-meta Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913, version intégrale). Le parcours du Transsibérien, cʼest le long tracé jaune sur la carte: Moscou- Vladivostok. Ou : Prose de la Petite Jehanne de France et du Transsibérien … Facsimile de la signature de “la petite Jehanne de France” (source: cliquer sur la signature). Ou est-ce “Johanne”? Elle avait appris à signer son nom à la cour de Charles VII. À gauche, une illustration en facsimile de la signature de “la petite Jehanne de France” . Elle avait appris à signer son nom à la cour de Charles VII. On la connait sous le nom de «Jeanne dʼArc», mais elle ne sʼest apparemment jamais appelée elle-même «Jeanne dʼArc», ni même, probablement, «Jeanne». Le titre du poème de Cendrars, en toute logique, peut tout aussi bien se lire : « Prose de la petite Jehanne de France et du transsibérien… » La logique syntaxique du titre donne tout autant dʼimportance à «la petite Jehanne de France» quʼau chemin de fer, quʼau «transsibérien». On rencontre, dans le poème, au moins trois femmes différentes : Jeannette, Jehanne, et Jeanne… Durant son procès, à Rouen, celle qui renversa le cours de la Guerre de Cent Ans en 72 jours, déclare, quand on lui demande son nom: «Jeannette à la ferme, et Jehanne en France». Cʼest dʼailleurs en honneur de Jehanne que Cendrars a écrit la prose, il le dit lui-même: «Je voudrais nʼavoir jamais fait mes voyages «Ce soir un grand amour me tourmente «Et malgré moi je pense à la petite Jehanne de France. «Cʼest par un soir de tristesse que jʼai écrit ce poème en son honneur..» Et auparavant, toujours dans la Prose : «Je mʼabandonne «Aux sursauts de ma mémoire…» Les sursauts dʼune mémoire collective. On a pas fini de lire la Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France. Ni, dʼailleurs, cet autre chef-dʼoeuvre de Cendrars, Pâques à New York, écrit en 1912, à peine un an avant la Prose (1913), et qui exprime et éclaire, avec la Prose, toute la complexité de la sensibilité qui anime Cendrars, et la force irrésistiblement poignante de ses sursauts de mémoire : Pâques à New York. Blaise Cendrars. Tu reviens quand, Blaise? Texte original et intégral de Pâques à New York (1912). * Blaise Cendrars Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France Dédiée aux Musiciens En ce temps-là jʼétais en mon adolescence Jʼavais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance Jʼétais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance Jʼétais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares Et je nʼavais pas assez des sept gares et des mille et trois tours Car mon adolescence était si ardente et si folle Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple dʼÉphèse ou comme la Place Rouge de Moscou Quand le soleil se couche. Et mes yeux éclairaient des voies anciennes. Et jʼétais déjà si mauvais poète Que je ne savais pas aller jusquʼau bout. Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare Croustillé dʼor, Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches Et lʼor mielleux des cloches… Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode Jʼavais soif Et je déchiffrais des caractères cunéiformes Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit sʼenvolaient sur la place Et mes mains sʼenvolaient aussi, avec des bruissements dʼalbatros Et ceci, cʼétait les dernières réminiscences du dernier jour Du tout dernier voyage Et de la mer. Pourtant, jʼétais fort mauvais poète. Je ne savais pas aller jusquʼau bout. Jʼavais faim Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres Jʼaurais voulu les boire et les casser Et toutes les vitrines et toutes les rues Et toutes les maisons et toutes les vies Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés Jʼaurais voulu les plonger dans une fournaise de glaivesmore Et jʼaurais voulu broyer tous les os Et arracher toutes les langues Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui mʼaffolent… Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe… Et le soleil était une mauvaise plaie Qui sʼouvrait comme un brasier. En ce temps-là jʼétais en mon adolescence Jʼavais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance Jʼétais à Moscou, où je voulais me nourrir de flammes Et je nʼavais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux En Sibérie tonnait le canon, cʼétait la guerre La faim le froid la peste le choléra Et les eaux limoneuses de lʼAmour charriaient des millions de charognes. Dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets Et les soldats qui sʼen allaient auraient bien voulu rester… Un vieux moine me chantait la légende de Novgorode. Moi, le mauvais poète qui ne voulais aller nulle part, je pouvais aller partout Et aussi les marchands avaient encore assez dʼargent Pour aller tenter faire fortune. Leur train partait tous les vendredis matin. On disait quʼil y avait beaucoup de morts. Lʼun emportait cent caisses de réveils et de coucous de la Forêt-Noire Un autre, des boîtes à chapeaux, des cylindres et un assortiment de tire- bouchons de Sheffield Un autre, des cercueils de Malmoë remplis de boîtes de conserve et de sardines à lʼhuile Puis il y avait beaucoup de femmes Des femmes, des entre-jambes à louer qui pouvaient aussi servir De cercueils Elles étaient toutes patentées On disait quʼil y avait beaucoup de morts là-bas Elles voyageaient à prix réduits Et avaient toutes un compte-courant à la banque. Or, un vendredi matin, ce fut enfin mon tour On était en décembre Et je partis moi aussi pour accompagner le voyageur en bijouterie qui se rendait à Kharbine Nous avions deux coupés dans lʼexpress et 34 coffres de joaillerie de Pforzheim De la camelote allemande “Made in Germany” Il mʼavait habillé de neuf, et en montant dans le train jʼavais perdu un bouton – Je mʼen souviens, je mʼen souviens, jʼy ai souvent pensé depuis – Je couchais sur les coffres et jʼétais tout heureux de pouvoir jouer avec le browning nickelé quʼil mʼavait aussi donné Jʼétais très heureux insouciant Je croyais jouer aux brigands Nous avions volé le trésor de Golconde Et nous allions, grâce au transsibérien, le cacher de lʼautre côté du monde Je devais le défendre contre les voleurs de lʼOural qui avaient attaqué les saltimbanques de Jules Verne Contre les khoungouzes, les boxers de la Chine Et les enragés petits mongols du Grand-Lama Alibaba et les quarante voleurs Et les fidèles du terrible Vieux de la montagne Et surtout, contre les plus modernes Les rats dʼhôtel Et les spécialistes des express internationaux. Et pourtant, et pourtant Jʼétais triste comme un enfant. Les rythmes du train La “moëlle chemin-de-fer” des psychiatres américains Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés Le ferlin dʼor de mon avenir Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment dʼà côté Lʼépatante présence de Jeanne Lʼhomme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et qui me regardait en passant Froissis de femmes Et le sifflement de la vapeur Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel Les vitres sont givrées Pas de nature! Et derrière les plaines sibériennes, le ciel bas et les grandes ombres des Taciturnes qui montent et qui descendent Je suis couché dans un plaid Bariolé Comme ma vie Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle Écossais Et lʼEurope tout entière aperçue au coupe-vent dʼun express à toute vapeur Nʼest pas plus riche que ma vie Ma pauvre vie Ce châle Effiloché sur des coffres remplis dʼor Avec lesquels je roule Que je rêve Que je fume Et la seule flamme de lʼunivers Est une pauvre pensée… Du fond de mon cœur des larmes me viennent Si je pense, Amour, à ma maîtresse; Elle nʼest quʼune enfant, que je trouvai ainsi Pâle, immaculée, au fond dʼun bordel. Ce nʼest quʼune enfant, blonde, rieuse et triste, Elle ne sourit pas et ne pleure jamais; Mais au fond de ses yeux, quand elle vous y laisse boire, Tremble un doux lys dʼargent, la fleur du poète. Elle est douce et muette, sans aucun reproche, Avec un long tressaillement à votre approche; Mais quand moi je lui viens, de-ci, de-là, de fête, Elle fait un pas, puis ferme les yeux – et fait un pas. Car elle est mon amour, et les autres femmes Nʼont que des robes dʼor sur de grands corps de flammes, Ma pauvre amie est si esseulée, Elle est uploads/Litterature/ cendrars-prose-du-transsibe-rien.pdf
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- Publié le Oct 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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