E|C Rivista dell’Associazione Italiana di Studi Semiotici, XV, n. 32, 2021 • Mi

E|C Rivista dell’Associazione Italiana di Studi Semiotici, XV, n. 32, 2021 • Mimesis Edizioni, Milano-Udine Web: mimesisjournals.com/ojs/index.php/ec ISSN: 1970-7452, ISBN: 9788857584911 © 2021 – MIM EDIZIONI SRL This is an open access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (CC-BY-4.0). Les resurrections de l’auteur. Medias, mediations, figures Yves Jeanneret Dans l’Avant-propos qu’il donne au premier volume des cours de Barthes au Collège de France, Comment vivre ensemble, Eric Marty propose une définition du statut de ces cours : “[…] si auparavant, lorsque Barthes animait un séminaire restreint à l’Ecole pratique des hautes études, il a pu, comme on l’a dit, être tenté de transformer tel ou tel cours en livre, cette hypothèse a totalement disparu, lorsque vint le temps du Collège, où plus rien de l’assemblée socratique d’autrefois ne subsistait pour susciter le désir d’une parole magistrale.”1 Sans partager les présupposés de ce jugement, je partirai de ce qui gêne Marty, dans le rôle de prescription éditoriale qu’il assume. Je regarderai le texte des cours comme un objet circulant, livré à une certaine trivialité, produit dans le mélange des publics et aboutissant, trente ans plus tard, à une gamme de publications « déclinées », offerts à des usages variés2. En publiant divers documents relatifs aux cours professes par Roland Barthes au Collège de France sous forme de livres, de cédéroms, puis sur un site Internet à accès limité3, les éditions du Seuil ont pris une initiative particulière. Cet acte éditorial doit être distingué d’un précédent : la publication, par Barthes lui-même, d’un livre rédigé à partir des séminaires qu’il avait donnés sur le thème du «discours amoureux ». Même si, sur un certain plan, les deux gestes s’inscrivent dans une continuité. Fragments d’un discours amoureux4 paraît en 1977 alors même que Barthes professe au Collège de France. L’auteur répond aux interviews sur ce texte déconcertant, fictionnel et fragmentaire, pendant que l’enseignant propose, semaine après semaine, un discours oral, étayé sur des notes, elles-mêmes tirées d’un travail de lecture et d’écriture procédant par fiches. La rhétorique du fragment relève, dans les deux cas, d’une démarche critique soucieuse du par où commencer5, qui inventorie lexique, figures, représentations. Elle engage une forme d’expression du savoir et implique une posture. Fragments 1 Eric Marty, « Avant propos », dans Roland Barthes, Comment vivre ensemble, Seuil, collection Traces écrites, 2002, p. 9. 2 Cette communication constitue une contribution au sein d’un colloque dont le programme conjugue des approches diverses des textes de Barthes. L’analyse proposée ici n’est pas une explication de leur nature, elle est un point de vue, parmi d’autres, sur eux. Procédant d’une problématique de la communication, elle recourt à des termes comme « média », « texte », « figure », « communication » dans des sens assez différents de ceux de Barthes. 3 Roland Barthes, Comment vivre ensemble, op. cit. ; Le neutre, Seuil, collection Traces écrites, 2002 ; La préparation du roman I et II, Seuil, collection Traces écrites, 2003 ; « Comment vivre ensemble », CD MP3, Seuil, 2002 ; Le neutre, CD MP3, Seuil, 2002 ; site www.roland-barthes.com. Toutes ces publications sont assurées par le Seuil avec la collaboration de l’IMEC. L’analyse portera uniquement sur le cours « Comment vivre ensemble », le seul faisant l’objet actuellement des trois formes de publications. Elle inclut également le site Internet d’Alain Giffard, qui expose un projet d’hypertexte consacré au même cours (alaingiffard.blogs.com) 4 Fragments d’un discours amoureux, Seuil, 1977, repris dans OEuvres complètes, Seuil, vol. V, p. 25-298. 5 « Par où commencer ? », Poétique, n°1, 1970, repris dans Nouveaux essais critiques, OEuvres complètes, Seuil, vol. IV, p. 86-94 . 152 d’un discours amoureux et Comment vivre ensemble étudient pareillement des objets flottants, situés entre le littéraire et le trivial (l’amour malheureux, l’idéal communautaire) ; ils appartiennent à une conjoncture théorique et idéologique ; ils aventurent un discours qui, refusant de se clore sur une « morale », vise à faire le pont entre un temps, celui des lectures personnelles, et un espace, celui des interprétations multiples. Un discours « qui ne paralyse pas l’autre »6. Comme Fragments d’un discours amoureux, Comment vivre ensemble est à la recherche d’une expression qui ne tienne pas trop le discours. Pourtant, si les entreprises intellectuelles sont apparentées, le geste éditorial prend un sens différent. Les livres de forme fragmentaire marquent une époque (S/Z, Le plaisir du texte, Roland Barthes par Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux). Ils procèdent d’un travail spécifique et relèvent de l’écriture au sens fort7. En revanche, la collecte et l’édition des éléments épars – oeuvre orale ? témoignage d’une façon d’être ? promesse d’un livre ? – se rattache à cette zone floue, où l’identité d’un auteur deviant incertaine, « cet immense fourmillement de traces verbales qu’un individu laisse autour de lui au moment de mourir, et qui parlent dans un entrecroisement indéfini tant de langages différents »8. La formule n’est pas de Barthes mais de Foucault, son promoteur au Collège de France, dont les interrogations paraissent renaître par cette élection même. Je voudrais repérer quelques enjeux de ce processus, à la suite de travaux sur la construction des figures littéraires, l’énonciation éditoriale et les transformations médiatiques. C’est dans un triangle que je me situe : figure, édition et média9. Quel jeu s’institue autour de la figure de l’auteur, dont Barthes avait un temps prédit la mort ? En quoi ce dispositif éditorial complexe affecte-t-il le statut public de la parole et de l’écriture ? Comment invite-t-il à relire le thème médiatique qui habite profondément le discours et les choix de Barthes dans les années soixante-dix ? Je voudrais défendre l’hypothèse que ce triangle de questions définit une part de l’actualité de Barthes, dans le cadre plus large d’une crise (alors ouverte et nullement close aujourd’hui) du discours et du pouvoir intellectuels. Après avoir repéré un problème de la médiatisation chez Barthes, implicite mais important, je jetterai un regard sur le cours en tant que situation, pour aborder l’énonciation éditoriale dont celle-ci fait l’objet. Si l’on me suit, c’est une figure auctoriale ressuscitée, ou re-suscitée, qui se dégage de ces médiations successives. 1. Conception du média, fantasme médiatique, pratique médiatique On trouve peu le terme média chez Barthes, moins que d’autres (texte, écriture, langage). Lorsqu’il est employé, c’est souvent pour désigner des institutions de discours : télévision, grande presse. Barthes, qui a beaucoup été interviewé, a eu l’occasion de délivrer une analyse de la médiatisation de l’écrivain. L’interview, déclare-t-il à Lire, fait partie, pour le dire de façon désinvolte, d’un jeu social auquel on ne peut pas se dérober, ou, pour le dire de façon plus sérieuse, d’une solidarité de travail intellectuel entre les écrivains, d’une part, et les médias, d’autre part. Il y a des engrenages qu’il faut accepter : à partir du moment où l’on écrit, c’est finalement pour être publié et, à partir du moment où l’on publie, il faut 6 « A quoi sert un intellectuel ? », interview de Roland Barthes par Bernard- Henri Lévy, Le nouvel observateur, 10 janvier 1977, repris dans Oeuvres complètes, vol. V, p. 380. 7 Dans son cours « Comment vivre ensemble », Barthes commente explicitement cet écart à propos de [Fragments d’un] discours amoureux. Les notes écrites indiquent : « Seule l’écriture peut recueillir l’extrême subjectivité, car dans l’écriture il y a accord entre l’indirect de l’expression et la vérité du sujet – accord impossible au plan de la parole (donc du cours), qui est toujours, quoi qu’on veuille, à la fois directe et théâtrale. Le livre sur le discours amoureux est peut-être plus pauvre que le séminaire, mais je le tiens pour plus vrai ». Roland Barthes, Comment vivre ensemble ? Paris : Seuil/IMEC, 2002, p. 178. De façon délibérée, les citations ne renvoient pas au même état du texte : tantôt l’édition des notes, tantôt la transcription littérale du cours, tantôt sa rédaction « toilettée ». Ceci, pour dénaturaliser les choix éditoriaux, mais aussi pour tirer bénéfice des formulations les plus riches. 8 Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Gallimard, 1969, p. 35. 9 Celle-ci ne prendra pas en compte les conditions matérielles, sociales, économiques d’élaboration des objets éditoriaux, qui seraient évidemment un aspect essentiel de la question. L’analyse ici proposée se fait du point de vue de ce qui est donné à lire. 153 accepter ce que la société demande aux livres et ce qu’elle en fait. Par conséquent, il faut se prêter à l’interview, tout en essayant parfois de freiner un peu la demande10. Barthes a une conscience aiguë de la publicité de son discours et n’entretient nulle illusion sur la possibilité de se situer en dehors du jeu : deux traits essentiels pour comprendre comment il approfondit, dans ces années, une certaine crise du discours sémiologique11. 1.2 Objets, distances, substances Le mot « média » désigne ainsi, pour Barthes, un type d’énonciateur plutôt qu’un objet. Mais ce qui médiatise le langage (distance, mémoire, transformation, propagation) est crucial dans sa réflexion. Ainsi envisagera-t-il le genre interview comme un enchaînement d’actes uploads/Litterature/ 1517-article-text-3039-1-10-20211129.pdf

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