Classe de 1G6 Lecture linéaire 11 Extrait 1 On s’assit enfin, madame de Rênal à

Classe de 1G6 Lecture linéaire 11 Extrait 1 On s’assit enfin, madame de Rênal à côté de Julien,// et madame Derville près de son amie. Préoccupé de ce qu’il allait tenter, Julien ne trouvait rien à dire. La conversation languissait. Serai-je aussi tremblant, et malheureux au premier duel qui me viendra ? se dit Julien, car il avait trop de méfiance et de lui et des autres, pour ne pas voir l’état de son âme. Dans sa mortelle angoisse, tous les dangers lui eussent semblé préférables. Que de fois ne désirat-il pas voir survenir à madame de Rênal quelque affaire qui l’obligeât de rentrer à la maison et de quitter le jardin ! La violence que Julien était obligé de se faire était trop forte pour que sa voix ne fût pas profondément altérée ; bientôt la voix de madame de Rênal devint tremblante aussi, mais Julien ne s’en aperçut point. L’affreux combat que le devoir livrait à la timidité était trop pénible pour qu’il fût en état de rien observer hors lui-même. Neuf heures trois quarts venaient de sonner à l’horloge du château, sans qu’il eût encore rien osé. Julien, indigné de sa lâcheté, se dit : Au moment précis où dix heures sonneront, j’exécuterai ce que, pendant toute la journée, je me suis promis de faire ce soir, ou je monterai chez moi me brûler la cervelle. Après un dernier moment d’attente et d’anxiété, pendant lequel l’excès de l’émotion mettait Julien comme hors de lui, dix heures sonnèrent à l’horloge qui était au-dessus de sa tête. Chaque coup de cette cloche fatale retentissait dans sa poitrine, et y causait comme un mouvement physique. Enfin, comme le dernier coup de dix heures retentissait encore, il étendit la main et prit celle de madame de Rênal, qui la retira aussitôt. Julien, sans trop savoir ce qu’il faisait, la saisit de nouveau. Quoique bien ému lui-même, il fut frappé de la froideur glaciale de la main qu’il prenait ; il la serrait avec une force convulsive ; on fit un dernier effort pour la lui ôter, mais enfin cette main lui resta. Stendhal, Le Rouge et le Noir, extrait du chapitre 9 Niveau lexical Niveau syntaxique Niveau narratif Niveau énonciatif 1 Classe de 1G6 Introduction Entrée en matière : Apparaissant par maints aspects comme un roman réaliste, Le Rouge et le Noir (1830) de Stendhal s’inspire de faits divers contemporains, en particulier l’affaire Berthet, jeune homme pauvre qui finit par devenir l’amant de la dame qui l’emploie, Mme Michoud, avant de finir par tenter de l’assassiner. Situation de l’extrait : Dans le roman stendhalien aussi, un fils de charpentier pauvre mais ambitieux, Julien Sorel, devient le précepteur des enfants de la riche et sensible Mme de Rênal. S’éprenant rapidement de son employé, cette dernière est transformée par cette passion nouvelle : à l’occasion de leur séjour de vacances à Vergy, elle se montre de plus en plus coquette et cherche, plus ou moins consciemment à se rapprocher de Julien. Le jeune homme ne semble pourtant pas s’apercevoir du faible qu’il inspire à Madame de Rênal mais finit par décider de la conquérir par vanité. Durant une de leurs soirées dans le jardin, il résout de lui saisir la main. Mouvements du passage : L’extrait étudié se compose de trois parties. 1. La première se confond avec le premier paragraphe. Elle présente la situation initiale et le projet de Julien. 2. La seconde correspond aux second et troisième paragraphes du texte. À travers l’usage d’une focalisation le plus souvent interne, elle dévoile le dilemme intérieur du protagoniste qui souhaite agir mais ne parvient pas à s’y résoudre. 3. La troisième partie est enfin constituée par le dernier paragraphe du texte. S’y trouve relaté le passage à l’acte de Julien. Problématique: En quoi cette scène de séduction est-elle originale et révèle-t-elle le caractère de Julien Sorel? Première partie de l'extrait Premier paragraphe : L'indifférenciation initiale des personnages précède la première caractérisation de leurs relations. Les compléments circonstanciels de lieu utilisés dans la première phrase sont mis en parallèle et présentent l'intérêt de spécifier les pôles autour desquels chacun des personnages féminins gravitent : Julien pour Mme de Rênal, Mme de Rênal pour Madame Derville. La proximité physique connote dans cette situation initiale une proximité affective. Dans la seconde phrase, le complément circonstanciel de cause révèle que la focalisation narrative est ici omnisciente. Le narrateur dévoile l'intériorité de Julien et annonce, par le biais de la périphrase utilisée « aller tenter » que l'enjeu véritable de l'extrait est la tentative de rapprochement qu'il accomplira. 2 Classe de 1G6 Le recours à la négation absolue de la parole (« ne trouvait rien à dire ») prouve que l'enjeu véritable de la réunion n’est pas de converser : c'est un acte que Julien s'impose d'accomplir pour se prouver sa bravoure. Le silence puis le laconisme signalé montrent que Julien n'a rien d'un séducteur chevronné : c'est un jeune homme que paralysent encore ses hésitations et sa timidité. Pour résumer, le premier paragraphe nous permet, en d'autres termes, déjà de prévoir que Julien sera un personnage velléitaire1 et que, en tant que séducteur, il est inconsistant. Deuxième partie de l'extrait Deuxième paragraphe: Dans le second paragraphe, on observe une alternance entre point de vue interne et omniscient. Une question directe dévoile les appréhensions de Julien et les hyperbolise. Elle lui permet de comparer insolitement son défi amoureux à un véritable "duel" guerrier. Pour cet ardent admirateur de Napoléon, l'amour serait un jeu conflictuel et l'amoureuse une adversaire qu'il s'agirait de soumettre. Mais, dans le même temps, Julien a conscience de sa propre inconsistance comme en témoigne la cause introduite par le narrateur omniscient. Sa capacité à s'analyser lui permet ainsi de révéler l'ampleur de sa pusillanimité (=ses appréhensions, son hésitation à agir) et de son inconsistance. Au terme du second paragraphe Julien apparaît donc allier une qualité essentielle, la lucidité, à des défauts majeurs: l'appréhension et le velléitarisme. Troisième paragraphe : Dans le troisième paragraphe, le narrateur omniscient dévoile l'ampleur de la terreur qui submerge le séducteur timide et inexpérimenté. Il ne lésine pas sur les hyperboles et montre que, pour Julien, prendre la main de Mme de Rênal serait une véritable épreuve guerrière. Le type exclamatif de la seconde phrase et la valeur itérative du passé simple utilisé montrent que Julien vit cette scène comme une épreuve personnelle et que sa timidité le pousse à souhaiter la moindre échappatoire (deuxième phrase). 1 Etre velléitaire : ne pas avoir de volonté, avoir envie d'agir mais ne pas parvenir à passer à l'acte. 3 Classe de 1G6 Dans la troisième phrase du troisième paragraphe, la voix de Julien trahit l'ampleur de son trouble. Le complément circonstanciel de conséquence "pour que sa voix... altérée" hyperbolise sa perte de contrôle. Personnage intuitif, Mme de Rênal perçoit la gêne de Julien qu'elle aime et finit par la partager comme le montre l'attribut du sujet "tremblante". Piètre séducteur, Julien est cependant incapable de tirer parti de cet avantage. Autant il est lucide sur lui-même, autant il paraît imperméable aux autres. Le narrateur accumule les négations absolues pour souligner l'incapacité de Julien à prendre en compte les réactions de Mme de Rênal: "ne s'en aperçut point", "rien observer hors de lui-même"... Si Julien est autant incapable de cerner Mme de Rênal, c'est parce que ses propres émotions le déroutent. Non sans hyperboles, le narrateur continue à filer la métaphore militaire pour décrire le dilemme intérieur de Julien: "L'affreux combat que le devoir livrait à la timidité". Le jeune homme, en d'autres termes, apparaît comme un adolescent indécis et inexpérimenté qui se fait violence en tentant de se forcer à se transformer en héros alors que, au fond, la peur le paralyse. La fin du paragraphe confirme d'ailleurs qu'il ne parvient toujours pas à se décider à agir à travers l'emploi de la subordonnée circonstanciel d'opposition "sans qu'il eût encore rien osé" La dernière phrase montre la lucidité du personnage sur l'ampleur de sa peur qui finit par le pousser à se révolter contre lui-même, comme en témoigne le CC de cause "indigné de sa lâcheté". Pour se forcer à agir, l'excessif Julien finit alors par se résoudre à une alternative extrême: saisir la main de Mme de Rênal à 10 heures ou se suicider. Bilan pour ce troisième paragraphe: Cette scène de séduction apparaît décidément originale puisqu'elle met en scène un personnage qui ne parvient pas à se déterminer à agir. Incapable de regarder Mme de Rênal et de ressentir ses réactions, Julien est un mauvais séducteur parce qu'il n'est tourné que vers lui-même. Non sans excès, il prend l'amour pour une guerre et révèle aux lecteurs sa timidité et son inexpérience. 4 Classe de 1G6 Troisième partie de l'extrait Quatrième paragraphe : Le quatrième paragraphe relate et dramatise le passage à l'acte de Julien qui saisit enfin la main de Mme de Rênal. Le récit de cet événement est réaliste. Le cadre spatio-temporel est précisé. La mention de l'"horloge" que caractérise la uploads/Litterature/ 1g6-lecture-lineaire-11.pdf

  • 11
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager